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Qualité de vie au travail : diriger par les valeurs, un défi payant

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Crédit photo Pixel-Shot - stock.adobe.com
La nécessité de repenser les modes managériaux en passant d’une gestion « verticale » du personnel à des fonctionnements plus participatifs apparaît de plus en plus nettement dans les ESSMS. Pour la sociologue Colette Doumenc, présidente du cabinet d’experts en ressources humaines et management Ihos et vice-présidente de l’Institut de recherche-action en sociologie, sémiotique et communication (Irass), le « management par les valeurs », qui suppose empathie et écoute des salariés, répond bien aux enjeux du secteur social et médico-social. Mieux accueillir, mieux écouter, mieux accompagner : autant de défis à relever pour favoriser l’attractivité.

Actualités sociales hebdomadaires - Le déficit de réflexion sur un management plus « actuel » dans les ESSMS est déploré par nombre d’experts. Constatez-vous néanmoins des évolutions ?

Colette Doumenc : C’est certain. Longtemps, le terme de « management » a été diabolisé dans les ESSMS [établissements et services sociaux et médico-sociaux], étant nettement connoté à l’image de l’entreprise à forte valeur capitalistique, qui ne leur paraissait correspondre ni à leur activité ni à leurs valeurs. C’est dommage, car cela a fait prendre quinze ans de retard au secteur. Au-delà de ce premier constat, quand les établissements ont commencé à réfléchir à la question, ils ont d’abord voulu mettre en place ce qui leur semblait bien correspondre à leur idéologie et se sont axés essentiellement sur le management participatif, tourné vers l’humain. Mais ils y ont assorti une espèce de boîte à outils pour techniciser la démarche, qui s’est révélée totalement inopérante. Pour deux raisons principales : on ne peut pas manager seulement avec des outils, au risque d’oublier l’humain, qui est l’essence du management participatif ; et on ne peut pas manager uniquement par du participatif. C’était peut-être valable dans les années 1980, mais plus en 2023. En effet, les organisations ont dû s’adapter à de nouveaux enjeux, tant au niveau de leurs salariés et des exigences règlementaires qu’à celui de leur fonctionnement.

Pourquoi cet intérêt nouveau pour le management ?

Les établissements ont dû faire face à un constat d’échec. Le fonctionnement traditionnel, avec une organisation de la « gestion du personnel » centralisée, très hiérarchisée et « descendante », n’était plus adapté aux « managés » eux-mêmes. Certains responsables ont alors commencé à faire appel à des experts et à leur accorder leur confiance. Ils ont ouvert leur champ de vision vers des travaux qui témoignent de la nécessité de rénover des pans entiers de la pensée pour améliorer les pratiques. De plus, le secteur a vu arriver des dirigeants beaucoup plus familiarisés à la question managériale. Soit parce que, individuellement, ils ont eu la curiosité de se confronter à d’autres modèles ; soit parce qu’ils venaient d’ailleurs. Ces derniers vivent souvent un vrai choc culturel, ils doivent s’acculturer, être accompagnés, ils perdent leurs repères. J’ai, par exemple, travaillé avec un directeur venant du secteur de la banque et de la finance, où il avait connu de vraies pratiques managériales en termes d’évaluation des professionnels, d’organisation du travail, de rencontres avec les salariés, le tout associé à une certaine souplesse. Quand il est arrivé à la tête d’un ESSMS, il a dû se confronter à un cadre très rigide. On lui a ainsi signifié que les réunions avaient lieu seulement le mercredi matin, qu’il était hors de question de réaliser des évaluations du personnel… Cela a été un vrai choc.

Vous prônez la mise en place d’un management « par les valeurs ». Cette recommandation s’applique– t-elle plus particulièrement aux ESSMS ?

