Dans sa chambre meublée d’un lit simple, d’un bureau et de quelques étagères, Axelle a tapissé les murs de posters de chevaux, sa passion. L’espace est douillet et impeccable, à l’instar de la salle de bains privative attenante. Voilà deux mois que cette trentenaire, porteuse d’une trisomie 21, a pris possession de l’une des dix chambres d’une immense maison située dans le quartier nord de Nantes : « J’en avais marre d’habiter chez mes parents. Je voulais vivre avec mes copains et être autonome. » Comme elle, Emma, Pauline, Valentin et Maxime, tous en situation de handicap intellectuel léger, jouissent d’une chambre au même étage. Au second, cinq chambres sont occupées par de jeunes professionnels âgés de 23 à 34 ans. C’est là l’originalité de Fratries, une expérience inédite de colocation qui a démarré en mai dernier avec une aspiration : changer le regard sur le handicap. « Ces jeunes grandissent en famille, entourés de frères et sœurs qui ne sont pas éducateurs. Arrivés à l’âge adulte, non seulement ils ont du mal à prendre leur envol, mais on pense leur travail ou leur logement pour eux et pas forcément à partir de leurs attentes », regrette Aurélien L’Hermitte, cofondateur du projet avec Emmanuel de Carayon, ex-secrétaire général des cafés Joyeux (qui forment et emploient des serveurs et des cuisiniers en situation de handicap).
Avoir son intimité tout en vivant des moments choisis avec les autres, tels sont les desiderata partagés par les habitants de ce coliving. Dans les grands espaces communs du rez-de-chaussée, ce petit monde se côtoie dans une ambiance détachée de toutes contraintes. Car ici, les jeunes actifs ne sont pas des aidants. « L’idée n’est pas que les jeunes pros soient acquis à la cause. On veut éviter de tomber dans une logique d’institutionnalisation. Le fait de ne pas avoir de responsabilités vis-à-vis d’eux les met sur un pied d’égalité », tranche le cofondateur rennais. Pour un bon fonctionnement, trois auxiliaires de vie d’ADT 44 interviennent auprès des colocataires dans les gestes essentiels du quotidien. Cuisine, ménage, linge, courses… la prise d’autonomie se fait au rythme et en fonction des capacités de chacun, seul le volet médical reste à la charge des parents.
Pas de limite de durée
Etienne Houssin, salarié du projet, apporte également son concours à la recherche d’emploi ou pour proposer des activités. Parce qu’il vit avec sa famille dans un logement qui communique avec la maison, sa présence sécurise autant qu’elle favorise la souplesse d’intervention. « Je me base sur leurs envies pour proposer des activités ou mettre en place des ateliers. C’est moi qui suis chez eux et pas l’inverse », explique l’animateur de la vie sociale et partagée.
Outre les règles classiques de vie en communauté, Fratries a pour socle un projet de vie sociale et partagée. Y sont indiqués les objectifs validés par les cinq colocataires : prendre les dîners ensemble, participer à des cours de chant… De leur côté, les professionnels s’engagent à participer, une fois tous les 15 jours, à un repas pris en commun. « Ma présence permet de réguler la vie sociale et d’offrir un temps d’échanges libres », décrit le référent nantais. La maison n’impose pas de limite de durée à ses locataires et, côté loyer, elle propose deux formules : une alignée sur les prix du marché pour les actifs, d’environ 750 € par mois, une autre, adaptée aux ressources des colocataires porteurs de handicap, 50 % moins chère. Avec les bénéfices dégagés, l’entreprise compte, à terme, financer d’autres habitats de ce type. Comme à Rennes où l’ouverture du futur coliving inclusif est prévue en 2023.