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Métiers : selon Marcel Jaeger, il existe « une forte demande de mobilité et de diversification des parcours »

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Président de l’Unaforis, Marcel Jaeger estime que s’il faut renforcer les modalités du socle commun entre les filières, la crise d’attractivité n’est pas forcément liée à une offre de formation trop segmentée. Il pointe, entre autres, la nécessité de mieux prendre en compte les publics accompagnés.

Sommes-nous dans un contexte propice à la création d’un nouveau référentiel de formation ?

Un processus de révision des diplômes est en cours, par obligation règlementaire, mais il s’agit d’une révision tout à fait ordinaire. Nous ne sommes pas au démarrage d’une transformation profonde des diplômes. Ce n’est pas du tout d’actualité. Si la baisse d’attractivité des métiers est bien réelle, je ne suis pas sûr que la question des diplômes soit le seul élément pour y répondre. Avant d’imaginer des solutions, il faudrait déjà que l’on s’entende sur le diagnostic.

L’idée de diplôme unique pour chaque niveau de formation vous semble-t-elle crédible ?

Je trouve plutôt drôle d’y revenir sans cesse, parce que je vois des gens monter au créneau sur quelque chose qui n’est pas à l’ordre du jour. La tendance générale n’est absolument pas à l’homogénéisation. Ce n’est pas la même chose d’estimer qu’il y a des proximités et des points communs entre les métiers que de penser que nous pourrions aller vers une fusion. Nous en sommes à des kilomètres. Même si, lorsque vous allez à l’étranger, il est compliqué d’expliquer la différence entre un assistant de service social et un conseiller en économie sociale et familiale, nous avons des héritages et des origines historiques très distincts entre les différents champs du secteur.

La dernière enquête « Ecoles » de la Drees pointe la baisse du nombre de diplômés. A quoi cela tient-il ?

Plusieurs éléments entrent en ligne de compte pour expliquer cette baisse, alors même que le nombre d’inscrits augmente. Il y a d’abord la confrontation des étudiants à la réalité du secteur, via des stages ou la découverte de certains contenus de formation. Une autre piste d’explication concerne le niveau d’exigence demandé aux étudiants. Il est certainement supérieur à leurs possibilités réelles. Comme nous manquons de candidats, le niveau scolaire à l’entrée est plus faible. Mais ce qui me frappe surtout, c’est le paradoxe entre une implication très forte des étudiants ou des jeunes dans l’humanitaire, dans des formes d’engagement militant – où, par définition, ils ne sont pas payés du tout – et ces décrochages lorsqu’ils entrent dans un processus de professionnalisation pour des métiers qui sont mal rémunérés. Néanmoins, lorsqu’on fait des comparaisons internationales, il n’y a pas de rapport automatique entre le niveau de salaire ou la situation sociale statutaire des travailleurs sociaux et la perception qu’ont ces mêmes travailleurs sociaux de la perte de sens. Dans des pays comme la Suisse ou le Québec, les travailleurs sociaux sont très bien payés et, pour autant, vivent des phénomènes de crises semblables aux nôtres. A l’inverse, il existe des pays où la rémunération est faible et où l’implication des travailleurs sociaux reste forte.

Pensez-vous tout de même qu’il faudrait rebâtir une nouvelle architecture des diplômes et des formations ?

Un tournant devra être pris. L’émiettement des métiers est à mettre en relation avec la segmentation du secteur et des institutions. Nous avons en France environ 40 000 établissements et services qui forment une espèce de mosaïque institutionnelle. Il faut redéfinir les publics cibles. On a souvent construit des métiers dans des institutions particulières avec l’idée qu’il fallait répondre de la manière la plus précise possible aux besoins de telle ou telle catégorie. Il existe donc un lien entre une catégorisation des publics, une diversification des institutions et un émiettement des métiers. Mais un postulat apparaît derrière : si j’ai une approche globale des besoins des personnes – en ne les considérant pas uniquement comme des handicapés ou des pauvres –, il faut renforcer les modalités du socle commun. Le problème n’est pas seulement celui de l’offre de formation qui serait trop segmentée, mais celui du rapport que l’on établit entre l’offre de formation et les publics.

