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Troubles du spectre autistique : une équipe mobile au secours des usagers

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Virginie Decroix, infirmières (au centre), et Arnaud Pierron recontrent à son domicile Valérie Klein, dont le fils est autiste non verbal

Crédit photo Abdesslam MIRDASS
À Vesoul, en Haute-Saône, les professionnels du pôle de compétences et de prestations externalisées (PCPE) sillonnent chaque jour les routes pour rompre l’isolement des adultes souffrant de troubles du spectre autistique. Dans ce département très rural, le service apporte un soutien social, médical, psychologique et éducatif aux usagers.

Regards directs quasi inexistants, refus des câlins, difficultés à interagir avec des comportements non verbaux… Assis du côté passager, Arnaud Pierron psychologue, énumère à son collègue Camille Thierry, assistant de service social, les conclusions des tests de Joshua. Le jeune homme de 18 ans a rencontré les professionnels du pôle de compétences et de prestations externalisées spécialisé dans les troubles du spectre autistique (PCPE-TSA) à plusieurs reprises durant les mois précédents. Ils se rendent aujourd’hui à sa rencontre pour lui annoncer les résultats du diagnostic TSA qu’ils ont réalisé. Par la fenêtre de la 208 GT blanche du service, la campagne de la Haute-Saône défile : pâturages, étangs, forêts, fortifications Vauban… Les routes sont vallonnées et le paysage verdoyant.

Le rendez-vous se déroule au lycée professionnel Beauregard de Luxeuil-les-Bains, en présence de la mère de Joshua, de son professeur d’atelier, du CPE de l’établissement et de l’infirmière scolaire. C’est cette dernière qui a pris attache avec l’équipe du PCPE en début d’année 2022, lorsqu’il est devenu majeur. « On se démène depuis trois ans. Il nous était insupportable de le voir seul au fond de la classe. Nous savions qu’il avait des spécificités et nous nous sommes adaptés, mais on souhaitait comprendre de quoi il s’agissait », explique Sylvaine Clément. A de multiples reprises, elle a contacté le centre de ressources autisme (CRA) de la région. En vain. Les listes d’attente sont longues chez les mineurs : de dix-huit mois environ pour entamer une évaluation.

Calmement installé, lunettes vissées sur le nez et bras croisés, Joshua écoute attentivement les explications d’Arnaud Pierron. « Les tests concluent que quatre des quatre domaines d’analyse dépassent le seuil qui conduit à un diagnostic de troubles du spectre autistique », indique le psychologue. Peu loquace, le jeune homme hoche la tête pour acquiescer aux observations de l’équipe et répond de manière lapidaire lorsqu’une question lui est posée. L’annonce était attendue, elle est bien reçue. « On le savait déjà un peu, mais c’est important de l’écrire noir sur blanc, lance la mère de Joshua. Disons que c’est une béquille qui va nous aider à avancer. » La discussion s’engage rapidement sur la suite à donner. « Avec vous, on souhaite ouvrir le champ des possibles, que Joshua puisse avoir accès à une formation qualifiante ou diplômante », déclare Sylvaine Clément.

Après un stage de découverte effectué dans une boucherie, Joshua désire poursuivre dans cette voie. La reconnaissance de son trouble va lui permettre d’obtenir « une notification de la MDPH [maison départementale des personnes handicapées] mentionnant le TSA » et ainsi d’avoir « accès à d’autres droits et prises en charge spécifiques », précise Camille Thierry. Pour l’assistant social comme pour le reste de l’équipe, c’est le début d’un nouvel accompagnement. « On va établir des objectifs et je vais rester en toile de fond, que ce soit pour l’usager ou pour le proche aidant », précise le professionnel.

