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Handicap : des intervenants experts d’usages pour former les travailleurs sociaux

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Photo prise lors du Congrès 2022 de Paralysie Cérébrale France

Crédit photo Paralysie cérébrale France - Studio Isabelle Limbach
Les premiers intervenants experts d’usages – formés dans le cadre d’un projet porté depuis un an par la fédération Paralysie cérébrale France – commencent à transmettre leurs expériences aux futurs professionnels au sein des écoles du travail social. Ce dispositif pilote, dont le format est proche de celui d’une recherche-action, permet à des personnes en situation de handicap non seulement d’être actrices de leur futur accompagnement, mais aussi de promouvoir leur montée en compétences. Julia Boivin est à l’initiative de ce projet. Consultante et formatrice indépendante, elle a notamment mené une mission « autodétermination et pair-aidance » dans une association gestionnaire d’établissements et services médico-sociaux. Jacky Vagnoni est quant à lui président de Paralysie cérébrale France.

Les travailleurs sociaux manquent-ils d’outils pour mieux appréhender les différentes facettes de la paralysie cérébrale ?

Jacky Vagnoni : Le modèle français d’accompagnement des personnes en situation de handicap est en pleine transformation. Ce processus a pour objectif de favoriser la prise en compte des principaux intéressés, afin que les dispositifs d’étayage – établissements, personnels, services publics en général – répondent vraiment à leurs besoins et à leurs aspirations. Nous souhaitons leur donner une vraie place, y compris dans la pratique professionnelle.

Julia Boivin : Quand j’ai commencé à intervenir en tant que formatrice au sein des foyers d’accueil médicalisés (FAM) ou des maisons d’accueil spécialisées (MAS), j’ai vite repéré l’un des écueils majeurs de ces temps d’échanges : j’étais toujours la seule à parler et jamais les personnes accompagnées. J’ai donc eu envie d’aller chercher les principaux intéressés, ceux qui vivent le handicap au quotidien. On ne les entend que très rarement, parce qu’ils ont parfois de gros troubles d’élocution et des difficultés à se déplacer. Ils ont pourtant beaucoup de choses à dire. J’ai voulu mener des interventions, sans m’arroger le droit de raconter leur vie avec mes mots. Ce projet de patients-experts met les personnes en situation de handicap en position de prendre elles-mêmes la parole. Lors de mes interventions dans des écoles de formation, personne n’avait entendu parler de la paralysie cérébrale, ce qui me frustrait un peu.

N’est-ce pas une obligation pour les écoles de formation de faire intervenir les personnes en situation de handicap ?

J. B. : On nous demandait juste de faire venir des gens pour qu’ils témoignent. Je trouve cela un peu stigmatisant : ces personnes-là avaient peut-être autre chose à dire. Notre volonté est de sortir du simple postulat : « On me pose des questions sur ma vie et j’y réponds. » L’idée est donc de promouvoir une véritable montée en compétences permettant de valoriser l’expérience et l’analyse des personnes en situation de handicap en participant à la formation des professionnels. Nous souhaitons que les patients-experts bénéficient d’une image valorisée d’eux-mêmes, qu’ils soient en mesure de dire : « Je suis important, j’ai des choses à partager et vous allez m’écouter. Sur ce temps d’intervention, c’est moi qui décide ce que je vais ou non vous dire. » Le paradigme est renversé.

J. V. : Ce projet est à la fois fortement original et expérimental. Il s’agit d’une recherche-action s’inscrivant dans une dynamique d’innovation. Notre système en a besoin. A travers cette formation, on veut passer du simple témoignage à une intervention outillée et professionnalisante. Cela permettra de changer notre regard sur les personnes en situation de handicap et sur leurs capacités à faire ou à dire.

Quelles sont les spécificités de ce type de handicap ?

J. B. : La paralysie cérébrale entraîne une telle diversité de tableaux cliniques qu’il est important d’avoir également une grande diversité d’intervenants. Cette pathologie a des conséquences sur tout le corps. Aussi les futurs professionnels doivent-ils être sensibilisés au fait que les personnes accompagnées sont au contact, tous les jours, de différents praticiens. Tout cela joue sur la construction identitaire… Il est compliqué de grandir avec dix ou quinze médecins, kinés, infirmiers et travailleurs sociaux autour de soi.

