Recevoir la newsletter

 Territoires zéro chômeur de longue durée : diriger autrement

Article réservé aux abonnés

L'expérimentation "Territoire zéro chômeur de longue durée" a débuté en 2016

Crédit photo TZCLD
Embaucher en CDI des personnes éloignées de l’emploi pour des activités non concurrentielles répondant aux besoins d’un territoire. C’est le principe de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée » (TZCLD) lancée en 2016. Pour Annaïg Abjean, ancienne directrice de la mission régionale d’information sur l’exclusion en Rhône-Alpes, co-auteure avec Jean-Christophe Sarrot de « Repenser l’emploi avec les Territoires zéro chômeur de longue durée »(1), c’est aussi une formidable contribution des personnes en situation d’exclusion au mieux vivre ensemble.

La réforme des retraites a remis en lumière la question des conditions de travail. Qu’est-ce que cela vous évoque ?

Depuis 2017, la question de l’emploi « décent et soutenable » se pose pour l’ensemble des personnes en activité. Pas seulement pour celles qui en sont privées, pour qui l’expérimentation TZCLD tente de répondre en créant autant d’emplois que de besoins. La « privation d’emploi » se définit comme l’impossibilité d’accéder à un emploi décent. Soit parce qu’on n’en trouve pas, soit parce que ceux proposés ne sont pas assez stables ou rémunérateurs. Or, ce que nous montrons dans notre livre, c’est que les personnes en situation d’exclusion nous ont appris énormément sur l’emploi en général. Les discussions actuelles sur la réforme des retraites renvoient aux enjeux de cet emploi « décent et soutenable ». A savoir, selon la définition de la psychologue du travail Dominique Lhuilier, un travail qui n’altère pas la santé, se relie à des valeurs importantes pour celui qui l’exerce, respecte la diversité, n’exclut pas ceux qui rencontrent des difficultés, permet des marges de liberté dans le rythme de travail, les manières de faire et de coopérer, et propose des conditions d’exercice ainsi qu’une sécurité socio-économique satisfaisantes. C’est ce que nous essayons de produire dans le cadre de TZCLD. Car la crise de l’emploi se double bien d’une crise du travail. Et même si l’on parvient à faire baisser le chômage, il restera toujours ce problème d’emploi « décent et soutenable ». Les professionnels du travail social et du soin le savent mieux que personne.

Comment justement les personnes sont-elles recrutées dans TZCLD ?

Cela dépend de chaque territoire. A Villeurbanne (Rhône), où j’y ai participé, nous nous en sommes tenus aux deux critères définis par l’expérimentation: être privé d’emploi depuis un an et habiter le territoire depuis six mois. Mais aucun justificatif n’était demandé. L’idée est que chacun puisse se déclarer, tant les jeunes qui ne se sont jamais inscrits à la mission locale que les mamans qui souhaitent retravailler. Qu’ils aient l’information, considèrent que le dispositif les concerne et trouvent un espace, collectif ou individuel, suffisamment ouvert pour se déclarer. Il y a même des personnes qui vont venir cinq fois avant de le faire… Dans certains territoires, Pôle emploi est en charge du recrutement. A Villeurbanne, l’équipe projet lui a proposé de tenir des permanences dans le quartier où est implantée l’entreprise à but d’emploi (EBE). Devant le succès de la démarche, Pôle emploi a décidé de dupliquer ces permanences dans tous les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ce qui montre encore une fois que TZCLD essaime bien au-delà du territoire concerné.

La centralité du projet professionnel dans l’accompagnement n’est pas toujours pertinente, selon vous…

C’est ce que j’ai constaté à maintes reprises avec les personnes privées d’emploi. Le projet professionnel est un préalable et pour le définir, on réfléchit en termes de métier ou de secteur d’activité. Pour ceux qui n’y parviennent pas, cela signifie qu’ils ne sont « pas prêts à travailler ». Or, ce n’est pas toujours ce qu’ils vont faire mais les conditions dans lesquelles ils vont le faire qui leur importe: travailler avec des gens qu’ils connaissent, avec une petite équipe ou avec des gens qui savent faire le travail et transmettront leurs connaissances. Cela peut aussi être l’absence de tâches répétitives ou, au contraire, dans le fait d’être responsable de son travail, que le chef connaisse leur prénom, qu’ils puissent s’absenter pour des rendez-vous médicaux ou pour leur enfant handicapé… Ce sont des projets professionnels tout aussi légitimes, qui ouvrent tout un pan inexploré de l’accompagnement vers et dans l’emploi. Ce que l’on comprend avec TZCLD, c’est que ces conditions peuvent suffire. Des personnes correspondant à ce profil, placées dans un contexte favorable pour elles, apprennent très bien. Elles font, par exemple, de bons candidats aux actions de formation en situation de travail (Afest), issues de la loi de 2014 sur l’économie sociale et solidaire et entrées dans le code du travail en 2018.

