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Groupes d'entraide mutuelle : « Il s’agit de les instituer, non de les institutionnaliser »

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Jean-Yves Barreyre

Le sociologue et chercheur Jean-Yves Barreyre a codirigé une étude intitulée « Le pouvoir d’agir des GEM à l’épreuve de la crise sanitaire »

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Le sociologue et chercheur Jean-Yves Barreyre a codirigé une étude intitulée « Le pouvoir d’agir des GEM à l’épreuve de la crise sanitaire » qui révèle, entre autres, la grande adaptabilité de cet écosystème et les dérives potentielles auxquelles il doit faire face. Il revient également sur différents « impensés » pesant sur l’entraide mutuelle, tels que le rôle et le statut des salariés, les écueils de la délégation de gestion financière ou encore la place des personnes souffrant de problèmes psychiques dans la cité.

Actualités sociales hebdomadaires - Près de vingt ans après la création des GEM, ce modèle d’entraide mutuelle est-il toujours pertinent ?

Jean-Yves Barreyre : L’ensemble des politiques sanitaires et médico-sociales convergent aujourd’hui vers la notion de « travailler avec » les personnes accompagnées, et non plus de « travailler auprès » d’elles. Les établissements spécialisés sont fortement incités à prendre ce virage qu’on appelle « inclusif », même si ce terme ne veut pas dire grand-chose. Or les structures savent assez peu faire cela, hormis certaines expériences intéressantes en psychiatrie ou dans le médico-social. « Travailler avec » ne se résume pas à demander aux gens ce qu’ils souhaitent manger à midi ! Lorsqu’on a créé les GEM en 2005, tout le monde était très enthousiaste, justement parce que ce dispositif citoyen correspondait très bien à l’évolution philosophique voulue par les pouvoirs publics. Le problème est que, un peu moins de deux décennies plus tard, on fait porter aux GEM l’entière responsabilité de ce nouveau paradigme. On leur demande de reconstruire le contrat social, de retisser du lien et de la confiance entre les gens, alors que ce sont des réponses qu’on devrait donner à l’échelle de toute la société. D’autant que la crise sanitaire a montré à l’ensemble de la population française qu’elle pouvait être vulnérable. Si j’étais cynique, je dirais qu’un gouvernement a tout intérêt à privilégier l’entraide mutuelle plutôt que de laisser se développer un terreau pour une potentielle contestation ou pour des luttes collectives. En dehors des GEM, très peu d’espaces alternatifs favorisent ce rapprochement.

Quel est le chemin pour les GEM entre le risque de devenir des structures médico-sociales « comme les autres » et celui de se déliter par manque d’organisation, de « colonne vertébrale » ?

Il s’agit, non pas d’institutionnaliser les GEM, mais de les instituer. De donner à ces associations autonomes un cadre structurant pour qu’elles puissent participer à la vie publique. Mais l’objectif n’est certainement pas de créer de nouvelles institutions spécialisées. Les soignants ou l’accompagnement médico-social n’ont rien à faire dans un GEM. Les salariés y ont un rôle tout à fait singulier : ils s’adaptent en permanence, adoptent une posture qui change en fonction des humeurs de chaque personne présente dans le GEM, tiennent compte de la multitude des profils et des compétences des adhérents. Si cette variabilité est magique, les salariés des GEM se retrouvent souvent très isolés. Contrairement aux institutions sociales et médico-sociales, où les professionnels font partie d’un groupe organisé et protecteur, les animateurs sont parfois livrés à eux-mêmes. Ce terme d’« animateur », plutôt issu de l’éducation populaire, n’est d’ailleurs pas adéquat, leur travail quotidien étant d’appuyer l’autonomisation de personnes souffrant de troubles psychiques, dans la perspective où ce sont bien elles qui gèrent leur propre conseil d’administration, leurs propres demandes de subventions et leurs propres activités. Les salariés de GEM sont dans la recherche d’une relation symétrique avec les adhérents, où chaque savoir, chaque avis est légitime. Même si avoir une expérience de la vulnérabilité est important, l’accès à ce type de poste ne doit pas être limité aux profils du social ou du médico-social. Soutenir les compétences, ne pas induire de décisions collectives, voilà une posture professionnelle nouvelle qui exercera à l’avenir une influence très forte sur tous les métiers du social.

Le « pouvoir d’agir » des adhérents de GEM n’est-il pas parfois entravé par les relations avec les structures gestionnaires ?

Notre enquête révèle que 25 % des GEM interrogés rencontrent des difficultés avec leurs associations gestionnaires. Au lieu de parler de « délégation de gestion », on devrait utiliser les termes de « mission d’appui » à la gestion financière ou aux ressources humaines. L’objectif à moyen terme de la structure médico-sociale devrait être son retrait pour favoriser l’autonomisation du GEM. Plus largement, il faudrait établir une charte éthique entre les groupes d’entraide mutuelle, le Collectif national interGEM, la Haute Autorité de santé et une grande fédération d’associations. Un tel texte multipartite éviterait, par exemple, qu’une structure médico-sociale gestionnaire considère que les salariés du GEM sont ses propres salariés. Pendant la crise sanitaire, certains animateurs de GEM ont ainsi été réquisitionnés et déplacés pour travailler dans des maisons de retraite. Une aberration totale !

Le modèle économique des GEM étant très peu coûteux, la tentation n’est-elle pas grande de les utiliser pour pallier le manque de structures ?

Bien sûr, le risque est réel. Même si les GEM ne sont pas des établissements spécialisés, personne n’a réfléchi à leur place dans le dispositif global de réponse sanitaire et médico-sociale. Cet impensé entraîne des situations bancales. En ne donnant pas assez de moyens à un centre médico-psychologique, par exemple, si ce dernier est débordé, il peut décider d’envoyer certains de ses usagers vers le GEM le plus proche. Ce n’est pourtant pas un lieu de soin, il n’est censé recevoir que des personnes stabilisées. On voit la même chose avec les personnes autistes : dans la mesure où il n’y a rien pour les accueillir, hormis les hospitalisations psychiatriques, ce manque d’étayage peut retomber sur les GEM. Une solution de facilité accentuée par le fait que ce sont des dispositifs qui ne coûtent vraiment pas cher, c’est le moins que l’on puisse dire !

Les GEM contribuent-ils à faire émerger la notion de « santé mentale » ?

Pendant longtemps, il n’y avait que deux manières d’entendre parler des maladies mentales : soit à travers le travail de pédagogie effectué par les pouvoirs publics pour expliquer certaines pathologies, soit par le biais de faits divers sordides qui agitent les peurs. Depuis, Santé mentale France a mis en place les premiers secours en santé mentale qui s’adressent au grand public, et on entend de plus en plus parler d’« entraide mutuelle ». Grâce aux GEM, des personnes lambda assistent à un concert organisé par les adhérents d’une association installée près de chez eux, ils boivent un coup ensemble, se retrouvent au détour d’une exposition… Il ne s’agit plus de patients enfermés dans un hôpital psychiatrique, sinon de vos voisins, des habitants de votre quartier qui organisent une soirée culturelle ou qui préparent la soupe à la fin d’un triathlon. L’entraide mutuelle et le « pouvoir d’agir » des GEM favorisent ces échanges avec le reste de la société.

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