« Nous le vérifions tous les jours. La première chose que nous demandent les jeunes à la rue, après l’hébergement, c’est de pouvoir faire leur CV pour accéder à l’emploi et à la formation, ce qui seul permet d’ouvrir le champ des possibles, constate Marie-Léa Lacroix, éducatrice au sein du Gépij (Groupement d’éducateurs pour l’insertion des jeunes), implanté à Marseille. Or ils ne trouvent pas toujours leur place dans les dispositifs. Nous les accompagnons pas à pas dans ces démarches. C’est un travail spécifique. » Et exigeant. Identifier « le » programme d’aide adéquat, le ou les partenaires susceptibles de financer tout ou partie des parcours et savoir adopter la posture d’accompagnement qui convient, sans trop « materner » ou faire « à la place de », suppose souvent un changement de posture qui ne s’improvise pas. Pascale Gérard, directrice de l’innovation sociale et avenir professionnel à l’Afpa (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes), parle même d’« acculturation ». « En France, il existe des formations “parallèles” qui concernent, d’une part, le travail social et, d’autre part, l’insertion professionnelle. Nous nous rendons souvent dans les structures d’accueil pour initier les professionnels curieux d’apprendre sur ce sujet. »
Entrant jusqu’alors plutôt dans le champ des conseillers en insertion professionnelle, en général formés à ce métier, cette mission tend à s’intégrer davantage dans les attendus des travailleurs sociaux, qu’ils soient éducateurs spécialisés, moniteurs-éducateurs ou assistants sociaux. Une donnée qui fait partie intégrante du plan de formation élaboré dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté de 2018, qui prévoyait un budget de 9,5 millions d’euros pour former 50 000 professionnels par an sur trois ans. « L’un des principaux enjeux était de développer les pratiques d’“aller vers”, de s’adapter aux besoins réels et de favoriser un accompagnement global des personnes pour lever les freins à l’insertion et les aider à (re)trouver une place dans la société », explique Marine Jeantet, déléguée interministérielle à la prévention et à la lutte contre la pauvreté.
Développer le « pouvoir d’agir »
Pour chaque thématique(1), des groupes de travail se réunissent afin de proposer des modules de formation adaptés : politique d’insertion, acteurs, outils, dispositifs à mobiliser… Auxquels s’ajoute un volet « expert », qui concerne plus précisément le projet du bénéficiaire. Le tout vise non seulement à approfondir ou à réactualiser les connaissances des travailleurs sociaux déjà présents sur ce champ, comme les conseillers en insertion professionnelle, mais également à sensibiliser les assistantes sociales, par exemple. « Elles réalisent un accompagnement social généraliste mais peuvent être conduites à examiner la question de l’insertion professionnelle », détaille Martine Jeantet. Sont surtout ciblés, néanmoins, les professionnels exerçant au sein des conseils départementaux, chargés notamment d’aider les jeunes majeurs vers l’emploi et de gérer le volet « insertion » du revenu de solidarité active.
