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Récits de vie : si le social m’était conté (4/4)

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Organisé par l'IRTS de Champagne-Ardenne, le Festival des récits du social a eu lieu le 22 juin dernier

Crédit photo Stéphanie Trouvé - Tema Agence
Percussions, jeux du corps, ombres chinoises, improvisations… Sous le chapiteau de la deuxième édition du Festival des récits du social organisé par l’IRTS de Champagne-Ardenne le 22 juin, futurs éducateurs spécialisés et personnes en situation de handicap ont accepté de baisser la garde pour explorer leurs rapports à l’intime et au monde.

Les corps ondulent côte à côte sans se toucher, sans même s’effleurer. Reliés paume à paume par une baguette de bois, ils se rapprochent, s’esquivent, s’éloignent et se retrouvent en une lente farandole très chorégraphiée. Sous la toile tendue du chapiteau appartenant à l’association circassienne Le Temps des cerises, Inès vient de sortir de scène, les joues rosies par l’énergie de ce ballet à mi-chemin entre la danse, les arts martiaux et le mime. Un moment de lâcher-prise expérimenté quelques temps plus tôt au cours de la médiation animée par une artiste, dans les murs de l’IRTS de Champagne-Ardenne où la jeune fille achève sa deuxième année de formation en éducation spécialisée. « Nous nous sommes concentrés sur nos sensations, le rapport aux autres, comment créer le contact et le lien. On peut dire tant de choses avec de simples gestes. Comme cette saynète avec une personne par terre entourée de tous les autres debout, où on a voulu représenter une forme de violence. Je pense que j’essaierai de reproduire ce type d’ateliers pendant mes prochains stages en protection de l’enfance : c’est un bon moyen pour aborder la notion d’écoute. Utiliser le corps permet de travailler l’estime de soi. »

Réunies au sein du Festival des récits du social, organisé par l’institut de formation de Reims le 22 juin dernier, les restitutions s’enchaînent, rythmées par une énergique Madame Loyale et par la pluie qui tambourine obstinément sur les parois des barnums colorés. Contraints de se cantonner aux espaces clos, plusieurs centaines d’étudiants en travail social, de professeurs de l’IRTS, d’usagers des structures médico-sociales partenaires et d’habitants du quartier populaire Croix-Rouge ont découvert d’autres manières de se raconter.

Fragments de vie

Théâtre d’ombres, d’objets, d’impro ou de boulevard, slam, contes et percussions, autant de vecteurs pour dire quelque chose de soi et des autres. Une sorte de cabaret poétique et burlesque où usagers en situation de handicap et futurs professionnels ont ébauché des histoires et des parcours, esquissé des récits comme autant de fragments de vie.

« Les étudiants et le public se racontent eux-mêmes sous différentes formes, ils se livrent et se donnent à voir, à la fois individuellement et collectivement, estime Catherine Fourdrignier, responsable pédagogique des médiations éducatives, culturelles, artistiques et thérapeutiques au sein de l’IRTS et instigatrice du festival. Toutes ces expressions ont à voir avec le récit, il y a une dimension de construction identitaire. La médiation est la recherche d’un espace intermédiaire avec l’autre. Il y a du jeu, de la rencontre, du raconté. Chacun vient ensuite s’emparer, comme il peut, des ressentis qui ont émergé. » Ces temps d’exploration, imprégnés d’éducation populaire, bousculent parfois les étudiants qui n’ont pas forcément l’habitude de se mettre ainsi à nu. Ici, sur la piste aux étoiles, les personnalités se dévoilent et ne peuvent plus se raccrocher à des règles ou des codes de bonne conduite. Il faut laisser tomber le masque, prendre le risque de se révéler ou même de se ridiculiser.

