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« L’information préoccupante balaie la notion de secret professionnel »

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Laurent Puech ett assistant social diplômé d’Etat et à l’initiative du site-ressources Secretpro.fr

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Assistant social diplômé d’Etat, Laurent Puech est à l’initiative du site-ressources Secretpro.fr, qu’il anime avec d’autres spécialistes du secteur social et médico-social. Selon lui, si de plus en plus de travailleurs sociaux sont soumis au secret professionnel, le partage d’informations d’ordre privé et les signalements à tout-va augmentent, mettant parfois à mal la personne accompagnée.

Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi avez-vous été amené à créer un blog sur le secret professionnel ?

Laurent Puech : Je l’ai lancé en 2014, à une époque où beaucoup de flou existait autour du secret professionnel, avec des interprétations très locales, des traditions… La référence aux textes de loi n’était pas spontanée. Les professionnels discutaient ou faisaient ce qui se pratiquait dans leur service. J’ai entendu des professionnels affirmer : « Si le chef le dit, c’est qu’il le sait. » C’est plus confortable que d’aller vérifier, de confronter une information. C’était d’autant plus facile que, lorsqu’une question relative au secret se posait, ils disposaient rarement d’un support adéquat sous la main. Avec le développement du numérique, j’ai pensé qu’il fallait un outil adaptable, actualisable à tout moment et facilement accessible aux travailleurs sociaux. Car le secret professionnel n’est pas qu’une affaire de juristes, c’est aussi celle des praticiens. Cependant, je ne suis pas certain que la situation ait significativement évolué depuis huit ans. Les professionnels sont toujours un peu perdus. Chacun navigue à vue et applique soit sa propre consigne intérieure, soit celle de la direction. Le vague subsiste avec, d’un côté, davantage de gens soumis au secret professionnel et, de l’autre, des textes qui autorisent de plus en plus de partage d’information.

Comment le secret professionnel se définit-il dans le travail social ?

Le principe est le même que pour le secret dit « médical » : l’obligation de taire tout ce qui a été appris, compris, connu ou deviné dans le cadre de notre métier. Les sanctions aussi sont identiques. Le secret professionnel vise à faciliter la parole. La difficulté est qu’aujourd’hui le secret est vu comme rendant nos missions impossibles. Ce n’est vrai que si l’on veut se passer de la personne aidée. Le secret professionnel n’est pas un problème lorsqu’on travaille avec elle. Mais l’organisation des dispositifs, la maîtrise des coûts, les chaînes administratives mises en place amènent les équipes à passer par des voies parallèles. Là, effectivement, le secret professionnel pose question. En protection de l’enfance, par exemple, dès qu’il se produit le moindre signal qui pourrait constituer une menace, les parapluies s’ouvrent. L’exemple type est l’information préoccupante, qui balaie la notion de secret. Dans certaines structures, des instructions et des professionnels encouragent à activer la cellule de recueil des informations préoccupantes dès qu’un parent avoue avoir une difficulté avec son enfant. Notre obligation professionnelle est d’agir pour réduire un risque s’il existe, l’information préoccupante ne constituant qu’une des possibilités. On confond le signalement, l’alerte, avec le travail. Cela sert à se couvrir. Je l’observe dans les situations de violences conjugales, d’adultes vulnérables. Les logiques de protection – qui protègent d’abord les services et leurs salariés – ont pris le pas sur les logiques d’aide aux personnes.

Concrètement, qu’est-ce qu’une information à caractère secret ?

