Quelle est l’origine de Sève emploi ?
En 2011, la FAS constatait un taux de rupture élevé des périodes d’essai des salariés sortis d’un contrat d’insertion, qui avaient alors tendance à revenir dans des structures de l’insertion par l’activité économique (SIAE). L’enjeu était donc de sécuriser la phase de prise de poste, en se rapprochant davantage des entreprises « ordinaires » dans lesquelles les salariés sont placés. La fédération a élaboré un programme de formation destiné aux accompagnants. Expérimenté à partir de 2016, il a été essaimé à partir de 2019 à la faveur de la stratégie de lutte contre la pauvreté et du pacte d’ambition pour l’IAE. 2023 sera la dernière année d’expansion. A ce jour, 260 structures ont été formées à notre programme.
Quelle conception de l’insertion professionnelle des personnes en « transition » faites-vous valoir ?
Il faut partir du postulat que tout le monde est employable, et que ce n’est qu’une question de timing et de méthode. On sort de cette vision de l’insertion « étape par étape » qui existe à l’école. En structure, des accompagnants peuvent avoir tendance à considérer que certaines personnes auront des difficultés particulières à retrouver un emploi. Cette posture conduit à les mettre sur la touche. Nous devons à l’inverse éviter la stigmatisation ces personnes, en proposant systématiquement des occasions de rencontres avec les entreprises et d’immersion dans le monde professionnel. C’est le principe de la « médiation active ». Tout contact peut provoquer un déclic. Si on ne met jamais une personne en situation sous prétexte qu’elle n’est pas « prête », le risque est qu’elle ne le soit jamais. Quant aux freins périphériques, leur levée doit être activement négociée avec les entreprises. Nous leur parlons désormais de salariés « en transition » et non de salariés « en insertion ». Cela permet une remise en confiance. Il faut croire en l’impact que peut avoir un changement de regard.
Le programme Sève emploi incite les SIAE à proposer davantage d’opportunités professionnelles aux salariés…
C’est un énorme changement pour les structures. Nous allons former des conseillers en insertion professionnelle (CIP), les encadrants techniques ainsi que les directions à faire de la prospection, une démarche qui n’existait qu’à la marge. L’enjeu est d’identifier les besoins de recrutement des employeurs à court ou moyen terme, en faisant une analyse des postes de travail sur place. Puis de leur suggérer une rencontre avec un salarié en transition. La mise en contact peut s’appuyer sur une période d’immersion professionnelle, avec possibilité d’une embauche pérenne. La structure d’insertion s’occupe alors de l’intégration du salarié dans l’entreprise et l’accompagne lors de la prise de poste.
Comment se structure votre programme et à qui s’adresse-t-il ?
Une dizaine de journées de formation sont réparties sur l’année. On aborde notamment les points clés de la prospection d’entreprises, l’organisation des périodes de mise en situation en milieu professionnel, l’accompagnement dans l’emploi, le suivi des prises de poste. Des fiches actions d’une journée à l’autre afin de systématiser les pratiques sont élaborées. La formation s’adapte aux cas rencontrés sur le terrain et permet aussi d’accompagner les évolutions de l’organisation. Elle s’adresse d’abord aux ateliers et chantiers d’insertion, car ce sont des milieux propices pour instituer des périodes de mise en situation en milieu professionnel (PMSMP).
L’organisation de ces séquences n’a pas de répercussion sur le modèle économique, contrairement aux autres types de structures dont une partie des revenus dépend des prestations vendues à leurs clients. Pour ces ateliers et entreprises d’insertion, nous travaillons la prospection, les PMSMP et leur suivi. Pour les associations intermédiaires et les entreprises de travail temporaire d’insertion, nous mettons plutôt l’accent sur le suivi des mises à disposition, afin de favoriser leur transformation en embauches pérennes, tout en supprimant éventuellement l’étape de la période d’essai.
Ces nouvelles pratiques appellent-elles des évolutions dans l’organisation du travail et des missions des accompagnants ?
Le programme Sève emploi instaure une plus grande perméabilité des rôles. Personne n’est cantonné à la production ou à la médiation, ce qui a pour effet d’entraîner davantage de réunions internes pour une bonne coordination. Tous les permanents sont conduits, notamment, à faire de la prospection d’entreprises. Les missions des uns et des autres évoluent. Les encadrants techniques ont leur mot à dire sur les qualités professionnelles des salariés qui seront mises en avant par les CIP auprès des entreprises.
Au-delà de l’accompagnement social, les CIP vont être davantage dans une posture de négociation avec l’entreprise. Plutôt que de renoncer à présenter le profil d’une femme qui ne travaille pas le mercredi, ils discuteront d’une organisation du travail compatible avec les contraintes de la candidate. Les directions, quant à elles, doivent assumer un vrai rôle de management afin d’organiser les binômes entre CIP et encadrants techniques et réorganiser le travail. L’un de leurs enjeux consistera à faire mieux connaître la structure au sein du territoire en valorisant son rôle d’insertion par la voie de l’emploi durable afin d’accueillir davantage de demandeurs d’emploi.
Comment l’appui aux entreprises se passe-t-il concrètement ?
Les SIAE ont tendance à se positionner davantage du côté de l’accompagnement social plutôt que de se considérer comme des employeuses. Cette mentalité doit évoluer, et les amener à se rendre compte qu’elles ont elles aussi des compétences en matière de ressources humaines (RH) qui les placent en position d’égal à égal avec les entreprises. Quand elles accueillent des salariés, les SIAE les forment, reprennent les règles de sécurité, s’occupent de leur intégration… On a tendance à l’oublier. Cette expertise a de la valeur pour les très petites, petites et moyennes entreprises qui n’ont pas forcément le temps de soigner de tels processus. C’est alors sur ces points que la structure d’insertion peut apporter une valeur ajoutée, comme un cabinet RH externe : elle se renseigne sur les conditions de travail dans l’entreprise, est capable de décrire son environnement, ses attentes de manière à préparer le candidat en amont de son arrivée. Après le premier jour de la prise de poste, la SIAE contacte salarié et employeur pour établir un premier bilan. C’est l’occasion de dénouer d’éventuelles difficultés sur lesquelles le salarié n’oserait peut-être pas s’exprimer. Ensuite, la structure continue notamment de s’occuper de l’accompagnement du salarié en cas de problématiques d’accès aux droits, de mobilité, de logement, de garde d’enfant, de santé…
Quels sont les enjeux de l’après-formation ?
A l’issue de l’année de formation-action, il est possible de bénéficier de subventions supplémentaires consacrées à l’accompagnement dans l’emploi et au suivi post-insertion. Nous avons obtenu une enveloppe supplémentaire pour cette activité qui n’est pas couverte par les financements classiques des structures d’insertion. Le programme Sève emploi soulève en effet la question du temps dédié à la médiation. Il faut donner aux SIAE les moyens financiers et humains afin d’accompagner leurs publics jusqu’à la validation de leur période d’essai.
Quels résultats sont attendus ?
Lors de l’année de formation, l’objectif est d’augmenter de 20 % les mises en relation individuelles et collectives entre salariés et entreprises. Un objectif largement dépassé par les 90 structures suivies en 2021 qui ont vu ces actions augmenter en moyenne de 136 %. S’il ne fait pas partie des conditions du programme, le taux d’accès à l’emploi durable a quasiment doublé. Une évaluation externe fournira les chiffres définitifs en 2023.