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Insertion : aux Ateliers Marianne, la création sert de tremplin

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Les Ateliers Marianne

Renaud Guigon (mensuisier) encadrant technique, et Laurent à l'atelier menuiserie.

Crédit photo Tim Douet
Le chantier d’insertion Les Ateliers Marianne, à Pont-de-Claix (Isère), propose un espace de création autour du bois et du tissu à un public très éloigné de l’emploi. Renforcer des savoir-faire et redonner confiance dans un projet d’économie responsable, ce projet ambitieux se vit et se visite.

« Aux Ateliers Marianne, on commence toujours par la visite. Il faut comprendre l’âme du lieu pour saisir notre projet social. » Elégamment vêtue d’un tailleur jaune et noir, la directrice, Magda Mokhbi, nous embarque dans les couloirs. Un tour d’horizon rapide éveille l’imaginaire d’un théâtre : le large accueil en guise de billetterie, les tables conviviales comme vestibule, des escaliers qui mèneraient aux gradins… Mais le tumulte ambiant fait vite dissiper le songe. Il suffit de tendre l’oreille pour que le projet social se rappelle aux visiteurs. Ce qu’on devine être des cliquetis de machines à coudre se mêle aux stridences des ponceuses, aux découpes de la scie circulaire, aux bips de camions qui déposent des palettes de bois, ou encore aux voix qui s’élèvent par-dessus le brouhaha… Sans rien voir, le chantier d’insertion se devine dans ses parcelles sonores : un atelier de menuiserie en bas, un autre de couture à l’étage.

« Le projet est né en 1998 dans le cadre de la loi contre la pauvreté et les exclusions, qui avait pour objectif numéro un la lutte contre le chômage. En parallèle, ici, à Pont-de-Claix [commune qui jouxte Grenoble, ndlr], une demande municipale et culturelle émanait pour créer des décors et des costumes de théâtre », raconte celle qui a pris les rênes de l’association dès ses débuts. « Les Ateliers Marianne – du nom des Caprices de Marianne, d’Alfred de Musset, la pièce jouée avec les premiers costumes créés en insertion – sont venus concrétiser l’utopie de soutenir le spectacle vivant en passant par l’insertion, c’est-à-dire transmettre des compétences techniques à travers une activité valorisante de création : la menuiserie et la couture. »

Donner de soi-même

Dans le grand atelier de menuiserie, les rayons du soleil révèlent la poussière de chantier comme des apparitions divines. D’immenses placards regorgent d’outils de toutes tailles et couleurs. Une caverne d’Ali Baba en pleine zone industrielle, louée par la ville de Pont-de-Claix depuis 1998. Penché sur son établi, Laurent étudie avec minutie les contours du tabouret qu’il est en train de confectionner. Rien ne laisse paraître qu’un accident du travail l’a obligé à interrompre son activité avant la crise sanitaire. Un mal de dos couplé à des problèmes de cœur, et il s’est retrouvé subitement à l’arrêt. « Il faut dire aussi que je ne supportais plus la pression imposée en entreprise », se livre Laurent. Accompagné par Pôle emploi, cet ébéniste de formation ayant longtemps œuvré dans l’industrie du métal a souhaité revenir à ses premières amours : le bois. « Depuis mon arrivée ici, il y a six mois, j’ai vraiment repris confiance en moi, raconte-t-il. J’avais besoin de me prouver mon autonomie, et j’ai retrouvé de bonnes relations humaines dans le travail. » Tel un pilier à ses côtés, Renaud Guigon n’est pas pour rien dans ce rétablissement. Menuisier, designer, professeur à l’Ensag (Ecole nationale supérieure d’architecture de Grenoble) passé par le travail industriel, il est encadrant technique d’insertion depuis sept ans. « Le travail, c’est le prétexte, explique-t-il. Le vrai sujet est l’accompagnement de ces personnes en panne de parcours. Il faut beaucoup d’écoute et de temps pour rééduquer les corps et les esprits au travail, surtout dans la fabrication du bois. »

