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Récits de vie : se former pour laisser son empreinte (2/4)

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Two young hardworking student girls having a conversation in the

L'association Laisse ton empreinte accompagne les travailleurs sociaux à mieux restituer la parole des usagers

Crédit photo dusanpetkovic1 - stock.adobe.com
Intégrer le recueil du récit de vie à sa pratique entraîne souvent des questionnements chez les professionnels. Depuis plus de vingt ans, l’association Laisse ton empreinte les accompagne dans la prise en main de son outil : « le carnet ». Formation collective et suivi individuel permettent aux travailleurs sociaux de gagner en confiance et de restituer au mieux la parole recueillie.

« Est-ce que la personne ne va pas se sentir dépossédée de son histoire ? » « Comment ne pas être trop intrusif ? » « Est-ce que je vais être à la hauteur de la confiance qui m’est accordée ? » Ces questions, les directrices associées de Laisse ton empreinte, Céline Martineau et Catherine Carpentier, les entendent très fréquemment. Située à Lille, l’association créée par un enseignant spécialisé (voir encadré) forme des travailleurs sociaux au recueil du récit de vie. Elle les initie à sa méthode rodée depuis une vingtaine d’années : le carnet. Cet outil a pour vocation, en trois à cinq rencontres avec la personne accompagnée, d’ouvrir un espace de parole sécurisé pour qu’elle se raconte autrement. Après un premier entretien d’une heure et demie, le travailleur social restructure le récit qu’il a écouté en y apportant parfois son « angle de vue ». Il le restitue ensuite au bénéficiaire qui le valide ou y amène des corrections. Dans un troisième temps, un livret lui est remis qu’il partage avec sa famille, un proche ou une figure importante. Un moyen de changer de regard sur son parcours et de « redonner du souffle à la relation d’aide », assure Céline Martineau. Mais avant d’intégrer le carnet à sa pratique, le professionnel doit passer par la case formation afin de lever les doutes. « Je craignais de ne pas rester suffisamment proche des propos du bénéficiaire », confie Julie Faath, assistante sociale pour le département du Nord. « Ma première réaction a été de me dire : “Il y a un talent d’écriture à avoir” », se rappelle quant à lui Abdel Ziani, formé en tant qu’éducateur il y a plusieurs années et aujourd’hui chef de service pour deux clubs de prévention spécialisée.

S’exercer en binôme

« Toutes les questions des professionnels sont légitimes. Parfois, les personnes s’expriment sur certains aspects de leur vie pour la première fois, c’est une confiance très forte qui leur est offerte, observe Céline Martineau. Mais ces appréhensions sont vite levées quand nous les mettons en situation. Ils s’aperçoivent qu’ils sont tout à fait capables de réécrire un témoignage, de le restructurer… Et ils se sentent finalement assez à l’aise pour questionner la personne sur sa vie sans pour autant la bousculer. » D’une durée de trois jours, la formation invite ainsi les travailleurs sociaux à se prêter à l’exercice par binômes pour expérimenter à la fois la place d’intervieweur et celle de l’interviewé. Tout l’enjeu est ensuite de se détacher de certaines habitudes d’écriture. « Lorsque je réalise une note au juge ou un compte-rendu d’entretien, je m’abstiens d’y “mettre de moi”, de l’émotion, je reste dans le factuel. Avec le carnet, c’est justement l’interprétation qui fait sens », constate Abdel Ziani.

C’est pourquoi Laisse ton empreinte s’attache à donner des clés pour retravailler le récit. L’objectif : parvenir à faire émerger un fil conducteur. « L’idée est de rassembler des éléments pour faire sens, explique Céline Martineau. Ce n’est pas forcément réécrit de manière chronologique comme la personne peut le raconter. » Une technique utile pour le chef de service en prévention spécialisée. « Beaucoup de jeunes se livrent par “effet puzzle”, ils racontent des bribes de leur histoire dans différents entretiens. Avec cet outil, nous essayons de trouver le dénominateur commun dans leur parcours, quand eux ont souvent l’impression que tout est décousu. La formation nous apprend à repérer la répétition et à l’interroger. » Lors des rencontres avec les usagers, pas d’enregistrement, mais une prise de notes succinctes pour rester dans l’écoute. « Ce n’est pas intéressant d’avoir le nez dans sa feuille, il faut être sensible au jeune lui-même, aux non-dits, à ce qui se joue entre les lignes », souligne Abdel Ziani.

Un suivi d’un an

Si les professionnels le souhaitent, ils peuvent être accompagnés pendant une année par l’association. Laisse ton empreinte propose des points collectifs trois à quatre fois par an, ainsi qu’un soutien individuel par mail ou téléphone entre chaque entretien. « Nous ne voulons pas laisser le professionnel seul face à son écrit, précise Céline Martineau. Ce sont souvent des récits forts, qui bousculent. Il faut être attentif à ce qu’on retourne à la personne, que ce ne soit pas trop brutal, et clair… »

Formée en 2021, Julie Faath constate finalement parvenir à restituer fidèlement les propos des usagers. « Comme j’écris dans la foulée de l’entretien, les paroles sont encore très présentes dans ma tête. Je m’aperçois aussi que la personne n’est pas attachée exactement aux mots qu’elle a employés. Elle ne tient pas compte des reformulations. » Même constat pour Abdel Ziani : « Chaque fois que nous avons remis un livret aux jeunes, ils ont réellement eu le sentiment de l’avoir écrit eux-mêmes. Ils ne voyaient plus la trace de notre plume. » Et d’ajouter dans un rire : « C’est vraiment gagné quand ils disent : “C’est de moi.” »


Encadré : la genèse de l’association

Laisse ton empreinte a été fondée en 1999 par Luc Scheibling, alors enseignant spécialisé et auteur compositeur. Un jour où il donnait des cours de guitare à un jeune, il lui a suggéré de se raconter pour en faire une chanson. « Ce jeune, David, s’est très vite emparé de cet espace pour aborder des questions identitaires et évoquer son adoption, retrace Catherine Carpentier, directrice associée de la structure. Luc a pris des notes et est arrivé la semaine suivante avec un texte. David s’est complètement retrouvé dans cette chanson, il l’a apprise pas cœur et, en quelques prises, c’était dans la boîte. Il a ensuite fait écouter le résultat à ses parents et, grâce à cette médiation, le dialogue s’est renoué. » De cette initiative est née l’association. En parallèle, la structure a élaboré des supports pédagogiques, issus cette fois d’une « parole collective ». Des entretiens menés auprès des professionnels et de leurs publics ont ainsi permis de construire des outils autour des systèmes familiaux, de l’identité ou encore des freins à l’emploi. Aujourd’hui, Laisse ton empreinte travaille avec des acteurs des divers champs du social, des médecins, des psychologues, des infirmiers et des écrivains publics. Elle forme une centaine de personnes chaque année à la technique du carnet.

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