Il s’agit d’une information d’ordre privé confiée à un professionnel, lui-même soumis au secret. L’évaluation pour la faire circuler ou non est cruciale. D’où l’importance de ne pas rester isolé si l’on a le moindre doute. Après, tout dépend du seuil d’alerte. Sauf que celui-ci ne cesse de baisser et que la sonnette d’alarme est activée plus vite. Il devient ainsi difficile de garder le moindre élément secret. En revanche, le professionnel peut être amené à briser le secret s’il y a mise en péril d’une personne, ce qui correspond à une mort quasi imminente. Cette situation est relativement rare dans le travail social et ne peut être invoquée à tout bout de champ pour justifier d’une rupture de secret. Elle ne doit pas non plus être confondue avec ce qu’on appelle communément « assistance à personne en danger », laquelle requiert une obligation d’action, pas de signalement. Mais la tendance actuelle pousse plutôt le travailleur social à alerter, alors il sur-signale. On ne travaille plus avec l’autre, parfois même on travaille contre lui. En conséquence, certaines familles s’empêchent d’évoquer leurs véritables problèmes. Dans beaucoup de cas, les mères victimes de violences conjugales se taisent face aux professionnels, de peur qu’on leur retire leurs enfants du fait d’un signalement ou d’une information préoccupante. Le développement des logiques d’alerte peut s’avérer préjudiciable aux personnes qui veulent juste se poser, réfléchir, exprimer leurs émotions, demander un conseil. Le partage d’information s’avère parfois plus néfaste que le non-partage.

Dans ce contexte complexe, quand diffuser une confidence ?

Cela se détermine au cas par cas. Mais avant le quand, il y a le comment. Si un professionnel pense qu’un partage d’information avec ses pairs est utile, il doit d’abord l’expliquer à la personne qu’il accompagne, l’associer à la décision et en débattre avec elle. On dépossède trop souvent les gens de leur capacité à raconter leur vie. Si cette préparation est bien réalisée, que la personne a compris et accepté ce qui s’est discuté, on peut aboutir à une information partagée adaptée. Le partage d’information constitue la fin d’un processus, et non le début. Malheureusement, ce travail préparatoire est souvent escamoté, notamment en protection de l’enfance. Et, contrairement à ce qu’exige la loi, il n’est pas toujours annoncé à la famille qu’une indication privée qu’elle a fournie a été transmise à d’autres. Quand un enfant annonce une maltraitance, une agression sexuelle, un événement traumatisant à un professionnel, ce dernier – sans sous-estimer ce qui lui a été révélé – doit prendre le temps de réfléchir. Il est par ailleurs possible d’échanger avec des collègues ou sa hiérarchie sans dévoiler l’identité de l’enfant. Le tiers n’a pas besoin de le savoir. L’objectif est de protéger la personne en gardant la maîtrise de la situation, sans jamais prendre le pouvoir sur cette dernière. Un équilibre est à trouver entre les deux et une réflexion éthique à mener pour aider sans être contre-productif.

Que voulez-vous dire ?

En protection de l’enfance, certains enfants parlent de ce qu’ils vivent mais désignent d’autres personnes, pas forcément les vrais coupables. Ils peuvent accuser un beau-père, par exemple, alors qu’il est hors de cause. Il faut vraiment être très attentif à ce qui se joue pour éviter de foncer tête baissée. C’est pourquoi je suis en désaccord avec les professionnels qui disent : « Je te crois », comme si cela devait être une position quasi religieuse. Par ailleurs, l’expression de « secret partagé » s’avère trompeuse. Elle induit l’idée qu’il n’y a plus de secret entre professionnels, ce qui peut inciter à tout révéler au sein d’un groupe.

Les professionnels sont-ils suffisamment armés pour gérer des révélations ?

Pas vraiment, au regard des conditions ultra-dégradées dans lesquelles ils exercent et des organisations dont les systèmes d’empilement, de validation, de réunions embolisent leur travail, les empêchant d’être sur le terrain au plus près des personnes. A ces éléments s’ajoute l’insécurité d’une société qui réclame toujours plus d’hyper-actions concernant les enfants… Les professionnels qui estiment ne pas avoir le choix ou qui se considèrent comme des agents d’exécution ont aussi leur part de responsabilité. Ces facteurs réunis ne sont guère propices à la réflexion. Une pression sociale s’exerce pour avoir de l’information, avec l’idée parfois erronée que cela permettra de mieux agir. Mais si un éducateur de rue partage les secrets des adolescents qu’il côtoie tous les jours, il ne pourra plus jamais remettre les pieds dans le quartier. En lui demandant de faire remonter des informations sensibles sur quelques familles, on dégrade son travail sur toutes les familles et les jeunes. En même temps, un secret n’est pas toujours relié à un événement grave ; beaucoup de petits secrets existent. Autour du secret, une suspicion apparaît : « Et si on ne me disait pas la vérité ? » Un événement amoureux est un élément tout à fait privé, a priori positif. Le fait de ne pas en relater certains aspects, c’est aussi protéger son espace intime et sa dignité.

