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Qui est le tiers digne de confiance ? (2/4)

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hands grandfather and grandson

Le tiers digne de confiance peut être un membre de la famille ou une personne extérieure à la famille du mineur.

Crédit photo gera85 - stock.adobe.com
Le tiers digne de confiance, solution alternative au placement en institution pour les enfants en danger, peine à se développer malgré les encouragements de la loi. Ce "bénévole indemnisé" n'a ni agrément ni formation spécifique. Son statut juridique reste fragile et l'allocation versée par les départements est souvent insuffisante. Le Défenseur des droits préconise un accompagnement renforcé et une évaluation régulière de la situation.

Pour protéger un mineur, le juge des enfants peut le confier à un tiers digne de confiance. Cette possibilité prévue dans l’article 375-3 du code civil arrive en troisième position derrière « l’autre parent » et « un autre membre de la famille ». Le code civil indique que les options venant après le tiers digne de confiance ne peuvent être privilégiées qu’après une évaluation, illustrant la volonté de la loi « Taquet » de privilégier le placement chez une personne connue de l’enfant plutôt que dans les services de l’ASE par exemple. Ce tiers est considéré comme apte à agir dans l’intérêt et la sécurité de l’enfant.

 

A. Un « aidant informel » peu sollicité

Le tiers digne de confiance peut être un membre de la famille ou une personne extérieure à la famille du mineur. Dans les faits, il est souvent issu de la famille ou au moins de la sphère familiale. Dans tous les cas, il doit être proche de l’enfant et entretenir avec lui un lien affectif et de confiance.

Une fois désignée par le juge, cette personne accueille le mineur à son domicile personnel. Le tiers digne de confiance n’a pas de lien avec les services de protection de l’enfance et n’a ni agrément ni habilitation. Il n’a pas même besoin d’être formé pour s’occuper d’enfants.

Si la loi du 7 février 2022 incite à davantage recourir aux tiers digne de confiance, plusieurs institutions soulignent que les juges des enfants n’optent pas souvent pour cette solution(1). En 2020, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) estimait dans un avis que le peu de recours à ces « aidants informels » était notamment dû à son « absence de statut » et au « défaut de suivi du placement par l’aide sociale à l’enfance ». La CNCDH recommandait alors de « promouvoir le recours à ces aidants informels ou à d’autres formes d’aide qui présentent de nombreux avantages pour la stabilité de l’enfant », arguant que cela allait dans le sens de la volonté du Comité des droits de l’enfant. Elle conseillait en outre de reconnaître un statut juridique au tiers digne de confiance et de lui donner une formation adaptée. Dans un rapport d’octobre 2021, la commission des affaires sociales du Sénat estimait que « l’accueil chez un tiers digne de confiance est peu utilisé par le juge lorsque l’enfant doit être extrait du domicile de ses parents. Il permet pourtant de maintenir l’enfant dans son environnement habituel et de préserver des liens avec une partie de ses proches, ce que privilégient les dispositions du code civil. »

 

 

B. Un bénévole indemnisé

 

1. Le droit à une allocation

Si les textes n’en disent pas plus sur le statut du tiers digne de confiance, ils donnent des éléments sur son indemnisation. La formule de « bénévole indemnisé » est souvent employée pour désigner le tiers digne de confiance. Ce dernier ne reçoit pas de salaire mais une allocation mensuelle non imposable fixée par le département. L’article L. 228-3 du code de l’action sociale et des familles (CASF) indique qu’à l’exception des dépenses résultant de placements dans des établissements et services publics de la protection judiciaire de la jeunesse, ce dernier prend en charge financièrement au titre de l’ASE les dépenses d’entretien, d’éducation et de conduite des mineurs confié par l’autorité judiciaire, entre autres, à des personnes physiques, ce que sont les tiers dignes de confiance.

« Dès notification par le juge des enfants de la décision de placement de l’enfant chez le membre de la famille ou le tiers digne de confiance, le président du conseil départemental fixe le montant et les modalités de versement de l’allocation », précise encore le décret du 28 août 2023 (CASF, art. D. 221-24-4).

Les personnes désignées tiers dignes de confiance doivent faire la demande d’allocation, cette dernière n’étant pas automatique. Elles doivent notamment envoyer une demande écrite ainsi qu’une copie de la désignation en qualité de tiers digne de confiance.

Les frais d’entretien et d’éducation sont calculés sur la base (CASF, art. R. 228-3) :

→ « d’un prix de pension mensuel auquel s’ajoute une indemnité d’entretien et de surveillance lorsque le mineur est placé dans une famille, se trouve en apprentissage ou poursuit ses études » ;

→ « d’une indemnité de surveillance et, éventuellement, d’entretien lorsque le mineur est salarié ».

 

 

2. Un défaut d’information et de versement

Les textes n’indiquent donc pas de montant, laissant aux départements le soin de le définir. Ces derniers ont par ailleurs l’obligation d’informer les tiers digne de confiance de leur droit à une allocation.