« Tchou, tchou ! » Droit comme un i, Adrien imite une locomotive. En dépit des rires narquois, le futur éducateur spécialisé reste dans son rôle et module le son lancinant de la machine lancée à toute vapeur. A ses côtés, au centre de la scène, une armada de bibelots aussi variés qu’un réveil, un dinosaure en plastique, une chaise miniature, un escarpin en vernis rouge, un blaireau et une corde… Une installation quelque peu désopilante. « Nous avons mené toute une réflexion autour des objets, explique le jeune homme après le spectacle. Tant qu’on ne les a pas investis, ils n’ont pas de sens en soi. Mais dès qu’on y prête vraiment attention, dès qu’on les considère à travers le prisme de notre histoire et de nos expériences, ils prennent vie et peuvent évoquer mille choses ! Le théâtre d’objets apporte une grande liberté, au sens où le spectateur peut comprendre autre chose que ce qu’on lui donne à voir. C’est une vraie passerelle avec le travail auprès des usagers : ils peuvent parfois nous raconter des choses qui ne sont peut-être pas vraies. Pourtant, elles font sens et nous devons les considérer. »

Accueillir le sensible

Même si les trombes d’eau empêchent les festivaliers de déambuler librement à ciel ouvert, l’ambiance est bien celle d’une fin d’année scolaire. Sous le chapiteau dédié à la restauration, un petit groupe est de corvée de pluches aux côtés de l’association Les Bons Restes, qui lutte contre le gaspillage alimentaire. Vers l’heure de la pause méridienne, le sol détrempé se transforme en piste de danse, le volume de la sono monte en flèche et des grappes d’étudiants s’époumonent à l’unisson. Galvanisé par cette énergie collective, Hugo revient sur les beaux moments de son immersion au sein d’une structure accueillant des personnes porteuses de déficiences intellectuelles. En première année d’éducation spécialisée, il s’est initié au slam avec les résidents. « En déclamant, on exprime très librement ses émotions. C’est vraiment adapté aux personnes en situation de handicap. Mais avec elles, c’est blanc ou noir : certaines se sont ouvertes à nous dès la première séance, quand d’autres auraient eu besoin de plus de temps pour qu’on puisse les approcher. »

Tambourins et djembés, ombres chinoises, diaporamas, contes et légendes… Les restitutions s’enchaînent avec plus ou moins de bonheur, les plus réussies étant celles qui ont favorisé la rencontre avec des enfants ou des adultes en situation de handicap. Le cas, par exemple, de ce récit épique construit sur le modèle des « histoires dont vous êtes le héros » et qui a permis à Philippe, 42 ans, ancien médiateur culturel en arts plastiques et désormais « éducateur apprenant », de partager l’imaginaire de résidents en foyer de vie. « J’ai appris à poser un autre regard. Il y a eu de belles surprises. Des expériences sonores, des bruitages. La narration s’est tissée au fil de séances où chacun apportait sa petite pierre en fonction de ses capacités. »

Plus largement, ces expériences permettent aux travailleurs sociaux en formation de changer de posture, de se contenter de l’instant présent et d’accueillir le sensible. Une gageure. « Ce n’est pas leur quotidien, reconnaît Catherine Fourdrignier. Conjuguer la plus grande attention à la plus petite intention est l’une des choses les plus difficiles dans le travail social. On a toujours envie que l’autre soit à l’endroit que nous avons décidé. Or le récit de vie nécessite une ouverture à un tiers, l’accueil de ce qu’il peut nous donner. Même si ce n’est pas toujours avec des mots. » Ségolène, éducatrice de jeunes enfants fraîchement diplômée, a expérimenté cette communication non verbale à travers l’élaboration d’une petite boîte en relief – un espace muséal miniature – co-construite avec Zahara, une primo-arrivante originaire d’Afghanistan. « Nous avons voulu exprimer un moment d’interactions entre des personnes inconnues. Les anonymes qui se croisent dans un musée ressentent parfois les mêmes émotions. »

Avoir les projecteurs braqués sur soi, affronter les regards, s’en remettre aux autres, l’ensemble des médiations et des projets en immersion est un défi à la posture même du travailleur social. Plus habitués à l’« aller vers » qu’à l’introspection, les futurs professionnels embarqués dans cette aventure narrative ont osé s’emparer d’une parole personnelle, d’un « je » parfois déstabilisant. Une mise en danger qui les a peut-être encore plus éprouvés que les personnes accompagnées. « Utiliser la première personne du singulier, incarner un récit, ce n’est pas évident, reconnaît Catherine Fourdrignier. J’ai rencontré des résistances très fortes de la part des étudiants. Comme une peur d’être en connexion avec soi-même. Mais je crois que nous avons réussi à les ouvrir à l’inattendu. »

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