J. V. : Il s’agit d’un handicap méconnu et protéiforme. Il doit bénéficier d’un nouvel éclairage, ainsi que d’une information renforcée auprès des professionnels. Ces derniers ont besoin d’être davantage formés – sur le handicap en général et singulièrement sur la paralysie cérébrale – pour mieux accompagner dans le respect de chacun.

Comment passe-t-on d’une posture de témoin à celle d’expert ?

J. B. : Au sein de chacune des cinq associations de la fédération, un groupe local est animé par un binôme formé d’une personne accompagnée et d’un professionnel. Ils participent également au groupe de travail national qui se réunit tous les deux mois. Les personnes intéressées par le projet échangent au sujet de leurs expériences d’interventions ou leur envie d’y participer, choisissent les thématiques. En dehors de ces travaux au long cours, une première journée de formation est centrée sur les messages forts que l’on souhaite porter et sur les anecdotes qui y correspondent. Le jeu étant de relier des messages à des « histoires ». Par exemple, une caissière qui tutoie une personne handicapée. On tire ensuite le fil, pour déterminer le message fort qui peut se dégager d’une telle situation. Pour être entendu, il faut faire un peu de théâtre, développer des talents de conteur. Une deuxième journée de formation se déroule en FAM ou en MAS.

À quel stade du projet êtes-vous ?

J. B. : Nous avons déjà deux groupes de cinq ou six personnes – qui ont participé pendant un an aux réflexions collectives – qui sont d’ores et déjà aptes à être intervenants experts d’usages. Trois autres groupes vont être formés jusqu’au mois de mars. Si j’étais arrivée avec mon module de formation, clé en main, nous aurions peut-être gagné un an et il y aurait aujourd’hui une centaine d’experts d’usages. Mais nous tenions à cette question de la participation, à partir du terrain dans une démarche de co-construction.

J. V. : La fédération a l’objectif de créer, sur trois ans, un réseau national d’intervenants experts d’usages. Les aider à s’exprimer, à cadrer leurs interventions, ne leur servira pas seulement lors de leurs interventions auprès des professionnels, mais aussi au sein du conseil de la vie sociale ou lorsqu’ils s’adressent à ceux qui les accompagnent.

J. B. : Ces experts d’usage ne sont pas encore des formateurs. C’est l’un de nos objectifs pour 2023 : leur apprendre entre autres à animer un groupe ou à distribuer la parole. L’une des craintes de nos intervenants experts reste la confrontation à un auditoire peu réceptif, au silence des professionnels. Face à cela, nous leur expliquons que leur rôle n’est pas de rester passif, qu’ils peuvent aussi solliciter ceux qui les écoutent, être moteur.

Les patients experts interviendront-ils toujours en binôme ?

J. B. : Ils interviendront le plus souvent avec des éducateurs spécialisés, mais pas forcément. Au risque d’alimenter certaines représentations, les étudiants ont tendance à poser des questions aux professionnels plutôt qu’aux experts d’usages. En même temps, les personnes en situation de handicap peuvent être rassurées par la présence de travailleurs sociaux. Tout est possible : intervenir à deux ou à trois, avec ou sans professionnel. Il n’y a pas de protocole unique.

Quel est le statut de ces nouveaux intervenants experts d’usages ? Pourront-ils prétendre à une éventuelle rémunération ?

J. V. : Pour le moment, il n’existe pas de cadre permettant une rémunération. Les personnes qui vivent en FAM ou en MAS bénéficient d’un statut d’inaptitude au travail. S’ils interviennent au titre d’une expertise – et s’ils sont rémunérés –, ils perdraient ce statut et leur place dans le foyer, donc leur hébergement. Une mission très pointue doit faire le point sur la législation. Nous voulons bousculer les choses.

J. B. : Toutes les personnes qui participent à notre projet émargent à l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Elles pourraient donc la perdre. On ne voudrait pas que cette montée en gamme professionnelle leur nuise et, en même temps, il n’y a pas de raison que ces personnes ne puissent pas gagner un peu plus d’argent.

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