Où est la limite entre secret, intimité et confidentialité ?

L’intimité représente ce qui est intérieur et profond pour la personne, ce qu’elle garde pour elle. La confidentialité se réfère à un cercle un peu plus élargi, duquel l’information ne doit pas sortir. Le secret évoque la construction d’un mur de défense autour de données sensibles. Les personnes qui gardent un secret le font presque toujours pour protéger quelque chose ou quelqu’un d’important pour elles. Qu’elles soient anodines ou non, toutes les informations concernant la personne dans sa vie privée sont soumises de la même façon au secret professionnel. Tous les champs du social et du médico-social sont concernés, mais en milieu ouvert et dans les établissements dans lesquels vivent les enfants de l’ASE [aide sociale à l’enfance] par exemple, certaines informations à forte charge émotionnelle cheminent davantage par les travailleurs sociaux qui se relaient sur vingt-quatre heures. D’où la vaste question du respect de la vie privée dans ce type de structures.

Vous avez été président de l’Anas. Quid du secret chez les assistants de service social ?

Les assistants de service social sont aux premières loges car, comme les médecins notamment, ils sont soumis au secret professionnel « par profession », où qu’ils exercent. Ce n’est pas le cas de tous les travailleurs sociaux, certains y étant contraints, ou pas, selon leurs missions ou leurs fonctions. Dans un service de l’ASE, par exemple, tout le monde, du secrétaire administratif au directeur de service ou à l’éducateur, est soumis au secret professionnel. De même pour les personnels des CHRS [centres d’hébergement et de réinsertion sociale], de la mission RSA, de la protection maternelle et infantile… Les assistantes sociales savent qu’elles sont pénalement personnellement responsables si un usager porte plainte. Elles ont donc une conscience aiguë de ce sujet. Il n’empêche que de vrais débats éthiques sur la circulation de l’information ont lieu chez des animateurs, des moniteurs-éducateurs… Et, d’ailleurs, on s’aperçoit que les gens se confient souvent plus à l’animateur qu’à l’assistante sociale de secteur qu’ils connaissent. Les associations et les centres sociaux avec qui je travaille recueillent parfois des récits très délicats. Les gens s’y sentent en confiance pour parler, davantage que dans un service qui représente l’institution, dans des box ouverts ou des bureaux partagés. Une femme qui souhaite quitter le domicile avec son enfant en raison de violences conjugales nécessite un accueil qui respecte que son propos ne soit pas entendu par le public éventuellement présent, parmi lequel se trouvent potentiellement des voisins, et qu’elle ait le temps d’aborder des questions difficiles.

Les écrits, base importante de l’intervention sociale, représentent-ils un risque ?

Toute transmission d’information, écrite ou orale, est porteuse d’un risque d’intrusion mais, théoriquement, les institutions sont garantes de leur bonne circulation. En outre, le RGPD [règlement général sur la protection des données] a vocation à encadrer le traitement des données personnelles. Néanmoins, nombre de structures offrent des accès très larges à des éléments très intimes. Il incombe à chaque professionnel d’être vigilant sur sa façon de renseigner ce qu’on lui demande, d’entrer dans le détail, de donner la possibilité à la personne accompagnée d’accéder à ce qui est connu et retenu d’elle dans l’institution. Le droit des usagers est fondamental, c’est un garde-fou.

Quelles sont les sanctions encourues en cas de violation du secret professionnel ?

En matière pénale, le contrevenant est passible de 15 000 € d’amende et d’un an d’emprisonnement. Sans compter les dommages et intérêts qui peuvent être réclamés et la faute professionnelle pouvant aller jusqu’au licenciement. Ces sanctions, relativement lourdes, peuvent aussi être vues comme une forme de reconnaissance de l’importance du travail social, de ses valeurs et de l’engagement qu’il sous-tend. Elles placent le professionnel dans un espace sécurisé dans son rapport au public. L’éthique du secret professionnel repose sur un pacte qui le lie à la personne aidée. Une information importante peut donc rester confinée ad vitam aeternam.

 

Retrouvez notre numéro sur le secret professionnel ici 

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