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Carnet de liaison - Fichu yaourt !

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Carnet de liaison

Crédit photo Kristina - stock.adobe.com
Une nouvelle chronique dans les ASH ! Ceux qui nous prêtent leur plume sont travailleurs sociaux. Comme Flo avant eux, mais dans d’autres domaines, ils livrent des instants de leur quotidien. Merci à eux.

C’est un après-midi brumeux du mois de novembre. Le ciel déverse un léger crachin. Je suis posé au quartier, adossé au grillage qui entoure une des tours de la cité. C’est un endroit que j’affectionne par mauvais temps, car un arbre me protège suffisamment, et je suis à un endroit de passage. Ça me permet de croiser les jeunes qui reviennent du collège et du lycée. A force d’être là, et d’organiser des sorties de groupe, mon collègue et moi sommes assez bien repérés maintenant dans le quartier. Nous sommes un binôme qui fonctionne bien, avec chacun nos qualités et nos embûches. Nous le savons, et nous communiquons beaucoup. Ce jour-là flotte une atmosphère étrange, comme une tension, que nous repérons dans l’attitude de certaines silhouettes.

Le « truc » qu’il y a dans l’air finit par se produire : une descente de policiers, qui déboulent à deux voitures, armés de flash-balls. Ils paraissent menaçants, mais sans cet air agité qu’ils peuvent parfois laisser transpirer. Sauf qu’un événement vient les piquer au vif. Du haut de son douze étages, Frank, 14 ans, a la bonne idée de jeter le contenu d’un yaourt en direction des flics postés en bas. Et pile sur l’uniforme ! Nous assistons à cette scène avec d’autres jeunes, qui eux sont morts de rire.

On voit Frank se cacher, regarder par la fenêtre, se cacher de nouveau, réapparaître. Dans le même temps, les policiers comptent les étages, jusqu’à tomber sur la tête de Frank complètement hilare. Forcément, un « Oh le con !… » vient à mes lèvres. Trois policiers montent dans la tour. Les autres protègent l’entrée, flash-balls à la main. Il va y avoir extraction. Quelques minutes plus tard, Frank, 14 ans, ressort menotté, les mains dans le dos, direction la première garde à vue de sa vie, devant les copains qui applaudissent. Il y a un sourire de fierté chez Frank. Il passe devant moi, agrippé par le policier, et me dit : « Hé ! Thomas, on se voit bientôt pour un nouvel atelier vélo ! »

Depuis plusieurs mois, certains vendredis soir, je l’emmenais à un atelier de réparation solidaire, au milieu des habitants bobos de la ville. Le gamin adore cet endroit : il y a un mélange social important et les gens sont bienveillants. Il y est très apprécié. Là-bas, il a une place, ses compétences et son intelligence y sont reconnues. Voir Frank passer devant moi, menotté, sans un regard des policiers, a été difficile pour moi. Est-ce que j’aurais dû réagir ? Les menottes étaient-elles vraiment nécessaires ? Une chose est sûre, c’est que la police et moi n’avons pas affaire au même ado. Notre bonheur à nous, éducs, c’est que nous voyons autre chose de lui. Mais parfois nos yeux sont sans doute un miroir insupportable. Je ne fais que penser tout haut, mais sans doute que, à force d’être étiquetés « sales gosses », il est difficile pour ces grands enfants de s’autoriser à réussir.

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