Une équipe pluridisciplinaire

Installée depuis janvier 2022 à Vesoul, préfecture de la Haute-Saône, l’équipe du PCPE-TSA pour adultes arpente chaque jour les routes de ce département très rural pour se rendre au plus près des bénéficiaires. Les voitures du service sont leur outil de travail privilégié. « On parcourt beaucoup de kilomètres, parfois 250 à 300 dans une journée », indique Arnaud Pierron. Porté par l’Association hospitalière de Bourgogne-Franche-Comté (AHBFC), le plus grand opérateur de santé de la région, les objectifs du dispositif sont multiples : rompre l’isolement des personnes, les accompagner dans leur projet de vie, proposer du soutien aux proches aidants et établir des diagnostics TSA simples lorsque les personnes ne présentent pas de comorbidités. Car si l’autisme se manifeste durant l’enfance, faute de dépistage, beaucoup le découvrent à l’âge adulte. « Les problématiques en lien avec les TSA émergent parfois à la majorité, lorsqu’il faut se projeter et s’émanciper de la cellule familiale. Les changements d’environnement et d’habitudes dans le cas d’un départ en études ou d’une mobilité professionnelle sont source d’angoisses. Ils agissent souvent comme un révélateur », affirme Laurence Bevilacqua, la coordinatrice en charge de l’équipe.

Nés de la stratégie nationale pour la prise en charge de l’autisme au sein des troubles du neurodéveloppement 2018-2022, les PCPE sont des équipes mobiles pluridisciplinaires. Celle de Vesoul se compose d’une coordinatrice, d’une infirmière, d’une psychiatre, d’un psychologue, d’un éducateur spécialisé, d’un assistant de service social et d’une secrétaire. Les différentes approches professionnelles permettent de définir des axes d’intervention spécifiques : parcours de soins, accès aux droits, accompagnements quotidiens, etc. Pour la coordinatrice, cette hétérogénéité est d’autant plus importante en zone rurale. « L’accès au service est plus compliqué, les transports en commun sont moindres et certaines personnes ne conduisent pas. Par conséquent, il est plus difficile de se rendre dans un groupe d’entraide mutuelle ou de s’insérer professionnellement. L’isolement géographique renforce l’isolement social », insiste-t-elle.

Concentrer des compétences diverses au sein d’un même pôle est donc essentiel. Principalement, pour favoriser l’accès aux soins des personnes présentant un TSA. C’est ce que souligne Virginie Decroix, qui assure l’accompagnement médical quotidien des bénéficiaires. « Je fais le lien entre l’usager et le professionnel médical en apportant des indications sur les difficultés comportementales, les singularités de la personne ou l’hypersensibilité sensorielle qu’elle peut ressentir », détaille l’infirmière de l’équipe. Dentiste, gynécologue, médecin généraliste, autant d’environnements inconnus qui peuvent stresser une personne autiste. « Dans certains cas, des actes simples comme le fait de prendre une tension peuvent s’avérer extrêmement délicats », assure-t-elle.

Favoriser la socialisation

Habilité par l’agence régionale de santé à suivre 25 personnes, le service en accompagne actuellement 17. Ce midi, Elise, bénéficiaire du dispositif, vient partager son repas avec l’équipe dans les bureaux de l’association. Un rituel mensuel pour la jeune femme de 33 ans, accompagnée par le PCPE depuis bientôt six mois. Ces moments de partage font partie de ces objectifs individuels de prise en charge, tout comme les balades et les activités qu’elle réalise toutes les semaines avec Emmanuel Ferreira Da Silva, éducateur spécialisé. Ils lui permettent d’entretenir des interactions sociales et de s’exercer à la gestion de ses émotions. « Tout me coûte énormément au quotidien dans mes relations sociales », déclare-t-elle, la voix fluette. Elise est diagnostiquée Asperger. Son TSA se caractérise par une hypersensibilité sensorielle aux odeurs, à la lumière, aux bruits. Les interactions sociales lui sont très énergivores, et débouchent souvent sur des moments de détresse et de mal-être prolongé.

C’est son psychologue qui l’a orientée vers le PCPE. « Je voulais comprendre mes difficultés. J’ai pensé que j’étais folle », énonce-t-elle. Depuis des années, elle tentait d’appréhender ses tiraillements et son incapacité à interagir avec les gens dans des actes du quotidien. « Je voyais des trucs à la télé, sur Internet, des similarités mais je ne savais pas ce qui relevait de l’inné ou de l’acquis », poursuit-elle. Finalement, à 33 ans, après des années de souffrances, la jeune femme a pu mettre un mot sur son handicap. Une définition pas aussi apaisante qu’elle se l’imagineait. « J’avais le sentiment que cela me soulagerait beaucoup. Finalement, ça a été très dur à vivre. J’ai eu l’impression de recevoir une condamnation, que l’on m’annonçait un truc irréversible », analyse-t-elle aujourd’hui.