Vous avez participé à l’écriture d’un référentiel. De quoi s’agit-il ?

Il s’agit d’un référentiel d’auto-évaluation sur les compétences transversales. Il a été entièrement construit avec les salariés à partir de leurs pratiques dans l’entreprise. En posant la question de ce qui leur était nécessaire pour réaliser certaines tâches: résister à la pression, être à l’heure, respecter les consignes de sécurité… Nous avons repris les 14 compétences transversales de Pôle emploi, mis en correspondance les situations de travail et les compétences, puis défini quatre pas pour chaque situation. Ce ne sont pas des échelons, car si le pas n° 3 signifie « savoir animer une réunion » alors qu’on n’arrive pas à faire le pas n° 1, qui est d’« arriver à l’heure à la réunion », on ne peut pas prétendre se situer au pas n° 3. Ensuite, si l’on veut progresser, on peut identifier un collègue qui est au pas n° 4, faire appel aux ressources humaines, demander une formation… Ce référentiel est utilisé individuellement en fonction des besoins et collectivement, avec une attention particulière chaque mois sur une compétence.

Pourquoi dites-vous que le management est sous-investi dans TZCLD ?

Dans ce qui est rendu visible de l’expérimentation, très peu de choses relèvent du management. Il n’est pas évalué non plus, alors qu’il me semble central. Dans une EBE, il y a très peu d’encadrement intermédiaire et pas de suivi social internalisé. Les emplois sont non concurrentiels et les personnes ont un rapport au travail à reconstruire. Ce qui oblige à manager différemment, en prenant en compte les enjeux de circulation d’informations et de compétences, car il y a beaucoup de formation par les pairs dans les EBE. Les questions de coopération sont aussi très prégnantes car les clients sont vos voisins. Le périmètre de la bienveillance en entreprise, enfin, se trouve bousculé. L’objectif est de tenir dans l’emploi et la responsabilité d’y parvenir est collective. Ce qui devrait, selon moi, constituer un indicateur de réussite et de performance.

Qui sont les managers dans les EBE ?

La plupart du temps, ce sont des personnes avec une compétence métier ayant l’envie d’exercer dans d’autres formes d’entreprises. Pour la direction, c’est assez varié. Certains directeurs ont fait toute leur carrière dans le privé, d’autres viennent de l’insertion par l’activité économique ou de structures d’accompagnement. Les âges sont aussi très divers, de 30 à 60 ans. C’est généralement à l’image des territoires et des options prises pour déployer l’expérimentation. Si le président est un jeune retraité ancien directeur administratif et financier, l’EBE recrutera certainement un directeur ayant l’expérience de l’accompagnement des publics fragiles. Sur un territoire où il y a beaucoup de bénévoles, un profil de directeur plus gestionnaire sera peut-être privilégié. L’essentiel est d’avoir un collectif qui tient la route.

Vous parlez aussi de travailler « l’employeurabilité ». Qu’entendez-vous par là ?

Les modalités de recrutement restent en décalage avec la réalité du marché du travail. Il faut sortir du schéma selon lequel la privation d’emploi est un choix délibéré de profiter du système et parvenir à considérer l’emploi comme un « commun social ». Ce qui suppose de se soucier autant de l’employeurabilité que de l’employabilité. Aujourd’hui, les entreprises commencent à en prendre conscience, surtout dans les secteurs en tension. Elles comprennent que si elles ne parviennent pas à recruter, ce n’est pas seulement parce que les gens sont « fainéants » ou que les opérateurs d’emploi font mal leur boulot. Les entreprises partenaires de TZCLD observent comment on recrute sans sélection, sans fiche de poste, avec pour seul objectif d’embaucher tout le monde. L’idée est de favoriser les rencontres avec les pratiques des entreprises de manière plus organisée. La porosité ne doit plus être cantonnée à la marge.

Notes

(1) Ed. Quart Monde-Les Petits matins, octobre 2022 – Voir ASH n° 3284 du 25-11-22, p. 37.

Management

Métiers et formations

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur