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Travail social : « Les professionnels s’interrogent sur leur place dans la société »

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Représentant du Cnajep (Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation poupulaire) au Cese, Evanne Jeanne-Rose est aussi vice-président de l’Union nationale pour l’habitat des jeunes.

Crédit photo Katrin Baumann
En février dernier, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a lancé une consultation publique sur les métiers de la cohésion sociale. L’avis sera publié le 12 juillet. Evanne Jeanne-Rose en est le rapporteur et analyse les premiers résultats.

Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi le Cese a-t-il décidé de lancer une consultation sur les métiers du social ?

Evanne Jeanne-Rose : Nous avons du mal à penser la transversalité de ces métiers et leurs secteurs d’intervention. Il existe des contextes de travail très différents. Un éducateur, un animateur ou un CESF (conseiller en économie sociale et familiale) peuvent être amenés à travailler auprès de personnes âgées comme d’enfants, autant dans la fonction publique que dans l’associatif ou le privé lucratif. Cette consultation a pour but de donner la parole aux professionnels, aux personnes accompagnées, aux familles, aux étudiants, aux formateurs… L’idée est de recueillir leur avis sur ce qui doit changer et progresser dans les métiers du social et du médico-social. Nous voulons apporter notre contribution sur ce qu’il faut améliorer et pourquoi. Le déficit de recrutement touche 10 % à 15 % des professionnels, voire 50 % dans certains secteurs et territoires. Ce qui signifie que des personnes ne sont pas accompagnées ou le sont mal. Des formes de maltraitance s’organisent alors.

Que montrent les principaux résultats de cette auto-saisiNe ?

Nous constatons que la question de la rémunération, certes essentielle, n’est pas un critère pertinent pour poser la problématique du secteur. Il faut aller au-delà. Les professionnels s’interrogent avant tout sur leur place dans la société. Ils se demandent si leur travail a encore de l’intérêt. Cette réflexion dépasse la question des politiques salariales, des politiques publiques et de leur articulation, au-delà des cohérences éthiques dans les injonctions faites aux travailleurs. L’autre constat est celui d’un énorme besoin de transmission de la part des professionnels. Ceux-ci veulent raconter leur quotidien, leur accompagnement. La qualité de leurs verbatims montre qu’ils prennent le temps d’expliquer très clairement leur travail, comment il a été dénaturé, comment il s’est dégradé. Ils nous font aussi part de nombreuses complications liées au management, de souffrances psychiques, physiques et éthiques.

La situation ne risque-t-elle pas de se dégrader encore ?

Nous avons posé aux professionnels la question du message qu’ils souhaiteraient faire passer aux jeunes. Bon nombre de réponses sont des avertissements. Certains estiment que si c’était à refaire, ils ne s’engageraient pas dans cette voie. Nous avons reçu beaucoup de messages douloureux. Les professionnels se sentent impuissants, confrontés à des situations auxquelles ils ne peuvent plus répondre. On leur demande de faire de l’émancipation, de l’inclusion sans leur donner les ressources nécessaires. Plus on avance dans le temps et plus les craintes sont vives. Un important turn-over se profile dans les années à venir. Selon les données de la Dares, la moitié des travailleurs sociaux a plus de 55 ans. Il est donc nécessaire de renouveler la moitié des effectifs d’ici dix ans. Or, en parallèle, nous constatons une baisse des inscriptions dans les organismes de formation.

Les formations sont aussi vertement critiquées par les acteurs…

Ils estiment qu’elles ne forment plus au travail social et éducatif en tant que tel. On leur enseigne les fonctions de coordination, de gestion de projet, de technicité administrative, de connaissance du champ… Mais il y a beaucoup moins de contenu sur l’éthique, les postures réflexives et tout ce qui permet d’acquérir un savoir-faire et un savoir-être. En conséquence, certains démissionnent et changent de métier au bout de deux ou trois ans. Le système de formation initiale et continue est donc à revoir. Par ailleurs, via Parcoursup, les étudiants se retrouvent de plus en plus jeunes face à des situations sociales très dures : viols, incestes, personnes suicidaires, migrants, pauvreté… Il faut pouvoir les soutenir, faire en sorte qu’ils réagissent correctement dans les contextes les plus complexes. Cela fait certes partie du métier, mais ils estiment qu’il faudrait plus de temps en formation pour analyser au mieux les situations et prendre les meilleures décisions. Les professionnels s’inquiètent aussi de la mise en place d’une tarification à l’acte et aux gestes, qui ne prend pas en compte le temps de présence effectif. Ce sont des métiers de la relation. Celle-ci ne se quantifie pas. La gouvernance par les chiffres fait des ravages dans la perception des métiers et dans la capacité à les envisager.

Qu’en pensent les familles et les usagers ?

Au cours de la consultation, j’ai échangé avec des résidents en MAS (maison d’accueil spécialisée) et des usagers d’IME (institut médico-éducatif). En larmes, ils dénonçaient une dégradation de leur situation. S’ils reconnaissent le mérite des salariés, ils ressentent moins d’écoute ou d’empathie. Les professionnels se concentrent plus sur des gestes et des techniques, moins sur le dialogue. Ce ne sont pas les travailleurs sociaux qui sont violents mais bien les conditions d’exercice de leur métier qui engendrent de la maltraitance. Le système dans son ensemble est à revoir. Ils déplorent aussi un trop grand turn-over des salariés. La pénurie de professionnels a des conséquences sur leur vie quotidienne. Soit les aidants ont plus de tâches à réaliser, soit les usagers n’ont plus la possibilité d’avoir une vie sociale et culturelle.

Qu’envisagent les professionnels pour changer la donne ?

Au-delà d’une hausse des salaires, ils estiment nécessaire que les pouvoirs publics prennent en considération leurs besoins psychiques et émotionnels. La question de la santé au travail est centrale et s’étend au-delà de la prévention des troubles musculo-squelettiques. Par ailleurs, ils ne veulent plus être uniformisés. Aujourd’hui, par exemple, trois professionnels peuvent travailler ensemble avec trois diplômes distincts. Trois formations différentes, avec des singularités, des apports différents. L’idée de créer une formation unique tracasse les professionnels. Pour eux, cela aboutirait à un appauvrissement de leur expertise auprès des usagers. Cet argument doit être entendu car ils revendiquent aussi d’être au cœur des politiques publiques. Auparavant, ils se percevaient comme les vigies de la société, capables d’alerter sur les difficultés des populations vulnérables. Aujourd’hui, ils se sentent de plus en plus dépossédés de ce rôle de sentinelle. Et le regrettent. Ils veulent que leur expertise soit de nouveau considérée par les élus.

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