Pour Catherine Bernatet, dirigeante du cabinet parisien CB Conseil Formation, il s’agit d’un changement de fond qui l’a conduite à mettre en place des programmes de formation axés sur le développement du « pouvoir d’agir » des bénéficiaires. « Les travailleurs sociaux n’ont pas suffisamment développé cette dimension d’accompagnement socioprofessionnelle dans leur formation initiale. Pourtant, on leur demande aujourd’hui de fonctionner comme des coachs afin que les personnes retrouvent en elles la capacité d’agir. Il ne s’agit pas simplement de les aider à élaborer un CV… Cette nouvelle posture exige aussi des travailleurs sociaux qu’ils se familiarisent à la complexité du monde du travail. »
Encore peu de candidats
Si le besoin a bien été identifié et les fonds étant disponibles, peu d’organismes de formation ont inscrit à ce jour cette thématique à leur catalogue. « Différentes initiatives ont été prises avec le CNFPT [Centre national de la fonction publique territoriale] et les deux opérateurs de compétences [Opco] principalement concernés : l’Opco Santé et Uniformation, résume Marcel Jaeger, président de l’Unaforis (Union nationale des acteurs de formation et de recherche en intervention sociale). Mais au vu de l’ampleur des difficultés liées à la pauvreté et à la précarité, les conditions de l’accompagnement social restent insuffisamment soutenues. » Pourtant, pour celui qui a participé à l’élaboration du plan de formation national, il y a urgence : « Un des enjeux pour la formation, pour l’insertion et pour l’accompagnement social est l’obligation d’accroître des coopérations avec une grande diversité d’acteurs, d’intervenants, de services… pour coupler insertion professionnelle et insertion sociale, ou encore pour tenir compte de la nécessité d’un accompagnement complémentaire par des soins. Principalement en raison de l’impact des problèmes de santé mentale (dépression, addictions…) chez certaines personnes accompagnées. »
Freiné dans sa mise en œuvre au début de la crise sanitaire, en 2020, le plan de formation des travailleurs sociaux n’a pu être relancé avec les opérateurs au niveau national qu’au cours de l’année 2021. « L’offre de formation devrait se déployer à la rentrée prochaine, en fonction de l’évolution du Covid-19. Mais nous constatons que, malgré l’intérêt des établissements, il est parfois difficile de remplir les sessions de formation. Les petites structures sont les plus désavantagées car elles doivent faire face à des tensions de recrutement et peinent à gérer les absences des salariés en formation », pointe Laure Carré, responsable de l’ingénierie de formation à l’Opco Santé.
L’inclusion comme base
L’IRTS (institut régional du travail social) Hauts-de-France n’a, pour sa part, pas de souci de « remplissage » des promotions. Au contraire, « les demandes vont croissantes », constate Valérie Savary, responsable de la formation continue à l’institut. L’organisme va prochainement déployer une offre de formation sur l’insertion professionnelle. Financée dans le cadre de la stratégie de lutte contre la pauvreté, elle s’adresse à l’ensemble des travailleurs sociaux, mais s’est d’ores et déjà positionnée sur ce thème. A son catalogue : une formation intitulée « Travailler pour l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap », organisée sur trois jours, qui s’adresse aux professionnels au sein des établissements et services d’aide par le travail (Esat). « Ces établissements deviennent de façon plus affirmée des tremplins vers le milieu ordinaire, explique Valéry Savary. Les travailleurs sociaux ont donc besoin de connaître les dispositifs facilitant l’insertion. La société tend à être de plus en plus inclusive, la question de l’emploi des personnes en situation de handicap va donc s’intensifier. »
Aide médico-psychologique pendant onze ans au sein d’une section d’éducation motrice dans un collège public pour APF France handicap, Aline Courbo a été amenée à s’intéresser de près à la question de l’insertion, à la suite d’une enquête d’APF Hauts-de-France sur la situation professionnelle des jeunes de 20 à 30 ans issus des centres d’éducation spécialisée et des institutions. « La plupart étaient toujours au domicile de leurs parents, certains étaient diplômés mais n’avaient pas trouvé de travail adapté ou conforme à ce qu’ils désiraient. » Début 2021, une plateforme dédiée à l’insertion des jeunes de 14 à 30 ans, baptisée Passr’ailes, est donc créée dans l’Oise par l’association. Aline Courbo accepte le poste de conseillère en insertion professionnelle, ouvert à cette occasion. A la clé : une formation obligatoire pour mieux connaître les dispositifs et les divers partenaires. Elle suit un premier stage de quatre jours proposé par l’IRTS Hauts de France, puis une formation de conseillère en insertion professionnelle de huit mois à l’Afpa. Des enseignements « très denses et très intéressants » et des stages sur le terrain « qui m’ont beaucoup appris », dit-elle. « La question de l’insertion professionnelle est complexe et a été peu prise en compte jusqu’alors par les éducateurs avec lesquels je travaille. Ils n’ont pas l’habitude, c’est complexe, et on a tendance à se perdre dans les méandres des dispositifs de la formation professionnelle. De plus, les professionnels manquent cruellement de temps. »
(1) « Aller vers », « travail social collectif et développement social », « insertion socioprofessionnelle », « numérique et travail social », « travail social et territoires », « participation des personnes ».