Dans une ordonnance du 19 décembre 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a enjoint le département – qui refusait de verser une allocation à la requérante qui avait à sa charge son frère – de verser à cette femme une indemnité mensuelle équivalente à celle perçue par des assistants familiaux (Conseil d’Etat, 1re-6e ch. réunies, 19 mai 2017, n° 406637).

En juillet 2019, c’est le défenseur des droits qui a été amené à se prononcer dans une affaire concernant une tiers digne de confiance s’étant vu refuser l’allocation. Cette femme avait été désignée tiers digne de confiance en 2005 pour trois enfants âgés de 11, 9 et 7 ans. En 2013, elle dépose une demande d’allocation dans le département de D., qui lui répond que cela relève de la compétence du département de W., dont sont originaires les enfants placés auprès d’elle. Sans réponse du département de W., elle le contacte par téléphone et se voit expliquer qu’elle a en effet droit à une allocation mais « qu’en raison de l’absence de fonds suffisants, aucune somme ne pouvait lui être versée ». Le défenseur des droits souligne dans cette affaire :

→ le manquement du département à informer la requérante de son droit à toucher une allocation : « La responsabilité du conseil départemental de W. est susceptible d’être engagée en ce qu’il a manqué au devoir d’information qui lui incombe dans l’exécution de sa mission. » Et rappelle qu’un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 21 septembre 2006 ayant statué en faveur d’un tiers digne de confiance allait dans ce sens ;

→ ainsi que le manquement à l’obligation légale de prise en charge de l’allocation.

 

 

3. L’allocation de rentrée scolaire

Enfin, l’article L. 543-3 du code de la sécurité sociale souligne que l’allocation de rentrée scolaire pour un enfant placé ailleurs que chez ses parents, sa famille ou un tiers digne de confiance sera versée à la Caisse des dépôts et des consignations jusqu’à sa majorité ou son émancipation. Si l’enfant est à la charge « effective et permanente » d’un membre de sa famille, ce dernier reçoit l’allocation. Dans une réponse à un parlementaire de 2016, le ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes indiquait d’ailleurs que : « Les prestations familiales peuvent même, dans certains cas, être attribuées à un tiers digne de confiance. »

 

 

 

C. Un proche désigné par le juge des enfants

 

1. Le choix du tiers de confiance

 

a) Les critères

C’est au juge des enfants, après examen, de décider à qui confier un enfant qui serait en danger au domicile parental. Par danger, l’Etat entend un risque trop important sur sa santé physique ou mentale, sa sécurité physique ou matérielle, sa moralité ou son éducation. Il s’agissait là d’une recommandation du défenseur des droits qui, en 2014, estimait que « la décision du juge des enfants de confier un enfant à une personne désignée tiers digne de confiance ou à un autre membre de la famille, comme toute autre mesure de placement, ne devrait se justifier que par l’existence d’un danger ou d’un risque de danger pour l’enfant, lequel est provisoirement éloigné de son milieu habituel le temps nécessaire à ce que sa sécurité ou les conditions de son éducation et de son développement soient à nouveau garanties ».

La loi « Taquet » impose, comme le recommandait également le défenseur des droits (voir encadré à la fin de cet article), de privilégier le fait de laisser un enfant dans son entourage en cas de danger au domicile parental, et de le confier à un membre de sa famille ou un tiers digne de confiance. En outre, les fratries ne peuvent pas être séparées et doivent être accueillies au même endroit, « sauf si cela n’est pas possible ou si son intérêt commande une autre solution » (code civil [C. civ.], art. 371-5).

 

 

b) La saisine du juge

Le proche du mineur, ou un membre de la famille, qui souhaite devenir tiers digne de confiance doit saisir le juge des enfants, directement ou par le biais des services de l’aide sociale à l’enfance. La demande doit être précise et argumentée. Il est conseillé d’écrire le terme « tiers digne de confiance » dans la requête adressée au juge. Les travailleurs sociaux peuvent également, après étude de l’entourage de l’enfant, discuter de ce dispositif avec un proche et lui proposer d’assurer ce rôle de tiers digne de confiance.

 

 

c) L’évaluation

Pour accéder à la demande d’un aspirant tiers digne de confiance, le « service compétent » – notion qui n’est pas explicitée dans le code civil – doit mener une évaluation portant sur les « conditions d’éducation et de développement physique, affectif, intellectuel et social de l’enfant dans le cadre d’un accueil par un membre de la famille ou par un tiers digne de confiance » (C. civ., art. 375-3).

