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Soutien aux associations : protéger une certaine idée du vivre ensemble

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Crédit photo Lomb - stock.adobe.com
TRIBUNE - Principal garant du développement des réponses sociales, l’Etat doit redonner aux professionnels les moyens d’assurer aux personnes en grande difficulté la protection et l’accompagnement auxquels elles ont droit. Cela passe par le soutien aux associations, longtemps reconnues comme des « extension utiles de l’idéal de service public », défend le bureau du conseil d’administration du centre de formation Saint-Honoré.

« Au moment où tous les travailleurs sociaux sont en recherche de sens dans leur pratique, il nous paraît important de situer avant tout le problème dans l’histoire des questions sociales et des réponses apportées. Nous sommes aujourd’hui encore les héritiers du long XXe siècle, dont on peut dire qu’il a été le siècle du social, dans le cadre de ce que certains appellent “l’Etat providence” et d’autres “l’Etat social”. Ces avancées en termes de réponses aux questions sociales ont concerné le monde de l’éducation, celui du travail, celui de la santé, celui de la justice et aussi celui de la protection sociale.

L’important réseau constitué par les multiples institutions, qu’elles soient publiques, associatives ou même lucratives, créées ces dernières décennies – inséparables des multiples métiers inventés, les uns en première ligne et les autres en appui –, témoigne de ce fort investissement historique. Il a été rendu financièrement soutenable par deux voies principales : une part de recettes fiscales dédiées et une part de ressources provenant des cotisations sociales. Dans les deux cas, on peut parler de redistribution solidaire des richesses produites par les plus actifs, conçue comme une obligation de moyens, avant tout. Pour progresser, il faut distinguer trois niveaux : le politique, celui de l’Etat et des politiques publiques d’orientation sociale ; l’institutionnel, celui des institutions et non seulement des organisations ou des dispositifs ; et le professionnel, celui des processus de professionnalisation. Ces trois niveaux sont d’ailleurs traversés par la question de la démocratie dans la définition des orientations générales et dans les réalisations, sans oublier la part qui revient, toutes les fois que c’est possible, aux dits “usagers”, c’est-à-dire aux destinataires, en somme les bénéficiaires.

Au plan politique, à commencer par le niveau le plus élevé et le plus durable, l’Etat, trois sortes d’engagements existent : la production de droits nouveaux, souvent sous la pression de la société civile, le développement ou le soutien administratif et financier de modalités adaptées aux situations rencontrées et la garantie de la pérennité de ces engagements. Ne jamais oublier que les Constitutions de 1946 et de 1958 stipulent que : “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.” L’Etat reste donc le principal garant du développement des réponses sociales, et la décentralisation n’est qu’une forme d’organisation.

Les approches institutionnelles nécessaires

A l’heure de la marchandisation du travail social et de l’individualisation des interventions qui deviennent des prestations, il est important de rappeler qu’il y a un intérêt supérieur à protéger, et à garder une certaine idée du vivre ensemble. C’est pour donner une cohérence d’ensemble à tous ces engagements qu’une doctrine du social est nécessaire. Il est important de rappeler de manière solennelle les raisons pour lesquelles il faut apporter protection et accompagnement aux personnes et parfois aux groupes en grande difficulté matérielle, ou d’inclusion, car c’est avant tout leur droit. De temps à autre ont existé des éléments de doctrine : ainsi, le préambule de l’ordonnance de 1945 sur la jeunesse délinquante, l’article 1 de la loi de 1975 en faveur des personnes handicapées ou encore l’“Adresse aux travailleurs sociaux” de Nicole Questiaux, ministre de la Solidarité nationale au tout début des années 1980 (et non seulement des “Affaires sociales”). Malheureusement l’Etat, aujourd’hui plus préoccupé à décentraliser les responsabilités sans les financements ad hoc, à optimiser les investissements financiers en oubliant la redistribution solidaire, à développer une politique de l’offre au lieu d’une politique de la demande, n’a pas brillé ces trente dernières années par son effort doctrinal. Si bien que les acteurs les plus engagés sont en grande partie renvoyés à eux-mêmes, sous la dictature des médias, des modes et du marché qui progresse, tout en restant soumis à de fortes évaluations, efficience oblige.