Apprendre les bases de la géométrie et du calcul à Mokhtar, qui n’a pas reçu d’éducation en Guinée ; renforcer les gestes de Laurent ; faire acquérir à Abdel Kader le vocabulaire de l’outillage menuisier… « Je n’occulte rien. Je dois faire preuve de pédagogie tout en imposant les règles d’un lieu de travail pour les mettre dans les conditions du réel : la ponctualité, le respect de la hiérarchie, les règles en atelier, le travail en équipe », détaille le chef d’atelier, décrochant un sourire de connivence à Abdel Kader. L’homme à la stature imposante sort un gros classeur jaune et passe en revue toutes ses créations de meubles et de décorations en bois réalisées depuis deux ans. Le vocabulaire est fragile mais les yeux pétillent à l’évocation de ce qui représente un véritable palmarès. « J’avais moi-même un atelier de menuiserie en Algérie. Mais depuis mon arrivée en France en 2001, je n’ai pas pu exercer. » A quelques jours de la fin de son contrat, Abdel Kader est en attente de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) – qui peine à arriver – à la suite d’un problème aigu à l’épaule engendré par trop d’effort physique.

« La créativité est une des valeurs fondamentales des Ateliers Marianne. » Carine Hermann, la chargée d’insertion, appuie ses termes : « C’est impressionnant de voir qu’en quatre mois quelqu’un puisse fabriquer un meuble ! La personne est son propre moteur, et c’est par cette ingéniosité que l’on construit ensemble le projet d’avenir. » La professionnelle fait partie de l’équipe de six salariés permanents des lieux et accompagne mensuellement 17 personnes âgées de 23 à 63 ans, sur des contrats de six mois renouvelables trois fois. Sa présence est toutefois quotidienne. « Nous accueillons des gens très éloignés de l’emploi, parfois depuis plus de cinq ans, qui cumulent de nombreux freins liés à la mobilité, au logement, à l’endettement, à la garde d’enfants, à un parcours d’exil, à leur santé, à la langue… Tout cela se travaille tous les jours », souligne-t-elle.

D’une niche à un tremplin

« Bouton », « mètre ruban », « épingle à nourrice », « bobine », « paire de ciseaux », etc. Des voix aux sonorités étrangères parviennent du haut des escaliers. Un petit groupe de huit personnes récite le champ lexical de la couture. Encadrée par une large fenêtre donnant directement sur le massif de la Chartreuse que longe l’autoroute vers Grenoble, Annabelle Nachon, formatrice en français langue étrangère, anime le cours de langue du mardi. Face à elle, Salma fronce les sourcils, très concentrée, un doigt verni posé sur chaque image correspondant au mot en question. « Ça fait un an que j’ai rejoint les Ateliers Marianne », raconte la femme d’une quarantaine d’années dans un français hésitant, rajustant son foulard bleu ciel et sa coiffure élaborée. Son visage joliment maquillé s’éclaire quand elle évoque son passé de couturière au Liban : « J’ai travaillé avec des stylistes célèbres, et maintenant je veux apprendre des nouvelles techniques. Mais pour ça, je dois améliorer mon français. »

Si la plupart des salariés ont, sinon des prérequis, du moins une grande passion pour le travail du bois ou du tissu, pour beaucoup, c’est la langue qui patine. « L’apprentissage du français est très long, donc ces deux heures hebdomadaires sont très importantes », explique Carine Hermann. Elle ne cache pas que les défis sont de taille pour les salariés accueillis car les débouchés dans les secteurs du textile et du bois restent difficiles : « Il y a du travail dans la décoration, mais il faut au moins être diplômé d’un CAP. Or beaucoup de salariés qui passent ici ne suivront pas cette formation. Idem pour la couture, dont les débouchés existent avec un CAP mode, prêt à porter. »

Après une année et demie passée aux Ateliers Marianne, Bénédicte a enchaîné avec un petit contrat dans la fabrication de prothèses. Le destin a voulu qu’elle revienne dans l’atelier couture tant apprécié, contactée par l’association pour assurer un remplacement en tant que cheffe d’atelier. « Je savais que je ne trouverais pas forcément de travail dans le secteur du textile. Ce que m’a surtout révélé mon passage ici, c’est que j’aimerais valoriser les savoir-faire artisanaux d’autres cultures. Regardez, dans cet atelier de couture, on fait le tour du monde ! », lâche-t-elle joyeusement, avant d’énumérer les pays présents : « Liban, Syrie, Guinée, Congo, Philippines. »

