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Migration : mieux appréhender les défis de l’interculturalité

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Crédit photo Loic Venance - AFP
Sujet prégnant dans de nombreux aspects du travail social, l’interculturalité n’est que très peu abordée en formation initiale. Or cette problématique évolue au gré des parcours migratoires et les travailleurs sociaux se forment pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent.

Dans les Hauts-de-France, l’institut régional du travail social (IRTS) propose une formation « Travail social et interculturalité » qui s’adresse aux professionnels du secteur sanitaire, social et médico-social. « C’est une formation volontairement généraliste et transversale. Tous les professionnels du social peuvent être confrontés aux problématiques migratoires, pas seulement ceux qui travaillent dans les centres dédiés aux personnes migrantes, explique Christine Pegna, chargée de mission en formation continue au sein de l’IRTS. On y interroge le rapport des travailleurs sociaux à l’interculturalité. »

Pour répondre à une demande d’employeurs de différentes structures, l’IRTS a remis en place, début 2022, cette formation qui existait déjà sous une autre forme. Cette nouvelle version a été élaborée avec Tugce Gungormez, psychologue clinicienne spécialisée dans la prise en charge de personnes issues de l’immigration et des psychotraumatismes. Elle se déplace dans les structures, partout en France, ou reçoit à l’IRTS de Lorraine lors de sessions de formation. « Des professionnels font appel à nous lorsqu’ils ont, d’une certaine manière, été heurtés par une culture autre que la leur, précise Christine Pegna. Les problèmes invoqués portent souvent sur des tensions ou sur le fait de ne pas se sentir à la hauteur. » Demander à être formé, selon Tugce Gungormez, « démontre une ouverture d’esprit et une volonté des équipes d’acquérir des compétences collectives pour améliorer la prise en charge de la personne accueillie. »

« Pas vraiment formés à l’école »

En deux jours, la psychologue va donc travailler sur la représentation que les professionnels se font du parcours migratoire avant d’aborder les problématiques qui leur sont propres. « Avec une vidéo et de petits exercices, on travaille d’abord sur la représentation. Qu’est-ce que signifie être migrant ? Il y a une notion de disqualification quand on parle de “migrant”. On met de côté tout ce qu’est et a été la personne. Il faut donc, pour pouvoir la prendre en charge, comprendre ses codes et ses normes. On n’intervient pas de la même manière avec une victime de violences conjugales quand elle est immigrée. »

Dans le sud de la France, Marion (le prénom a été changé), éducatrice spécialisée, intervient dans un CAES (centre d’accueil et d’examen de la situation) qui voit arriver une trentaine de migrants chaque semaine, majoritairement des hommes. Elle a alors moins de trois semaines pour recueillir les récits de vie de chacun d’eux avant d’envoyer leurs dossiers à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides), qui décidera si ces personnes peuvent, ou non, bénéficier d’une protection (voir encadré ci-dessous). Dans ce contexte, le rôle de l’interprète est essentiel pour que les demandeurs d’asile puissent raconter leur parcours. « Dans le cadre de leur vie quotidienne dans le centre, la barrière de la langue ou les différences culturelles créent parfois quelques surprises, raconte la jeune éducatrice. Ils n’ont pas nos codes quand ils arrivent, ils doivent apprendre petit à petit. Ceux qui viennent d’Afghanistan ou du Bengladesh, par exemple, où la place de la femme est très différente, sont parfois surpris quand ma collègue ou moi-même leur expliquons que tous les résidents nettoient les sanitaires à tour de rôle. De notre côté, il est primordial de faire preuve de bienveillance et de considération. Il est vrai que nous ne sommes pas vraiment formés à l’école, alors on travaille souvent au feeling. »

Pour les travailleurs sociaux qui, comme Marion, exercent dans des structures dédiées aux problématiques migratoires, Epsilon Melia, un organisme de formation du secteur social, médico-social et éducatif, propose neuf formations sur des thèmes plus spécifiques de l’interculturalité : « Traumatisme de l’exil et risques de psychopathologies chez les MNA », « Handicap et interculturalité » ou encore « Interculturalité et soutien à la parentalité », en sont quelques-unes.