Sur le plan institutionnel, on ne peut qu’être surpris par la disparition du mot “institution” dans les productions normatives actuelles. Depuis quelques années, à vrai dire depuis la décentralisation des années 1980, le terme “institution” a cédé la place à l’“organisation”, et l’“organisation” à l’“entreprise”. Cette révolution culturelle impacte particulièrement les associations d’action sociale dans les domaines socio-éducatif, médico-social, de lutte contre les exclusions, d’accueil des étrangers… Longtemps, elles ont été reconnues par les autorités administratives comme des extensions utiles de l’idéal de service public, travaillant dans l’intérêt général. La démocratie sociale a progressé grâce à la loi de 1901 et il serait dommage de s’en priver en accélérant un management décalqué de celui des entreprises.

S’appuyer sur le modèle associatif

Il nous semble qu’il faudrait au contraire protéger le modèle associatif à la française, et aller plus loin encore dans l’association des professionnels et des usagers dans l’administration de ces structures. Et donc adapter le droit. Dit autrement, il faut renouer avec les approches institutionnelles plutôt que proclamer urbi et orbi la désinstitutionnalisation pour des raisons idéologiques ou démagogiques. Il faut exiger le respect que méritent tous ces lieux de vie, en reconnaissant les considérables changements intervenus dans lesdites institutions depuis les sombres années antérieures, grâce à la professionnalisation, et en leur donnant les moyens nécessaires à la qualité, à l’ouverture (dans le terme de l’inclusion) et à la clinique. Ces lieux n’ont pas à rougir de leurs résultats, en comparaison, par exemple, avec l’état actuel de notre école de la République.

Quant à la professionnalisation, au lieu de déplorer, sans en analyser les raisons, l’augmentation continue de la masse salariale pour des résultats non performants, il nous faut rappeler et défendre comme jamais les dimensions communes, en termes de conviction et de responsabilité, aux différents métiers du travail social patiemment construites tout au long du siècle dernier. A savoir : la relation directe, plus ou moins clinique, à autrui souffrant ou en difficulté dans un cadre institutionnel protecteur, et non sur un mode libéral ; la culture de la solidarité nationale comme permettant la meilleure redistribution des ressources socialisées, pour lutter contre les inégalités ; la conscience d’être des porte-parole des plus démunis et le devoir d’alerte des autorités administratives, politiques et médiatiques. De telles attitudes ne sont pas qu’innées et, pour être efficaces, elles doivent faire l’objet d’une formation professionnelle ad hoc exigeante, associant l’entraînement à une pensée structurée et documentée du social et de son travail, et à l’apprentissage de certaines compétences nécessaires, mais non suffisantes, pour déboucher sur une qualification reconnue et protégée par un diplôme d’Etat.

Entre commande et demande

Les métiers du social, autrement dit de l’humain, ne doivent pas uniquement se réduire à des blocs de compétences, même si nous y tendons, mais doivent aussi rester des communautés de formation, de travail et d’implication citoyenne. Il s’agit d’affirmer en permanence les dimensions irréductibles du travail social : celle d’accompagner dans le cadre d’une relation privilégiée, celle de redistribuer en tant qu’acteur majeur d’un Etat solidaire et celle de représenter pour dire et faire connaître les réalités sociales. Les employeurs associatifs, au nom des valeurs qui les animent, doivent être les garants de cette formation en alternance incluant les pairs qui, là encore, doit se comprendre comme un investissement collectif indispensable. Aujourd’hui, la pénurie de personnel et la négligence des pouvoirs publics à prendre en compte le devoir de formation in situ, au nom d’une rationalisation budgétaire, peuvent mettre les stagiaires, lorsqu’ils trouvent des lieux pour les accueillir, dans des situations de remplacement du personnel manquant dans des établissements et services dysfonctionnant.

Pour que le travail social redevienne attractif, il faut impérativement que les gens de métier soient mieux préparés à comprendre ce qui est en jeu entre commande et demande, que leurs approches humanistes autant que très spécialisées soient maintenues à distance des approches qui réduisent leur “savoir-s’y-prendre” à la seule dimension marchande. Dans ces trois domaines, ce n’est pas un problème de management mais d’abord de philosophie sociale. La République française est sociale, ne l’oublions jamais ! Le social est donc avant tout un droit des citoyens et les travailleurs sociaux sont au service de ce droit. »

Pour aller plus loin : debat.ash@info6tm.com

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