« Venir ici est comme une renaissance ! J’ai remis le pied à l’étrier. » Adeline Crépin a poussé la porte de Solid’Arté en juin 2022, après des années où s’étaient enchaînés les accidents de la vie et les passages à vide. Cette artiste qui dessine à l’encre et réalise des gravures, ne crée plus depuis près de huit ans. C’est Pôle emploi qui l’a orientée vers Solid’Arté, dont l’équipe compte trois salariés. « Une chance ! J’ai eu une bonne référente qui connaissait mon travail. Elle a vu dans l’art la voie qui me correspondait le mieux », confie cette mère de famille au RSA (revenu de solidarité active) depuis 2018. « Habituellement, on nous pousse plutôt à tourner la page. »
Sortie d’isolement
Adeline C, de son nom d’artiste, a trouvé chez Solid’Arté une émulation qui l’a sortie d’un long isolement. « Je cherchais un soutien pour me remettre dans une dynamique de travail artistique, avec pour priorité de trouver une galerie pour exposer. » Elle a, depuis, pu refaire le tour de ses capacités, reprendre confiance en son trait minutieux, rencontrer des artistes grâce à l’association. S’épanouir de nouveau grâce à l’art, quitte à travailler huit à dix heures par jour. « Je fais ma première exposition personnelle en mai », se félicite la dessinatrice, qui présente une quarantaine d’œuvres à La Menuiserie, vaste espace dédié aux expositions bimensuelles des artistes. « Un travail hallucinant, très rock’n’roll et militant », résume son référent, Nicolas Kaiser, chargé d’accompagnement à l’association depuis trois ans.
A l’instar d’Adeline, d’Olivier, de Christophe, de Maxime, de Boris, d’Estelle ou de Manuela, 200 personnes sont accompagnées chaque année par Solid’Arté, née en avril 1993 et en convention depuis avec la Métropole de Lyon, son financeur essentiel. Sa mission : fournir « un appui aux parcours artistiques » et favoriser « l’insertion de l’artiste dans la cité ». « Toutes les disciplines y sont, du plasticien au tatoueur, en passant par les peintres, sculpteurs, vidéastes, photographes, écrivains, poètes, musiciens, comédiens, scénaristes ou fresquistes », résume Marie-Noëlle Duboisdendien, responsable de Solid’Arté. Une partie d’entre eux ont vécu des cassures de l’existence, des situations de rupture qui les ont psychologiquement fragilisés. « Il en faudrait beaucoup, des Solid’Arté. C’est un centre des urgences de la vie ! », confie Lesi, ancien technicien de spectacles vivants et de cinéma, avec un parcours de vie très difficile. Suivi depuis plusieurs années, il a monté un laboratoire expérimental du son et de l’image et collabore régulièrement avec d’autres artistes de la structure, réalisant par exemple des productions sonores lors d’expositions.
« Une cinquantaine d’autres présentent des troubles du spectre autistique, quelques-uns sont bipolaires, schizophrènes. Il y a eu aussi des entendeurs de voix, avec ou sans addiction… », précise Marie-Noëlle Duboisdendien, formée entre autres au job-coaching et à l’IPS, une méthode venue d’outre-Atlantique qui accompagne vers l’emploi en milieu ordinaire des personnes souffrant de troubles psychiatriques. Des artistes au RSA, dont les trois quarts sont épaulés pendant deux ans minimum, quelques-uns au-delà de cinq ans, et parfois plus. Le contrat d’engagement que chacun signe à l’entrée, après un entretien-diagnostic dressant à la fois un bilan de vie et des objectifs professionnels, est renouvelé tous les six mois. Une façon de suivre très étroitement l’évolution de leurs démarches et de leur activité. Ces 160 personnes sont aussi reçues en entretien cinq fois par an.
