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« Les origines des enfants placés régulièrement convoquées »

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Sarra Chaieb

Docteure et chercheuse en sociologie, Sarra Chaïeb a publié en 2022 A l’épreuve du placement. Des expériences minoritaires en protection de l’enfance, Presses universitaires de Rennes, collection Sens social.

Crédit photo DR
Dans son livre « A l’épreuve du placement », la sociologue Sarra Chaïeb revient sur les débats historiques et actuels qui traversent la protection de l’enfance dans son rapport aux populations issues des minorités. Elle montre que l’institution continue d’être le lieu de construction des origines des enfants, à condition d’éviter les assignations systématiques qui laissent peu de place à la multiplicité des références.

Actualités sociales hebdomadaires - Qu’avez-vous appris des enfants placés issus des minorités ?

Sarra Chaïeb : L’histoire de la protection de l’enfance, telle que j’ai pu la retracer, s’ancre depuis le XIXe siècle dans un processus d’altérisation continu. Autrement dit, l’Etat, par le biais de ses services sociaux, s’est autorisé des décisions sur la vie des enfants « des marges » dans une rhétorique d’intégration à l’idéal républicain ou, à l’inverse, d’exclusion de la nation. C’est ce que j’ai mis en lumière en croisant plusieurs expériences : celle des enfants de l’Assistance publique (AP) envoyés dans les colonies parce qu’on considérait qu’ils étaient inadaptés ou potentiellement dangereux ; celle des enfants métis retirés à leurs parents dans les colonies ; celle des enfants de familles juives sous Vichy et celle des enfants réunionnais transférés et placés en métropole pour les extraire de leur milieu d’origine. A de multiples reprises, les enfants de l’AP, ainsi que les enfants faisant « figure d’étrangers » ayant également fait l’expérience de l’AP, ont été soumis aux catégorisations de l’Etat. A leur égard, les frontières se définissaient et se redéfinissaient sans cesse. Tantôt pour les considérer par leur étrangéité, tantôt pour leur faire porter la grandeur de la France. Il y a aussi toujours eu cette volonté d’enraciner, donc de rattacher à une terre, des enfants vulnérables ou délinquants, pour les faire sortir de leur milieu d’origine considéré comme défaillant, avec l’objectif qu’ils « s’intègrent » à la nation.

Quel discours tiennent aujourd’hui les services sociaux sur les origines ?

La politique de protection de l’enfance est actuellement portée par des objectifs de maintien du lien familial et de retour en famille. Les « origines » des enfants placés sont donc régulièrement convoquées, que ce soit sur le lieu de placement ou en dehors, alors même que les enfants ne se retrouvent pas nécessairement dans leurs liens familiaux. Le champ de la protection de l’enfance reste tiraillé entre deux polarités : d’un côté, l’idéal laïc et républicain, qui rend aveugle et sourd aux différences, refusant toute distinction dans un objectif affiché d’égalité ; d’un autre côté, le développement des approches interculturelles et ethnopsychiatriques pour lesquelles la prise en compte de la « culture » serait la clé des pratiques éducatives en relation avec les familles immigrées.

Comment le religieux est-il abordé en protection de l’enfance ?

Il l’est très peu dans le champ du social en général, et dans la protection de l’enfance en particulier. Quand il l’est, c’est principalement sur son versant problématique, avec pour angle d’approche la laïcité et, avant tout, à partir des problématiques qui se posent aux professionnels. C’est donc lorsque la religion pose problème que l’on s’en soucie. Il est pourtant possible de respecter le principe de laïcité, tout en se laissant l’opportunité de faire appel à cette dimension pour accompagner les familles lorsqu’il y a une demande. La religion peut être une grille de lecture et d’analyse pertinente pour saisir, d’une part, les expériences biographiques des personnes et comprendre, d’autre part, en creux, l’influence mutuelle des acteurs en jeu dans le processus de socialisation des jeunes placés. La question n’est pas de savoir s’il faut croire ou pas, mais de trouver comment faire pour que cela devienne un support de discussions, de débats et d’échanges qui serve aussi d’outil éducatif aux personnes pour qui l’aspect religieux est important.

De quelle façon cela se traduit-il concrètement ?

Dans mon livre, je me suis fortement inspirée de l’expérience de deux associations : l’OSE (œuvre de secours aux enfants) et les Apprentis d’Auteuil. Toutes deux, de par leur histoire, font de la religion un support qui guide nombre de leurs pratiques éducatives. En contexte de placement, le référent religieux n’est toutefois pas mobilisé par l’ensemble des professionnels, et lorsqu’il l’est, il n’intervient pas de la même manière. Ainsi, certains y voient un support de pensée entendu comme un référent philosophique, quand d’autres considèrent leur action à travers le prisme de la religion et de ses enseignements. La plupart des personnes anciennement accueillies, quant à elles, accordent une place particulière au religieux : celui-ci peut être mobilisé à certains moments, mis sous silence à d’autres. L’un des principaux apports de mon travail a été de relever la dimension affective dans le rapport au religieux des personnes que j’ai rencontrées. Ceci m’amène à penser qu’il s’agit de ne pas enfermer le religieux dans des cadres qui ne le contiendraient pas entièrement. De plus, ces associations usent du vocabulaire de la « communauté », au sens d’une « grande famille ». Pour certains enfants accueillis, qui n’étaient plus seulement assignés à leurs origines familiales, cette dimension communautaire a été salutaire.

Comment la protection de l’enfance s’adapte-t-elle à l’arrivée des MNA ?

Si les MNA représentent une part non négligeable de la population des mineurs accueillis dans le cadre d’une mesure de protection de l’enfance, j’ai pu observer, lors de mes recherches, que ces jeunes sont souvent perçus comme plus « faciles » à accompagner pour les professionnels. En raison de leur âge d’abord, mais aussi parce qu’ils sont moins en demande de suivi du fait d’une plus grande autonomie par rapport aux autres jeunes placés. Ils sont également perçus par de nombreux éducateurs rencontrés comme étant des jeunes plus religieux – ce qui faisait sens pour les deux institutions que j’ai étudiées –, permettant aux groupes une « mixité » qui leur apporte de la maturité.

Quelle pratique éducative faudrait-il encourager sur la base des travaux que vous avez réalisés ?

Selon moi, il faut éviter d’avoir un regard trop figé, pour laisser les enfants placés piocher dans leurs différentes expériences les outils qui leur permettent de se construire sereinement. Cela suppose d’envisager la question culturelle, religieuse et des origines ethniques non comme un problème à contourner, mais comme un support pouvant faire l’objet d’un accompagnement. Il s’agit aussi d’éviter les assignations trop fréquentes à leurs supposées origines. Faisons confiance aux jeunes, sans présager de leur avenir à leur place.

Entretien

Protection de l'enfance

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