Depuis l’annonce du diagnostic, elle rencontre Arnaud Pierron une fois par semaine lors d’un entretien psychothérapeutique. Celui-ci souligne l’atypisme de son profil : « Ce qui est difficile pour Elise, c’est l’entrée en relation. Mais cela ne relève pas d’un désintérêt pour l’autre, c’est seulement l’interaction qui est compliquée à éprouver. » De l’intérêt pour les autres, Elise en a à revendre. Socialement, la jeune femme est très engagée pour la cause animale, les luttes féministes et la défense de la communauté LGBT+. Elle organise des manifestations et participe activement à ces luttes sociales sur ses réseaux sociaux. Le filtre du numérique lui permet d’atténuer les interactions physiques et de se concentrer sur l’aspect sémantique des conversations. « Finalement, l’intérêt restreint d’Elise, c’est peut-être l’altérité », résume le psychologue. Assise à sa droite, la jeune femme semble acquiescer timidement, alors que son regard se réfugie dans son assiette.

Des dépistages tardifs

Après le déjeuner, Elise a rendez-vous avec Virginie Decroix, pour faire un point sur ses suivis médicaux. Une fois en tête-à-tête avec l’infirmière, la carapace qu’elle a exhibée pendant le repas se fend. La jeune femme s’effondre, fond en larmes. Une réaction qui n’étonne pas l’équipe. « Les efforts que lui demande un échange prolongé de la sorte sont insoupçonnés. On ne se rend pas compte. Elle était épuisée au niveau sensoriel, social et intellectuel », relève Laurence Bevilacqua. La retombée de cette charge émotionnelle constitue une base de travail pour les prochains accompagnements. « C’est l’un des objectifs que l’on a définis avec elle. Il faut qu’elle puisse se confronter à des environnements stressants, qu’elle sorte de sa zone de confort et puisse appréhender ses limites », soutient Arnaud Pierron.

Pour le psychologue, titulaire d’un diplôme universitaire sur les TSA, le dépistage tardif d’Elise n’est pas un cas isolé. « Beaucoup de personnes se rapprochent de nous pour tenter de comprendre leurs difficultés sociales au quotidien. Pour les adultes, la démarchec est plus complexe car beaucoup s’ignorent encore », explique-t-il. Pour réaliser ses diagnostics, l’équipe s’appuie sur des tests reconnus et recommandés par la Haute Autorité de santé : l’Ados 2 et l’ADI-R. Le premier se concentre sur la symptomatologie actuelle du bénéficiaire. Le second analyse les symptômes durant la petite enfance (de 0 à 6 ans) en s’appuyant sur un entretien avec les parents. L’évaluation porte toujours sur les trois mêmes indicateurs : la communication, les interactions sociales et la stéréotypie (intérêts restreints).

Les demandes d’orientation que reçoit l’équipe émanent de professionnels de santé, de l’entourage des usagers, du centre ressources autisme (CRA) de Franche-Comté et parfois, comme dans le cas de Joshua, de l’Education nationale. Une fois le diagnostic posé, si besoin, et la saisine du dossier effectuée auprès du CRA, l’intervention du PCPE commence. « L’accompagnement n’est pas limité dans le temps », souligne Camille Thierry. Il s’arrête lorsque le bénéficiaire a acquis suffisamment d’autonomie. Pour l’assistant de service social, ce fonctionnement est confortable car il permet « de se projeter dans le temps long et de respecter la temporalité de l’usager ». Afin d’assurer une disponibilité élargie, l’équipe travaille du lundi au samedi, avec des horaires modulables au gré des accompagnements. Pour la coordinatrice, la force du dispositif réside dans cette flexibilité si singulière : « Les membres de l’équipe sont sur tous les fronts. Ils s’adaptent sans cesse aux profils des personnes. »

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