« Tout au long de l’année, ils ont des étapes qui n’entrent pas toutes dans les cases du cahier des charges de la Métropole, note Marie-Noëlle Duboisdendien, par ailleurs formée aux arts plastiques, elle-même peintre illustratrice. Un parcours d’artiste, c’est difficile, la temporalité est quelque peu distincte de celle d’un demandeur d’emploi classique. » Son équipe s’est donné pour mission de valoriser aussi auprès de l’institution la liste des tâches réalisées entre deux rendez-vous, quand bien même ce ne seraient pas des prestations rémunérées. Les 40 artistes restants sont orientés vers Solid’Arté par des structures partenaires – associations d’insertion référentes RSA, assistantes sociales de la Métropole, Pôle emploi… – pour une « étape diagnostic ». « Nous évaluons leur projet artistique et la possibilité de le mettre en économie. » Eux sont suivis pendant trois mois, avec un entretien mensuel.
Ces échanges que se partagent, pour moitié chacun, deux salariés de la structure sont à la base d’un travail bien plus vaste d’appui des multiples démarches, sous forme d’ateliers : dossiers administratifs (statuts, immatriculation, gestion…), réalisation de press-books… L’expérimentation de pratiques, l’organisation d’expositions, l’insertion dans un réseau d’artistes, est un autre volet. « Des ateliers permettent à nos bénéficiaires de tester auprès d’un public ce qu’ils cherchent à transmettre, d’avoir des retours et de prendre conscience de leurs possibilités réelles, de trouver confiance en eux », indique Nicolas Kaiser, qu’un parcours professionnel antérieur plutôt riche, notamment dans l’insertion, la musique ou l’art, a sensibilisé à ces problématiques. Ce parcours l’amène aussi à développer des actions au sein de Solid’Arté ou via son propre réseau.
« Nous expérimentons un accompagnement plus horizontal que vertical, confie Nicolas. Au-delà du travail, ce sont des histoires de vies que nous partageons ici. Beaucoup ont un bon niveau d’études, nous apprenons énormément nous aussi. » Bon nombre, en effet, ont fait les Beaux-Arts de Lyon, comme Olivier Martinet qui, depuis 2015 avec Solid’Arté, a reconstruit progressivement une œuvre. Fin mars, il présentait à la Menuiserie Bestiaire fantastique, une série de tableaux très élaborés et colorés qui interrogent sur le sens de la vie. D’autres ont fait l’Ecole de photographie d’Arles, l’Ecole nationale de musique de Villeurbanne, des écoles d’art comme celles de Condé, de Bellecour (graphisme), Emile-Cohl (dessin) ou encore la fac.
Ceux qui désirent monter un projet mais ne se sentent pas prêts d’y aller seuls peuvent aussi trouver au sein du dispositif d’autres artistes prêts à s’investir. Mutualiser, avec des lieux dédiés, sur place. Manuela Diabaye, par exemple, chanteuse de reggae, a dû quitter la scène pendant des années. Elle se réinsère dans la musique avec l’association et a pu financer cette année un premier album EP (« extended play »), avec quatre morceaux. « Solid’Arté permet de mixer les talents, c’est un tremplin », indique la chanteuse de 64 ans, qui a rencontré ici Arthur Guiraudon, un abonné aux petits boulots qui gravitait depuis toujours autour de la musique et voulait en faire son métier. Accompagné depuis juin 2021, il a pu monter sa maison de production, et c’est avec lui que Manuela réalise sa maquette. « Je ne savais pas comment créer une entreprise, l’immatriculer, confie cet ancien intérimaire “alimentaire”. J’ai trouvé ici l’aide qui m’a conduit à créer mon studio. »
Passerelles à l’extérieur
