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Assistants de service social : « Accompagner les bénéficiaires autant que les contrôler »

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Lola Zappi

Maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et chercheuse associée à Sciences Po, Lola Zappi est l’autrice de Les visages de l’Etat social. Assistantes sociales et familles populaires dans l’entre-deux-guerres (éd. Presses de Sciences Po, 2022).

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Remontée aux origines du travail social : dans un ouvrage tiré de sa thèse, Lola Zappi, historienne, montre comment les métiers de l’assistance sociale sont nés dans l’entre-deux-guerres pour lutter contre les « fléaux sociaux » que sont la pauvreté et la maladie. Et comment les problèmes de financement ont favorisé l’influence grandissante de méthodes managériales venues du privé.

Actualités sociales hebdomadaires - Le métier d’assistante sociale apparaît dans les années 1920. Pourquoi à ce moment-là ?

Lola Zappi : Déjà à la fin du XIXe siècle, il y avait la volonté de rationaliser l’action sociale pour éviter la multiplication des œuvres charitables proches du catholicisme social et les doubles perceptions d’aides. Mais ce qui est vraiment venu professionnaliser le domaine, c’est la Première Guerre mondiale. D’abord, parce qu’une grande désorganisation a engendré plus de pauvreté et de problèmes de santé des civils à l’arrière – ce qu’on a alors appelé les « fléaux sociaux », contre lesquels on voulait agir de manière préventive et plus seulement à titre palliatif. Se sont ajoutées les missions venues des Etats-Unis comme la Croix-Rouge ou la Fondation Rockefeller, arrivées en France pendant la guerre avec leurs travailleuses sociales professionnelles et qui ont disséminé ces nouvelles pratiques.

En quoi le métier d’assistante sociale consistait-il alors ?

A cette époque, en particulier dans les années 1930, l’Etat social est systématisé à l’ensemble du territoire. Surtout, deux grandes lois sont votées : entre 1928 et 1930, celle sur les assurances sociales, qui a rendu obligatoire pour les salariés le principe de protection contre les risques (chômage, maternité, vieillesse, maladie) ; et, en 1932, celle sur les allocations familiales, qui a généralisé dans l’industrie et le commerce le principe des allocations familiales distribuées aux familles ayant au moins deux enfants. Pour les services sociaux de l’époque, il s’agissait à la fois d’accompagner et de contrôler ceux qui bénéficiaient de ces nouvelles aides. Par le recours à l’enquête, les assistantes sociales évaluaient la situation des familles qui les demandaient, tant au niveau de leurs ressources, de leur état de santé que de leur moralité : il s’agissait de déterminer si ces familles « méritaient » l’aide. La deuxième partie de leur mission constituait une sorte de « rééducation ». Les professionnelles accompagnaient individuellement les bénéficiaires pour leur transmettre des normes de prévoyance budgétaire, d’hygiène, d’éducation des enfants, sous un prisme très moralisateur.

Vous avez en particulier travaillé sur le Service Social de l’Enfance (SSE). Quelle est sa spécificité ?

A l’époque, le SSE tenait une place très particulière, n’étant ni un service social d’assistance à la pauvreté, ni d’intervention sur des problématiques médico-sociales. Il intervenait pour des populations jugées déviantes, parce que déferrées au tribunal : lorsque des mineurs commettaient un délit ou, le plus souvent, quand on suspectait une maltraitance d’enfants. J’ai voulu explorer les spécificités de l’assistance éducative et voir comment elle s’inscrivait plus largement dans le paysage de l’action sociale. J’ai constaté que ce service était beaucoup plus intrusif et coercitif que les autres, avec davantage de visites à domicile (au moins une fois par mois, contre une par trimestre en moyenne pour les autres services). Et le SSE étant l’émissaire du tribunal, les familles craignaient que leurs enfants soient placés, avec d’emblée une très grande méfiance. Mais la logique d’intervention du SSE était finalement identique à celle des autres services : la prévention des risques à partir d’une constatation de faits.

L’écrasante majorité de ces nouveaux travailleurs sociaux étaient des femmes…

Comme aujourd’hui, le discours de la vocation et du dévouement venait justifier le fait qu’elles soient peu payées : c’était censé être autant une carrière qu’un objectif de vie… Pour comparer avec un autre métier féminin en plein essor, une assistance sociale gagnait moins bien sa vie qu’une secrétaire dans un bureau. Cette professionnalisation est intéressante à observer, parce qu’on y a introduit des compétences très techniques (cours de comptabilité et de médecine), tout en continuant à faire appel à des qualités dites « féminines » et « innées » comme le tact, l’empathie, l’écoute. Le discours était ambigu : former les assistantes sociales pour les différencier des dames bénévoles officiant auparavant, tout en continuant de mettre en avant que ce métier reposait sur des qualités innées…

Par qui étaient-elles employées, le secteur public ou le privé ?

Il existait une grande porosité entre les deux secteurs. Enormément d’œuvres privées agissaient auprès d’administrations publiques, y compris au sein des plus emblématiques (le tribunal, l’école, l’hôpital). Par exemple, les infirmières-visiteuses qui travaillaient dans les hôpitaux ou les écoles étaient presque toutes employées sous contrat privé. L’argument était avant tout financier. Dès les années 1920, on expliquait qu’il était moins onéreux de faire appel à des œuvres privées. Cet argument se cachait parfois derrière celui de la souplesse du privé par rapport à l’assistance publique, présentée comme un monstre archaïque et rigide, incapable de se renouveler. Dernier argument : les républicains modérés, qui tenaient les municipalités à Paris, ne voulaient pas créer un nouveau corps de fonctionnaires indéboulonnables. En contrepartie, l’Etat a mis la main sur la formation pour s’assurer qu’elle réponde aux besoins définis par ses soins. En l’occurrence, elle a été réorientée vers plus de médical et de médico-social, dans une logique hygiéniste de prévention des risques sanitaires plutôt que vers de l’accompagnement psychosocial, comme les assistantes sociales le revendiquaient.

En tant qu’historienne, quel regard portez-vous sur les services sociaux d’aujourd’hui ?

Ils ont encore ce rôle précieux de lien social et d’accompagnement des personnes les plus précaires. Avec la crise du Covid, on a constaté à quel point les travailleurs sociaux sont essentiels. Mais il ne faut pas pour autant perdre l’analyse critique du métier et oublier sa dimension de contrôle social. Je pense notamment aux travaux des sociologues Vincent Dubois et Nicolas Duvoux sur l’accompagnement des chômeurs ou des RMIstes. L’autre enjeu est d’être très attentif à la manière dont l’Etat fixe les objectifs et les moyens. Les problèmes financiers dans l’action sociale sont vieux comme le monde, c’est évident. Mais les réponses apportées changent : dans les années 1930, on a répondu à la contrainte économique en instaurant une porosité entre public et privé, sous couvert de complémentarité entre des administrations publiques solides et des œuvres privées innovantes. Depuis les années 1980, nous sommes dans une autre logique : l’utilisation de méthodes managériales venues du privé pour gérer les services sociaux publics.

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