« Pouvoir d’agir », l’expression est dans toutes les bouches au sein de la protection de l’enfance ces dernières années. Souvent chimérique et cantonnée à un simple élément de langage, la participation des jeunes se concrétise parfois. C’est le cas dans l’Allier où, depuis janvier 2021, les enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) ont désormais voix au chapitre. Tous les trois mois, au sein du Haut Conseil aux enfants confiés, ils sont 30 à se réunir pour échanger directement avec des élus locaux. L’objectif affiché par la direction « enfance-famille » du département : « Favoriser l’émergence d’une parole directe et collective de ces jeunes sur leur parcours et leur vécu au sein des familles accueillantes et des foyers, afin qu’elle alimente l’élaboration des futures politiques de protection de l’enfance. » Cette instance novatrice est née de la convention signée entre l’Etat, l’agence régionale de santé (ARS) et le département en octobre 2020 dans le cadre de la stratégie nationale de protection de l’enfance 2020-2022. « En tant que politique ou organisme gestionnaire, on avait besoin de cet espace tant pour adapter nos actions que pour expliquer aux enfants les décisions que l’on prend », explique Guillaume Gorge, actuel directeur des territoires et de l’offre médico-sociale.
Création des groupes de jeunes
Avec 1 400 enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance, dont près de la moitié aux 350 assistants familiaux locaux, la question des critères de sélection se pose inévitablement. Le conseil se concentrant sur « l’expertise d’usage », il doit être représentatif de l’ensemble des réalités vécues par les jeunes. Ainsi, chaque jeune âgé de 8 à 21 ans reçoit un courrier du conseil départemental l’invitant à prendre connaissance des missions du Haut Conseil et à s’y investir s’il le souhaite. Ensuite, il peut se référer à son éducateur, à son assistant familial ou à son référent à l’ASE pour faire remonter sa candidature. « Le choix s’effectue en concertation avec les référents des enfants confiés et les membres de l’observatoire départemental de la protection de l’enfance, précise François Petit, agent de la collectivité chargé de l’animation des groupes. Nous souhaitons conserver une hétérogénéité des parcours et des profils. »
Le département de l’Allier se divise en trois bassins de population situés autour des villes de Moulins, Vichy et Montluçon. Trois groupes composés de 10 jeunes se réunissent tous les mois pour partager leurs expériences quotidiennes sur leurs lieux de placement et leurs aspirations. Ils se rassemblent ensuite tous les trois mois, mettent en commun leurs propositions et participent aux séances plénières en présence des décideurs politiques.
Faire émerger une parole collective
Le principal défi pour les animateurs est de permettre au groupe de « sortir de la parole personnelle pour élaborer une parole collective qui soit force de proposition », explique François Petit. Les observations des jeunes ont déjà mené à des modifications. « En 2021, lors d’une restitution en présence du président du département et de l’élu en charge de la protection de l’enfance, nous avons constaté qu’il y avait des disparités dans le montant de l’argent de poche alloué aux enfants entre différentes institutions et familles d’accueil, indique Guillaume Gorge, qui suit le projet depuis ses débuts. Nous avons rectifié ces inégalités dans la foulée. »
Inspiré par les préconisations du rapport « A (h)auteur d’enfants » remis le 20 novembre 2021 par Gautier Arnaud-Melchiorre à Adrien Taquet, alors secrétaire d’Etat chargé de l’enfance et des familles(1), les encadrants ont choisi de sortir des murs de l’institution pour favoriser la création de liens entres les jeunes. « Les rencontres se font dans un écrin culturel. On visite des lieux, on échange avec des artistes. La parole se libère différemment lors de ces moments de découverte », décrit l’agent de la collectivité chargé de l’animation des groupes. Expérimental, le projet devrait s’étendre à d’autres départements. « Cela ne nécessite pas de mobiliser beaucoup de moyens financiers, seulement de dégager du temps pour entendre les enfants, insiste Guillaume Gorge. Ils sont stimulants pour les politiques car ils représentent un vivier de bonnes idées. »
(1) L’objectif de la mission confiée à Gautier Arnaud-Melchiorre, ancien enfant placé, était de recueillir le témoignage des enfants et des adolescents de l’ASE.