Au fil du temps, des passerelles se sont établies, notamment par le biais d’appels à projets auxquels l’association s’attelle. « Nous nous inscrivons depuis plusieurs années dans de gros événements, comme le programme Résonance de la Biennale d’art contemporain de Lyon », indique Nathalie Fradet, chargée du pôle “ressource et administratif”. « Les artistes, forts de leur expertise, initient eux aussi une dynamique et nous poussent à l’action. » D’autres ponts se sont établis grâce à des rencontres au sein de Solid’Arté ou à l’extérieur. Comme avec Farida Koubissy, à la tête de DMN (Dari Music Network), une web-radio fondée chez elle en 2012. « Je cherchais un local pour faire des rencontres artistiques », évoque cette passionnée de jazz et de gospel. Ainsi est né Un mercredi à Solid’Arté, une émission bimensuelle où elle interviewe des musiciens, des plasticiens suivis au lieu ressource, pour en faire la promotion. L’association a mis à sa disposition une salle où est désormais installé son studio de radio. « Mon logo, c’est un artiste de l’association qui me l’a créé l’an dernier. »
Une passerelle vers Clubhouse, aussi. Ce collectif d’entraide et d’insertion lyonnais (présent également à Paris et ailleurs) accompagne vers le rétablissement des personnes connaissant des problématiques de santé mentale. « Nous y avons rencontré un petit groupe d’artistes que nous avons proposé de conseiller et d’accompagner », indique Marie-Noëlle Duboisdendien. En a surgi le collectif Les Arts visibles, une association créée pour déstigmatiser les troubles psychiques au sein de laquelle se sont réunis des artistes de Clubhouse. Y ont également été intégrés des artistes de Solid’Arté concernés par des troubles psychiques ou sensibilisés à la cause. « Un partenariat fort s’est noué avec Solid’arté, qui nous accompagne de manière informelle », résume Nicolas Robin, trésorier des Arts visibles, lui-même autiste Asperger. « Les personnes y viennent en tant qu’artiste, uniquement », ajoute-t-il. Dès 2019, ce partenariat a donné lieu à des expositions, notamment dans le cadre de Résonnance, en 2022. « Certains de nos artistes sont aussi sélectionnés pour la Biennale Hors normes qui aura lieu en septembre prochain et promeut les œuvres de personnes qui se reconstruisent par l’art », se félicite Nicolas Robin.
Depuis juin 2021, Solid’Arté a intégré L’Association de l’hôtel social (Lhaso). Elle est désormais un des établissements de cette structure dédiée à l’insertion et à l’inclusion sociale qui regroupe plusieurs services, dont trois CHRS (centres d’hébergement et de réinsertion sociale), un accueil de jour et une crèche. « Cela nous a permis d’entrer dans la mouvance des acteurs de la solidarité et de montrer que nous aussi avons des artistes en insertion », note Marie-Noëlle. L’idée étant de les faire travailler auprès de publics fragiles des CHRS. Depuis fin mars, par exemple, un premier enregistrement du podcast « Démarches et des voix » a eu lieu au CHRS Bell’Aub de Lhaso, où sont accueillis des hommes. Ce rendez-vous avait été créé il y a déjà plusieurs mois pour mettre en avant des artistes de Solid’Arté. A l’origine du projet : Boris, peintre et auteur, Maxime, comédien et metteur en scène, et Nicolas, photographe et vidéaste, tous venus à Solid’Arté par le biais de l’étape diagnostic. Une bonne connexion les a aussi amenés à conjuguer leurs compétences. A leur actif, une vingtaine de rencontres en interne. Ou lors de la Biennale, à l’automne dernier.
« Interroger des artistes de Solid’Arté faisait déjà sens », résument les trois podcasteurs. Le CHRS Bell’Aub leur offre un premier contrat. « Nous sommes dans notre rôle d’artiste, dans un cadre où nous avons aussi un rôle social et celui de créer du lien. » Les histoires de vies qui se sont exprimées ici lors du premier rendez-vous les a passionnés. « Ces podcasteurs valorisent la parole de personnes atteintes dans leur estime de soi », constate Emilie Treynet. Cette animatrice et médiatrice culturelle à Lhaso y a découvert, pour sa part, des aspects de leurs parcours jamais dévoilés. « Des résidents voisins se découvrent en évoquant les belles choses qu’ils ont faites, des schémas se déconstruisent. » Le directeur général de Lhaso, Damien Delahaye, y voit une forme de pair-aidance qu’il veut encourager. « La culture et l’art sont de véritables outils d’insertion pour un public beaucoup plus large que le public artiste », affirme-t-il. Solid’arté compte bien diffuser ici aussi, son cercle vertueux.