Pas uniquement. Aujourd’hui on ne décide pas d’appliquer un modèle parce qu’on a découvert un mode de management qui nous séduit, mais à partir des spécificités de son entreprise, de son association, de son établissement… Il faut envisager la situation en fonction des « managés », pas d’un secteur ou d’une activité. Je prône le management par les valeurs, parce que c’est le seul pour lequel on a des résultats, dont on a pu mesurer scientifiquement l’efficacité en termes d’abaissement des coûts de la santé au travail, de l’absentéisme. Les travaux de Tania Singer, chercheuse en neurosciences sociales, ont souligné une baisse de 46 % du coût de la santé pour les employeurs qui intègrent l’empathie dans leur façon de diriger, et le constat a été fait que ces structures devenaient 20 % plus performantes que leurs concurrentes. Ce type de management qui existe depuis un peu plus de vingt ans a été expérimenté dans de grandes entreprises, notamment les Gafa, qui ont commencé à travailler avec des laboratoires, des psychologues, des neuroscientifiques, des consultants…, en se demandant ce qui peut favoriser la qualité de vie au travail. Les études montrent que les valeurs qui produisent de meilleurs résultats sont l’empathie et la bienveillance, que l’on retrouve de manière systématique dans des projets associatifs et d’établissement.

Or, très paradoxalement, les dirigeants des ESSMS les appliquaient peu. Je leur dis souvent aux managers : « Vous avez placé les personnes accompagnées au centre de l’organisation, maintenant il faut y mettre aussi les salariés, ne pas partir de vous-mêmes mais d’eux. Cessez d’écrire seuls des chartes managériales, demandez-leur de les écrire avec vous, prenez ce risque-là. » Il faut modifier le regard, partir d’une réalité : quelles sont les ressources humaines, quelle est mon équipe, quelles sont ses motivations ? On ne manage pas un troupeau, mais des individus.

Comment mettre en place les bases d’un management de ce type ?

Au départ, la tendance a été de s’engager dans cette démarche sans comprendre qu’elle doit être extrêmement bien construite. C’est-à-dire que des directeurs d’établissement ou des chefs de service demandaient l’avis des salariés en réunion mais qu’ensuite, ils faisaient ce qu’ils voulaient, en les considérant ou pas. Des préalables à l’engagement sont nécessaires : mettre les fiches de poste à jour, établir un nouveau règlement intérieur véritablement pensé, qui inclut les déterminants culturels de l’établissement… Je constate cependant que les directions sont de plus en plus attentives. On me demande aujourd’hui de travailler sur des projets associatifs pour développer la marque employeur, engager l’adhésion des salariés sur des enjeux d’attractivité. Une nécessité, surtout depuis cinq ans et encore plus après la crise sanitaire, avec l’arrivée de nouvelles générations de salariés qui considèrent que leur qualité de vie est plus importante que leur boulot ! C’est une occasion de renouveler les pratiques, de se rendre compte qu’on est au bout d’un système.

Dans une étude que vous citez, deux qualités arrivent en tête des attendus des salariés à l’égard de leurs managers : être juste et avoir le sens de l’humour…

L’équité est effectivement la première valeur déterminante. Une étude a démontré que les salariés préfèrent un supérieur au caractère rude mais juste et compétent à un « amateur » sympathique. C’est cette même étude qui met en seconde place le sens de l’humour. J’adore ce résultat, qui prouve que la technicité du management a ses limites. Car le sens de l’humour ne s’apprend pas ! La personnalité du manager est donc une condition nécessaire, certes, mais pas suffisante. Il doit également acquérir des compétences. Aujourd’hui, un salarié ne va pas respecter le chef juste parce que c’est le chef. Il s’en fiche, les codes ont changé et les établissements et services sociaux et médico-sociaux doivent le comprendre. Je prône l’intervention, y compris dans les formations initiales, de formateurs bons « techniciens » du management, mais également d’intervenants dirigeants de start-ups, de cabinets d’avocats ou autres, qui travaillent donc dans d’autres secteurs. Pour sortir de l’entre-soi, pour apprendre notamment à gérer les conflits, une problématique très présente dans le secteur. Il faut accepter de prendre des risques, d’apprendre l’écoute et la délégation. Les responsabilités qu’ils portent font que les directeurs et les cadres des établissements sont souvent des gens plutôt anxieux. J’ai rencontré une cadre, par exemple, qui ne validait les congés que dix jours avant, par peur de perdre ce contrôle… Il faut dépasser cela.

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