Actualités sociales hebdomadaires - Sur la base de quel constat avez-vous décidé d’intégrer le programme I-Mano ?
Arnaud Simon : La perte de sens au travail. Nos financeurs nous imposaient du pointage à la minute et nous rencontrions des difficultés en termes de cohésion d’équipe et de motivation chez nos salariés. Non seulement nous peinions à recruter, mais nous étions confrontés à un important turn-over dans nos équipes. Une situation directement liée à notre histoire, trois fusions successives d’associations d’aide à domicile, qui rendait compliqué le fait d’avoir une même vision, un même cap.
Cette perte de sens est-elle inhérente au secteur de l’aide à domicile en général ?
Le manque global de reconnaissance de ce secteur est réel. Une absence de valorisation, qu’elle soit financière ou d’image, par une société qui voit encore l’aide à domicile comme de simples « femmes de ménage ». Aujourd’hui, plus de 80 % de notre activité concerne pourtant des actes d’assistance, c’est-à-dire des aides au lever, à la toilette, aux repas, au coucher, des actes essentiels à la vie quotidienne. Les travaux ménagers sont vraiment minoritaires.
Quel a été le déroulé de votre programme de formation managériale ?
Après la première phase de sensibilisation aux différentes approches, nous avons bénéficié d’un rapport de maturité fourni par un cabinet extérieur pour savoir où nous en étions et pour réfléchir à ce qu’il fallait améliorer. Très vite, il nous est apparu qu’il fallait insister sur la qualité de vie au travail. Nous avons en outre rajouté un module sur l’approche Montessori destinée aux personnes âgées. Cela nous paraissait apporter de la complémentarité pour remotiver nos équipes.
Comment avez-vous abordé cette phase plus pratique ?
Nous avons formé un groupe de travail avec les différentes composantes de notre association, de la direction aux aides à domicile. Un petit collectif resserré de six personnes, très moteur, qui a ensuite fait office de relais pour déployer les idées nouvelles à plus grande échelle. La dernière phase du programme a permis d’élargir le groupe de travail et de passer à douze personnes, afin d’essaimer par catégories de personnel sur l’ensemble de notre territoire. Nous sommes partis de problématiques rencontrées sur le terrain pour essayer d’améliorer l’organisation, les compétences, le management et les relations entre salariés.
Quels ont été les principaux axes de cette amélioration de la qualité de vie au travail ?
Nous avons insisté sur les six points qui nous paraissaient les plus importants : le management participatif – les aides à domicile sont désormais systématiquement intégrées dans la prise de décision – ; l’égalité professionnelle pour tous ; la notion de parcours professionnel et celle de montée en compétences ; la santé au travail – primordiale face au nombre d’accidents et d’arrêts de travail – ; l’approche Montessori, avec le « faire avec » la personne aidée plutôt que faire « à sa place ». Comme nous sommes très « timés » par nos financeurs, nous avions tendance par exemple à donner leur repas très rapidement à nos bénéficiaires, sans chercher à maintenir leurs capacités. Désormais, si les personnes aidées sont en mesure de manger une partie du repas seules, nous les laissons faire. Cela nous laisse du temps pour préparer le repas du lendemain. Enfin, le dernier axe concerne les relations au travail. On a notamment testé des équipes semi-autonomes, un peu sur le modèle du cabinet infirmier.
Quelles innovations concrètes ont permis de faire évoluer l’organisation de l’association Aider 17 ?
Le groupe de travail avait notamment identifié une problématique en termes de communication : nous intervenons sur le département de la Charente-Maritime, qui est très étendu, avec des équipes qui ne se connaissent pas forcément. Les informations circulaient de façon un peu disparate selon les secteurs. Nous avons alors créé un journal interne, le Quart d’heure. Avec une parution tous les deux mois, il permet de diffuser des informations descendantes et de présenter des salariés ou des partenaires. Tout le monde dispose ainsi du même niveau de connaissances et le sentiment d’appartenance s’en trouve renforcé.
D’autres idées ont-elles émergé de ces groupes de travail ?
Nous avons planché sur la question du cahier de liaison. Celui-ci reste au domicile des bénéficiaires et permet de faire les transmissions entre aides à domicile, entre aides à domicile et familles ou entre aides à domicile et autres intervenants du domicile. Nos salariées trouvaient qu’il n’était pas adapté, pas très constructif et qu’il était plutôt devenu un moyen de se défouler. Nous avons donc retravaillé le contenu de ce cahier de liaison en tenant compte de l’expérience quotidienne des aides à domicile. Je me suis personnellement rendu compte que ma vision en tant que membre de la direction pouvait être assez éloignée de la perception et des aspirations sur le terrain.
Quel a été l’apport du module Montessori ?
Ce module a permis de questionner le rôle de l’aide à domicile aujourd’hui et d’appréhender la volonté d’aider nos bénéficiaires, tout en faisant avec eux. Grâce à cette formation Montessori, nos aides à domicile se sont vraiment recentrées sur leur métier, en ayant à l’esprit qu’il faut laisser aux gens la possibilité de faire les quelques choix qu’ils ont encore à leur disposition. Si l’un d’entre eux exprime son envie de cuire lui-même son poisson ou de peler ses pommes de terre, cela prendra un peu plus de temps, mais nous y gagnerons parce que nous maintiendrons ses capacités et son autonomie. Cette formation a vraiment entraîné une réflexion profonde sur notre travail.
En tant que directeur, que vous a apporté le programme I-Mano ?
Les quatre étapes de ce programme d’innovation managériale ont beaucoup fluidifié les liens entre toutes les équipes. Entre les responsables de secteur et les équipes d’aides à domicile, entre l’encadrement et l’équipe de responsables de secteurs ou l’équipe administrative. Depuis que nous nous sommes engagés dans cette aventure, les tensions entre les salariés ont diminué et la prise en charge de nos bénéficiaires est meilleure. Nous avons notamment enregistré une baisse de 17 % des réclamations par rapport à la période d’avant la crise sanitaire. D’après nos enquêtes de satisfaction, les personnes accompagnées sont plus satisfaites des liens qu’elles entretiennent avec leur aide à domicile.
Et l’impact sur le turn-over de vos salariés ?
Nous commençons à avoir quelques chiffres. Depuis la troisième phase du programme, dans laquelle nous avons pleinement associé les salariés, l’absentéisme a baissé de huit points. Il est peut-être un peu tôt pour savoir si cette inflexion est significative, mais cela va dans le bon sens. Les arrêts de travail ont également diminué. Alors que le secteur peine à recruter, le programme I-Mano, combiné à certaines avancées comme l’équipement de véhicules de service, nous a permis de recruter de façon régulière. Même s’il reste encore à ce jour une dizaine de postes à pourvoir.
Qu’est-ce-qui ne sera plus jamais comme avant ?
La prise de décision. Jusqu’à présent, nous prenions les décisions d’en haut, au niveau de la direction et des cadres. Aujourd’hui, nous intégrons systématiquement nos aides à domicile. Nous nous appuyons beaucoup plus sur leur expérience, leur expertise et leurs compétences.