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MNA et addictions : « Proposer des dispositifs à bas seuil d’exigence »

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Clément Gérôme

Clément Gérôme est co-auteur, avec Caroline Protais et Fabrice Guilbaud, de la note « Usages de drogues et conditions de vie des “mineurs non accompagnés” », publiée par l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (Ofdt), octobre 2022.

Crédit photo DR
Une enquête sur les usages de drogues et les conditions de vie de mineurs maghrébins isolés à la rue montre pourquoi il est difficile de les accompagner efficacement. Le docteur en sociologie Clément Gérôme, l’un des auteurs de l’étude, revient sur la singularité de ce public et la nécessité d’un soutien adapté.

Actualités sociales hebdomadaires - Qu’est-ce qui caractérise les jeunes étrangers isolés, usagers de drogues ?

Clément Gérome : Le public ciblé par notre enquête se compose d’enfants, d’adolescents ou de très jeunes majeurs isolés, majoritairement de sexe masculin. Ils viennent en grande partie du Maroc, plus rarement d’Algérie ou de Tunisie. Dans les métropoles françaises depuis le début des années 2010, leurs conditions de vie sont marquées par une grande marginalité liée à l’absence de logement et de revenus autres que ceux issus d’actes de délinquance. La plupart d’entre eux n’effectuent pas de demande de reconnaissance de l’isolement et de la minorité. Leur consommation de substances psychoactives s’avère très importante et leur état de santé lourdement dégradé.

Quel lien existe-t-il entre cette consommation de drogues et leurs parcours de vie ?

Les souffrances psychiques liées aux traumatismes vécus durant les parcours migratoires et biographiques se matérialisent par des symptômes de stress post-traumatique importants. De plus, les conditions de vie à la rue engendrent des problèmes sanitaires similaires à ceux de populations en grande précarité tels que des maladies de peau ou des blessures liées à des bagarres. Comme ceux des individus touchés par la grande pauvreté, les usages de drogues et de médicaments n’ont que ponctuellement lieu dans un cadre festif. Ils obéissent à d’autres fonctions. La première relève de l’auto-thérapeutique : diminuer les douleurs somatiques et/ou psychiques. Par exemple, le stress qui empêche l’endormissement va s’atténuer par la consommation de cannabis. La désinhibition et la confiance en soi représentent d’autres objectifs. Les produits anxiolytiques couplés à l’alcool diminuent l’angoisse et permettent de se donner de l’assurance pour pratiquer des vols. Le produit utilisé pour faire la fête entre jeunes est plutôt la MDMA, plus connue sous le nom d’« ecstasy ». Connaissant mal les effets de ces substances, ils s’exposent à des surdoses et à devenir très dépendants.

Ces spécificités posent-elles problème dans leur accompagnement ?

Pour recenser les données, nous nous sommes appuyés sur le dispositif « Tendances récentes et nouvelles drogues » (Trend) de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives dont les travaux sont menés auprès de populations en situation de grande exclusion ayant une consommation élevée de substances illicites et médicamenteuses, hors protocoles thérapeutiques. Nous disposons de très peu d’informations recueillies auprès des jeunes. Les résultats de notre étude émanent donc majoritairement de points de vue d’éducateurs spécialisés de l’aide sociale à l’enfance (ASE) et de travailleurs sociaux spécialisés dans les comportements addictifs des jeunes, qui les repèrent via des maraudes. Ces professionnels rencontrent des difficultés pour les capter et les aider, car ces jeunes étrangers isolés ne parlent pas français et fuient les institutions.

Qu’est-ce qui freine les mineurs à demander une protection ?

Les raisons sont multiples. L’ancrage du mode de vie à la rue, l’importance des liens avec le groupe de pairs ou la recherche de substances psycho-actives auprès d’adultes qui les exploitent en font partie. La fréquentation des services sociaux et sanitaires reste ponctuelle, elle vise à pallier les problèmes quotidiens comme se rendre à l’hôpital pour des soins ou dans des associations pour accéder aux prestations d’hygiène et à des solutions de mise à l’abri. Mais cela ne va pas plus loin, d’autant que la consommation de drogue les met à distance des rendez-vous. La migration répond à un manque de perspectives dans le pays d’origine. Leur projet consiste à envoyer de l’argent à leurs proches. Comme la reconnaissance de la minorité et de l’isolement prend du temps et ne permet pas d’obtenir un travail, l’alternative repose sur la délinquance.

Existe-t-il des dispositifs capables de prendre en charge leurs difficultés ?

Les dispositifs existants sont inadaptés. Le statut de mineur non accompagné (MNA) reconnu, ils sont orientés vers des foyers de l’ASE et les professionnels auditionnés sont formels : le cadre reste inadéquat. Il est impossible pour le jeune de respecter un règlement intérieur qui interdit de consommer des substances illicites ou de l’alcool. Les troubles psychiques et les phénomènes de sevrage mènent vers des décompensations, des délires ou des conduites auto-agressives. Les équipes éducatives ne sont ni préparées ni formées à la gestion de telles crises de violence auxquelles s’ajoute la barrière de la langue. Ces actes mettent en péril l’équilibre des structures d’accueil. Par ailleurs, les travailleurs sociaux sont démunis face à l’usage dramatique de benzodiazépines. Ces adolescents s’inscrivent donc rarement dans des accompagnements pérennes.

Reste la réaction judiciaire à leurs actes de délinquance…

La réponse pénale apportée connaît des limites. Plusieurs études montrent que les juges sont plus sévères avec ces jeunes qu’avec d’autres mineurs délinquants. Le déferrement devant un juge ou le placement en détention provisoire sont plus fréquents. L’isolement social et la stigmatisation dont ils sont victimes posent par ailleurs des problèmes au sein des centres éducatifs fermés. Les intervenants font face aux mêmes problématiques que celles des foyers de l’aide sociale à l’enfance. Les mineurs ne disposent pas de représentant légal. Bien qu’une note gouvernementale de 2018 facilite la coordination entre les services, l’accès à des interprètes ou à des conseillers en insertion professionnelle reste aléatoire. Grâce au repos, aux repas réguliers et à un travail sur les addictions, l’incarcération peut avoir un intérêt pour quelques-uns. Mais faute de solutions proposées à la sortie, ces bénéfices s’estompent vite.

Quelles solutions envisager pour aider ces jeunes ?

Seule la mise en place de dispositifs d’accueil à bas seuil d’exigence est appropriée. Cela suppose de les laisser libres d’aller et venir, que la durée d’accompagnement ne soit pas définie et que la question de la consommation de produits ne soit pas taboue. Une prise en charge pluridisciplinaire s’avère aussi nécessaire. Les médecins doivent pouvoir prescrire des cachets afin d’éviter le recours au marché noir. Quelques initiatives commencent à émerger en ce sens. Mais il faudrait également mesurer l’emprise des réseaux d’adultes sur ces jeunes car l’influence de ces derniers les tient à distance de l’accompagnement socio-sanitaire. Peu documentée, la continuité des parcours des jeunes arrivés il y a dix ans laisse à désirer. La plupart continuent de consommer tout en pratiquant des activités illégales.

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