Le pays le plus peuplé d’Afrique (220 millions d’habitants), l’un des plus inégalitaires du monde, n’en peut plus du « charlatanisme » qui prospère sur les ruines d’un Etat failli et de ses élites corrompues. L’Association nigériane des travailleurs sociaux (Nasow) a appelé mi-novembre le président Muhammadu Buhari à valider enfin le projet de loi sur l’établissement du Conseil national du travail social. Proposée dès 2017 et adoptée par l’Assemblée nationale, cette avancée législative avait été retoquée une première fois par le chef de l’Etat. Une seconde mouture a ensuite été adoptée l’été dernier, amendée et de nouveau validée par le Parlement. Seule manque désormais la signature du président Buhari, que le président de la NASoW, Alhaji Mashood Mustapha, somme d’agir.
Des milliers d’enfants parias
C’est à l’occasion de la 38e conférence de l’association que son leader a mis les pieds dans le plat : « Il y a beaucoup de charlatans dans le travail social parce que les services proposés par les travailleurs sociaux ne sont pas réglementés, et ces gens-là font beaucoup de mal à la profession. » Le Nigeria demeure en effet gangrené par des pratiques ésotériques censées résoudre les grands maux du pays. Ainsi, des dizaines de milliers d’enfants accusés de disposer de pouvoirs maléfiques sont jetés à la rue par leurs familles. Appelés skolombo, ces jeunes parias contraints à la mendicité, au ramassage de déchets ou à la prostitution font la fortune de sorciers autoproclamés qui vendent à prix d’or aux familles crédules des séances d’exorcisme censées extraire le mal. Ce sont les mêmes escrocs qui alimentent également les réseaux de prostitution tenus par la mafia locale, laquelle organise la traite des femmes nigérianes envoyées en Europe.
Même si le code pénal nigérian interdit la prostitution et prévoit des peines de prison pour les récalcitrants – une loi introduite sous la domination coloniale britannique –, les croyances populaires et les superstitions ont la peau dure. Le géant africain, ex-principal producteur de pétrole du continent tout juste détrôné par l’Angola, a désespérément besoin d’une reconnaissance officielle du travail social et de ses diplômes, dans un pays qui fait face à des défis sans précédent : l’explosion démographique devrait porter le nombre d’habitants à plus de 400 millions d’ici à 2050, alors que l’extrême pauvreté demeure la principale préoccupation sociale du pays. Sa population, l’une des plus jeunes de la planète, est aussi particulièrement touchée par la consommation de drogues dites « récréatives » ou dures. Selon l’université américaine de Texila, qui propose des formations en travail social, 43 % de la profession travaillent actuellement dans le secteur de l’enfance, de la famille et de l’école, 26 % dans les soins de santé et 18 % dans la santé mentale et l’aide aux toxicomanes. La même source indique un salaire moyen de travailleur social qui s’élèverait à environ 235 € et pourrait atteindre 975 € en fin de carrière.