« La thématique de l’interculturalité remonte fréquemment au cours des groupes d’analyse de pratiques que nous réalisons avec mon équipe tous les mois dans une structure différente, explique Marie Landreau, directrice du centre de formation parisien. Les questionnements sont nombreux et les professionnels veulent être formés et mieux comprendre les enjeux. » L’équipe a donc cherché des intervenants qui soient des gens de terrain et des consultants spécialistes du sujet. Les formations, dispensées dans les locaux mêmes d’Epsilon Melia ou au sein des structures, sont courtes et ciblées sur les travailleurs sociaux et les équipes pluridisciplinaires du médico-social.

Sur deux à trois jours, le début de la formation est consacré à la théorie afin que tout le monde acquière des bases communes. « Ensuite, nous nous appuyons sur des vidéos et des situations que les professionnels rencontrent avec les vignettes cliniques qu’ils fournissent. On leur apporte des clés de compréhension et des techniques d’entretien grâce à la consultation transculturelle », poursuit la directrice. L’intérêt de ces formations tient également dans l’acceptation du décentrage culturel. Les professionnels sont conscients qu’il ne faut pas appliquer leur vision aux personnes dont la culture est différente. Ils comprennent l’effet de ces différences sur la relation d’accompagnement. « Par exemple, les croyances ont un réel impact sur les personnes ; il convient d’accueillir ces dernières en même temps que leurs systèmes de représentations. Ainsi, les professionnels analysent différemment les situations familiales, la place de chacun ou encore le sens du handicap. Ils comprennent qu’aujourd’hui, les mineurs non accompagnés ne sont plus les jeunes qu’ils étaient, leur parcours étant beaucoup plus violent… » Ces clés aident donc les professionnels à aller à la rencontre de l’autre avec un regard différent.

Travailler sur les traumas

C’est le cas de Guillaume Schmit, chef de service aux Apprentis d’Auteuil dans le Val-d’Oise. Avec son équipe d’une dizaine de travailleurs sociaux, ils ont suivi la formation sur le trauma des mineurs non accompagnés. Son collègue Mourad Djoumbe et lui accueillent environ 60 jeunes dans un groupe de vie et en diffus dans des appartements. « La formation nous a semblé nécessaire car on sentait une évolution problématique parmi les jeunes qui arrivaient : les traumas et problèmes psychiques étaient de plus en plus présents. Ce jeune Guinéen, par exemple : son père s’est fait tuer devant lui, sa mère a été emprisonnée et il a fui en laissant son petit frère derrière lui. Il souffrait de graves angoisses et a fait une tentative de suicide. Ce type de prise en charge est difficile. Nous avons eu besoin de ressources pour gérer l’aspect culturel et la compréhension, mais aussi pour apprendre à appréhender le trauma. »

Et c’est bien ce que l’équipe aura gardé de cette formation que tous ont appréciée : « Aujourd’hui, le trauma est un point de vigilance et on parle davantage de santé qu’avant. Ce n’est plus un tabou. Cette formation nous a appris à aborder le mineur dans son ensemble. Nous disposons d’un temps assez court pour faire évoluer ces jeunes et désormais, nous réussissons à mieux approfondir. Moins nous sommes formés, et plus nous mettons en difficulté des gamins qui auront plus de mal à s’intégrer », conclut Guillaume Schmit.

Il y a fort à parier que cette thématique se développe dans l’ensemble des centres de formation car, comme le souligne Marie Landreau, « aujourd’hui, l’interculturalité ne se résume plus à une ou deux cultures, c’est une problématique mondiale ».

Hausse des demandes d’asile en 2021

Après un ralentissement lié à la pandémie de Covid-19, les demandes d’asile introduites à l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) ont augmenté l’an dernier, selon le rapport annuel de l’organisation publié le 20 juin dernier. Au total, 103 164 demandes (majeurs, mineurs et mineurs non accompagnés) ont été enregistrées en 2021, soit une augmentation de 7 % par rapport à l’année 2020, mais un niveau resté inférieur de 22 % à celui de l’année 2019. Avec 14 475 dossiers gérés, l’Afghanistan est le premier pays de provenance des demandeurs d’asile devant la Côte d’Ivoire (5 298 premières demandes) et le Bengladesh (5 122). Suivent la Guinée (4 599) et la Turquie (4 519).

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