Les étudiants ont-ils le sentiment d’être enfermés dans une filière trop étroite ?

C’est ça qui, je crois, peut décourager les nouveaux arrivants. Ils se disent que s’ils travaillent dans le secteur du handicap, ils seront obligés d’y rester jusqu’à la fin de leur carrière. Je ressens une demande forte de mobilité et de diversification des parcours. Quand on parle de baisse d’attractivité, ce n’est pas uniquement que le secteur s’érode : les gens ont le sentiment de devoir s’enfermer dans une grille idéologique, une catégorie de public ou une catégorie d’institutions.

Pourrait-on imaginer une redéfinition des diplômes en fonction du public accompagné et non plus des métiers ?

Une tension s’exerce entre deux logiques différentes. L’une repose sur une approche uni­versaliste et transversale où il est question d’intervenir sur des personnes qui ont des besoins globaux. L’autre pousse à la spécialisation pour apporter des réponses les mieux ajustées possible aux différents publics. Les travailleurs sociaux sont pris en étau et doivent composer avec ces deux logiques. Cette tension explique en partie la souffrance au travail d’un certain nombre d’entre eux. Ils sont d’autant plus démunis qu’il n’y a pas en France de politique de formation, ni même de politique très claire en matière d’action sociale. Ils sont censés se débrouiller tout seuls. Ce sentiment de solitude pèse dans le phénomène d’évaporation et dans le ras-le-bol général. Mais ce problème ne se situe pas qu’au niveau des formations, sinon également à celui de l’encadrement et à celui des personnes accompagnées elles-mêmes. Leur rôle de tiers serait précieux face à cette bipolarisation. On ne peut pas parler de l’avenir des métiers ou de l’avenir de la professionnalisation si l’on ne tient pas compte de ces nouveaux acteurs que sont les publics ou les pairs-aidants.

Le fameux comité des métiers annoncé par Jean Castex sera-t-il à même de répondre à cette demande de clarification ?

Tout à fait, d’autant qu’on nous avait parlé d’une fusion entre le comité des métiers et le Haut Conseil du travail social en vue de la rédaction d’un « livre blanc ». Quatre groupes de travail sont en train de démarrer. Deux ont déjà été lancés depuis longtemps sur la formation et la simplification administrative, le troisième rassemble les contributions des différents comités locaux du travail social et le quatrième se met en place avec une réunion fin janvier portant sur la prospective. C’est un signe fort pour essayer de penser l’avenir, de montrer qu’il y a un lien entre les évolutions sociétales, celles des politiques sociales et la démographie professionnelle.

Que pensez-vous de l’universitarisation des formations ?

Il va bien falloir un jour se confronter à l’écart entre la situation française et celle de la plupart des autres pays où la formation des travailleurs sociaux s’effectue complètement à l’université. La France a choisi l’ancrage dans le secteur professionnel. Je pense que c’est un bon choix, mais il faut évaluer les effets de ce modèle. La plupart des établissements de formation sont en relation de partenariat avec les universités. Actuellement, à l’Unaforis, nous discutons de deux formules avec la direction de l’enseignement supérieur et de la recherche (DGESIP). On ne peut pas se satisfaire du grade de licence pour une formation de niveau 6, sans que cela ne soit reconnu comme une véritable licence. Il faut par ailleurs des Masters spécifiques – et même éventuellement des doctorats –, et que le travail social soit reconnu comme une discipline à part entière au titre des sciences sociales. Il y a l’idée d’une co-diplomation : pouvoir obtenir deux diplômes avec une synergie entre l’université et les établissements de formation. L’avenir peut s’ouvrir sur deux mondes, celui de l’exercice professionnel et celui de la recherche.

Selon vous, quelles sont les priorités ?

Les vrais problèmes d’actualité sont l’universitarisation et le LMD [licence, master, doctorat] – une plus grande ouverture à l’enseignement supérieur –, la participation des personnes accompagnées ainsi que les relations entre les formations sanitaires et les formations sociales. Le reste, cette histoire de travailleur social unique, nous ramène trente ans en arrière.

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