Au fond de l’atelier, veston de velours taillé sur mesure sur une chemise impeccable, Adam incarne l’élégance. Sa dextérité à la machine à coudre révèle une longue expérience. Couturier depuis vingt-deux ans dans son pays, le Soudan, le quinquagénaire ne se voit pas faire autre chose en France, depuis son arrivée en 2018. Adam n’a d’ailleurs aucun doute : après ce chantier, il montera son propre atelier à Grenoble. « Ça marchera, j’en suis sûr, car il y a toujours des besoins en retouches, et puis je pourrai proposer des vêtements soudanais ! » L’auto-entreprise est une option à envisager, car si la plupart des personnes intégrant les ateliers trouvent de l’emploi dans les métiers du bâtiment, de la menuiserie et de la logistique, c’est plus compliqué dans la couture. « Il y a bien du travail dans la couture industrielle aux environs de Grenoble, mais cela nécessite d’avoir le permis de conduire », détaille Carine Hermann, pointant une autre problématique de taille.

Circuit court et recyclage

« Quand on voit les salariés en insertion s’épanouir, on se dit que c’est gagné, pas vrai les filles ? » Chaque matin, pendant que les salariés confectionnent et fabriquent, Anne-Marie, Danièle, Nelly et Françoise s’activent dans une autre pièce. Telles de petites fées du logis, ces retraitées bénévoles à la forte personnalité trient, plient, repassent, cintrent et rangent des vêtements. « Nous récupérons des vêtements déposés à l’extérieur dans la borne-relais, que nous revendons ensuite », détaille Nelly, 81 ans, présidente de l’association. Au fil du temps, les Ateliers ont en effet mis en œuvre les principes du développement durable : « S’imposer un circuit court des matériaux (le bois vient par exemple de Chartreuse), réutiliser des tissus, recycler, réduire les déchets… Tout cela s’est intégré dans le projet social », ajoute Magda Mokhbi.

La directrice n’a rien laissé au hasard. De la fabrication initiale de décors et de costumes de théâtre, les ateliers ont évolué vers d’autres créations (prêt-à-porter sur mesure pour les particuliers, petites et moyennes séries commandées par les collectivités locales ou des entreprises… ), pour rejoindre récemment Fabricanova, un collectif d’entreprises, d’associations et de collectivités au service du réemploi, porté par la Métropole de Grenoble. En parallèle, une boutique s’est créée il y a trois ans dans le centre-ville de Pont-de-Claix pour vendre les créations des salariés du chantier d’insertion. Alexandra vient tout juste d’y être embauchée en contrat aidé, un emploi tout trouvé pour la jeune femme en panne professionnelle : « J’adore la récup, les vêtements de seconde main ! Je vais aménager ce magasin à mon goût. » L’objectif, soutenu par la directrice, est aussi de « toucher ceux qui n’ont pas un pouvoir d’achat énorme. »

Mais que l’on ne s’y trompe pas. « L’insertion sociale est au cœur de ma vision », rappelle celle pour qui l’accompagnement de chaque individu passant par les Ateliers doit être global : « Nous proposons des sorties culturelles, une prise en charge psychologique quand il y a besoin, des temps d’échanges thématiques avec des personnes extérieures ou encore des cours de maths donnés par une bénévole. » La formation initiale de la directrice en gestion, comptabilité et finance donne une clé de compréhension de la solidité de l’association, qui s’appuie sur un conseil d’administration de bénévoles très impliqués. Un master en économie sociale et solidaire dans les politiques publiques est venu parfaire sa vision d’ensemble pour mieux questionner le travail social et ses pratiques : « Il faut créer de la cohésion entre les acteurs, sur un même territoire, dans une logique d’économie responsable, pour revaloriser le travail manuel et accompagner au retour à l’emploi », assure la directrice. Voilà peut-être la recette de longévité des Ateliers Marianne, de ses décors et de ses artistes.

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