Il s’agit aussi d’étudier la situation du demandeur, ou du couple de demandeurs, et de vérifier qu’elle est en adéquation avec le projet pour l’enfant. Garant de ce document unique, le président du conseil départemental l’établit « en concertation avec les titulaires de l’autorité parentale et, le cas échéant, avec la personne désignée en tant que tiers digne de confiance ainsi qu’avec toute personne physique ou morale qui s’implique auprès du mineur » (CASF, art. L. 223-1-1).

Si cette évaluation n’est pas concluante, le juge peut décider de confier le mineur à un service départemental de l’aide sociale à l’enfance, à un service ou à un établissement habilité pour l’accueil de mineurs ou à un service ou à un établissement sanitaire ou d’éducation, ordinaire ou spécialisé. C’est en ce sens que la priorité est donnée au fait de laisser l’enfant dans un entourage connu.

 

 

d) L’audition de l’enfant

L’enfant peut être auditionné sur le sujet s’il « est capable de discernement ». La loi ne définit pas davantage cette notion de discernement, c’est au juge de l’apprécier en se basant sur l’âge et le degré de maturité du mineur, indique le ministère de la Justice dans une réponse parlementaire en 2015. « Les juges doivent par ailleurs motiver la décision par laquelle ils refusent l’audition d’un mineur. La Cour de cassation, par un arrêt du 18 mars 2015, a ainsi considéré qu’une cour d’appel prive sa décision de base légale en rejetant une demande d’audition formulée par un enfant, en se bornant à se référer à l’âge du mineur, sans expliquer en quoi celui-ci n’était pas capable de discernement », est-il encore précisé.

 

 

 

2. La temporalité de la désignation

Une fois ces étapes réalisées, le juge prend la décision finale. S’il y a une limite de 2 ans pour un placement dans un service ou une institution, la durée durant laquelle une personne est désignée tiers digne de confiance a d’abord été sans limite.

Dans une décision du 29 septembre 2014 relative à l’accueil des enfants confiés, dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative, à une personne désignée tiers digne de confiance, le défenseur des droits constatait qu’une fois la décision de placement chez un tiers digne de confiance prise, les juges des enfants ne réexaminaient pas les situations, présumant que le danger était écarté. Or, le placement chez un tiers digne de confiance s’inscrivant dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative, le défenseur des droits appelait à réaffirmer le caractère provisoire de cette décision et recommandait de réexaminer régulièrement la mesure de placement pour s’assurer qu’elle est toujours cohérente et pertinente. Si ce n’était pas le cas, le juge pourrait envisager d’autres options comme un changement de statut juridique vers une tutelle ou une délégation parentale, ou le retour chez ses parents si le contexte le permettait.

Ces recommandations ont finalement été prises en compte. Le renouvellement des mesures de placement chez un tiers digne de confiance s’effectue tous les 2 ans au maximum

Notes
(1) D’après l’enquête « aide sociale » de la Drees, 208 064 enfants sont accueillis à l’ASE en 2022. Au 31 décembre 2022, 14 068 placements avaient été prononcés par le juge auprès d’un tiers digne de confiance.


Les recommandations du défenseur des droits

Dans un document de septembre 2023, le défenseur des droits souligne que les lois du 14 mars 2016 et du 7 février 2022 relatives à la protection de l’enfant prennent en partie en compte ses recommandations en la matière faites dès 2014. A savoir :

→ privilégier une solution chez un proche ;

→ examiner régulièrement le placement auprès du tiers digne de confiance ;

→ l’accompagner et donner la possibilité au juge de désigner le tiers en présence duquel l’enfant pourrait rencontrer ses parents.

En 2014, le défenseur des droits soulignait l’importance de l’accompagnement des tiers dignes de confiance, notamment par le biais d’une mesure d’AEMO (acton éducative en milieur ouvert), rappelant que l’accueil d’un enfant « peut être particulièrement source de difficultés pour l’accueillant, notamment en raison des motifs ayant conduit au placement, des “séquelles” sur l’enfant ou de la manière dont ce dernier vit cette “mise à l’écart” ».

Et il confiait à la sociologue Catherine Sellenet une étude sur « l’évaluation qualitative d’une expérience de mise en place d’un service tiers digne de confiance », réalisée auprès de l’association Rétis, située en Haute-Savoie. Son rapport pointait la fatigue physique et mentale, les difficultés financières et une mise entre parenthèse de la carrière professionnelle des tiers digne de confiance.

Le défenseur des droits recommandait, en plus d’une AEMO quand nécessaire, l’élaboration d’outils pour mesurer les conséquences de l’accueil d’un enfant sur les tiers digne de confiance en prenant en compte les dimensions physiques, psychologiques, socio-professionnelles et financières, pour « prévenir les risques de rupture de l’accueil ». Ce point n’a pas été repris depuis.

 


>>> Le dossier juridique complet : 

> Le tiers digne de confiance (1/4)
> Qui est le tiers digne de confiance ? (2/4)
> La période de placement (3/4)
> Un accompagnement renforcé du tiers digne de confiance (4/4)



 

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