Il existe un code de déontologie des assistants de service social. Ce n’est pas faire offense à l’Anas (Association nationale des assistants de service social), à l’origine dudit code, que de constater qu’il n’a pas une portée comparable à celle de codes similaires tels que ceux des médecins ou des avocats. En effet, outre le fait qu’elle ne fédère pas tous les travailleurs sociaux, l’Anas n’est pas un ordre professionnel et, en ce sens, son code n’est pas juridiquement opposable à ses adhérents, pas davantage qu’il ne l’est au juge, quand bien même y serait-il fait référence dans quelques décisions. Après tout, la doctrine est une source de droit, et ce code en est un élément. Néanmoins, sans instance disciplinaire ni régime de sanctions, nous sommes peut-être plus proches d’un code éthique, ni contraignant, ni vraiment protecteur, même si éthique et déontologie n’ont pas la même signification.
L’hypothèse d’instaurer un code opposable à tous les travailleurs sociaux est parfois évoquée au sein de la commission éthique et déontologie du HCTS (Haut Conseil du travail social), qui m’avait auditionné dans le cadre du Livre blanc remis au gouvernement le 5 décembre 2023. L’une des raisons serait précisément un certain délitement de l’éthique, notamment parce que trop de professionnels exerceraient leur métier sans véritable engagement ou conscience de ses spécificités. L’orientation par le biais de Parcoursup n’y serait pas étrangère. Encore faudrait-il d’abord se mettre d’accord sur la notion de « travailleur social ». S’agit-il des professions règlementées ou des 90 métiers du social, comme il est indiqué dans le Livre blanc ?
Le respect de l’usager
Mais pourquoi un code déontologique opposable, alors que plusieurs dispositions visées à l’actuel code de l’Anas sont également des obligations juridiques, souvent sanctionnées pénalement, comme la prohibition de la discrimination ou l’obligation de secret professionnel ? On remarquera que ledit secret n’est pas seulement une obligation juridique, et si l’on se réfère à la jurisprudence, il l’est en définitive assez peu : à notre connaissance, aucun travailleur social n’a à ce jour été condamné pénalement pour violation du secret professionnel.
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Respecter l’obligation du secret tout comme la vie privée et les données à caractère personnel des usagers n’est donc pas seulement une question juridique, surtout lorsque les spectaculaires sanctions prévues par la loi (jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour traiter des données à caractère personnel sans respecter le cadre légal) ne sont pas appliquées. Le secret professionnel et les autres règles juridiques s’imposant aux travailleurs sociaux relèvent aussi du respect de l’usager, au sens éthique du terme, et de la déontologie. Si celle-ci est bafouée, une sanction plus systématique mais proportionnée pourrait être envisagée. Entre rien du tout et des poursuites pénales, un régime disciplinaire au fondement déontologique pourrait combler ce vide, comme chez les avocats et les médecins. Bien que le Livre blanc ne préconise pas l’instauration d’un code de déontologie opposable, l’idée pourrait néanmoins faire son chemin, non pas dans un esprit contraignant et répressif, mais peut-être surtout pour mieux protéger les travailleurs sociaux et participer à leur meilleure reconnaissance et à la revalorisation de leurs métiers.
Des vertus protectrices
Les travailleurs sociaux subissent de nombreuses pressions, ce qui, une fois encore, nous renvoie au secret professionnel. Si les assistants de service social peuvent s’abriter derrière les articles L 411-3 du CASF (code de l’action sociale et des familles) et 226-13 du code pénal pour y résister – éventuellement sur le mode « j’voudrais bien, mais j’peux point » –, l’argumentation est parfois plus délicate en ce qui concerne les autres « professionnels du social », pour reprendre la terminologie du Livre blanc du HCTS. Un médecin oppose plus aisément « son » secret, entre autres obligations déontologiques, à un officier de police ou à un juge que ne le ferait un travailleur social. Evidemment, un code de déontologie opposable ne changerait pas miraculeusement la donne. D’ailleurs, le secret des avocats, dont la violation est pénalement et disciplinairement sanctionnable, exaspère parfois certains enquêteurs de police, qui voudraient pouvoir les poursuivre pour complicité !
Opposable ou non, avec ou sans force contraignante et régime de sanctions, un code de déontologie pourrait surtout être utile aux travailleurs sociaux qui en sont dépourvus. Il aurait le mérite de clarifier des points obscurs, mal compris ou ignorés.
Une base déjà existante
Les pressions que subissent parfois les travailleurs sociaux ne concernent pas seulement le secret professionnel qu’on voudrait parfois les voir lever, même au mépris de la loi. Elles ne sont pas davantage uniquement exercées par des policiers ou des magistrats. Employeurs, cadres, usagers et partenaires de toute nature ignorent souvent tout ou presque des travailleurs sociaux, en particulier s’agissant de leur déontologie et des obligations qui en découlent. Là aussi, un code aurait des vertus clarifiantes, d’autant plus que celui des assistants de service social pourrait en être la base. Il énumère des principes généraux et des devoirs tels que le respect de la dignité, la non-discrimination, le droit à confidentialité… Il impose l’impartialité à l’égard des usagers et prohibe la propagande – un point qui pourrait être précisé, comme l’illustre la jurisprudence en matière de signes religieux, que nous traiterons le mois prochain.
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L’article 7 du code de l’Anas gagnerait aussi à être appliqué à tous les travailleurs sociaux : « L’assistant de service social ne peut accepter d’exercer sa profession dans des conditions qui compromettraient la qualité de ses interventions. Il doit donc être attentif aux formes et conditions de travail qui lui sont proposées et aux modifications qui pourraient survenir. » Mais à entendre de nombreux travailleurs sociaux, la déontologie se confond ici avec le vœu pieux !
Evidemment, la question est loin d’être tranchée. D’aucuns rétorqueraient qu’il existe déjà suffisamment de réglementation et que, avant d’imposer un régime disciplinaire aux travailleurs sociaux, il faudrait commencer par mieux les respecter, revaloriser leurs salaires, améliorer leurs conditions de travail et leur faire confiance. Les deux approches ne sont toutefois pas antinomiques, et l’on peut même espérer qu’elles soient complémentaires.
L'auteur :
Juriste et pédagogue, Raymond Taube est directeur de l'Institut de droit pratique.
Il est l'auteur de *"Travailleurs sociaux : à quand une vraie reconnaissance ?" Le Cherche Midi 2022)