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« La téléréalité banalise les violences sexistes »

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Auteure de Télé-réalité : la fabrique du sexisme, paru aux éditions Les Insolentes en avril 2022, Valérie Rey-Robert a aussi publié Une culture du viol à la française (éd. Libertalia, 2019).

Crédit photo DR
Depuis le début des années 2000, Valérie Rey-Robert anime le blog « Crêpe Georgette ». Dans son dernier livre, elle dénonce l’idéologie réactionnaire de la téléréalité ainsi que le mépris de classe qu’elle soulève malgré son influence sur les adolescents et jeunes adultes des milieux populaires.

Actualités sociales hebdomadaires - Sous couvert de divertissement, que véhicule la télé-réalité ?

Valérie Rey-Robert : Pour la plupart des gens, la téléréalité serait réservée aux décérébrés. En fait, il ne faut pas la détester parce qu’elle serait bête, ce qui ne veut rien dire, mais parce qu’elle est réactionnaire, sexiste et raciste. Le modèle mis en avant est normatif : blanc, valide et hétérosexuel. Les programmes sont majoritairement à destination des femmes, en particulier des classes populaires. Or les émissions concourent à les humilier en leur expliquant que la manière dont elles s’habillent, s’occupent de leurs enfants ou décorent leur maison est honteuse. Dans les séries à destination des jeunes comme « Les Anges », l’homme est grand, bronzé, musclé, fait beaucoup de conquêtes féminines… A contrario, il y a trois types de femmes : la fille facile, celle avec qui les hommes vont s’amuser avant de la larguer et qui va répéter ce rôle ad vitam æternam, la vierge qui attend que l’homme ait fini de la tromper et qui l’épouse, et la mère, le dernier rôle qu’elles adoptent toutes à la fin et dans lequel elles s’épanouissent.

Les stéréotypes semblent toucher davantage les femmes…

Il y a quelques années, une candidate avait reçu un seau d’eau sale à la figure au motif que c’était aux femmes de faire le ménage. Dans « Koh-Lanta », les femmes doivent être en bikini. Dans « La Villa des cœurs brisés », une candidate avait expliqué avoir tout accepté par amour, y compris se faire battre par son conjoint… Certaines productions recrutent aussi des candidats violents. Julien Guirado, par exemple, a avoué avoir été brutal envers son ex-compagne, puis il est revenu l’année dernière dans une émission de coaching autour de l’amour sur 6play. La téléréalité banalise les violences sexistes et sexuelles, mais ni plus ni moins que d’autres productions culturelles, y compris les comédies romantiques dans lesquelles un garçon va forcer une fille à boire pour coucher avec elle, ce qui s’appelle un viol.

Pourquoi faites-vous dans votre livre un focus sur les émissions de coaching-relooking ?

Les émissions de coaching relèvent du « post-féminisme », selon lequel il n’y aurait plus d’inégalités sociales, et où chacun serait responsable de son destin. Elles donnent l’illusion que si les femmes échouent dans leur vie professionnelle ou à élever leurs enfants, c’est de leur faute. Dans la série « Super Nanny », seules apparaissent des familles défavorisées, sous-entendant que là se situe la mauvaise éducation. Dans les pays anglo-saxons, l’image véhiculée est plutôt celle de la femme pauvre, obèse, sale, qui vit des allocations… En France, c’est un peu plus fin, mais on renvoie à la même chose. Pour les jeunes qui regardent « Super Nanny » ou « Les Reines du shopping », l’effet de repoussoir est évident. Les filles vont s’identifier à ces femmes, et comme elles sont souvent moquées, elles vont aussi les rejeter, les dénigrer en les humiliant, notamment sur les réseaux sociaux. L’immense majorité des jeunes candidates de téléréalité sont issues de quartiers populaires, de milieux sociaux en général très dévastés. Certaines ont été placées très tôt, ont connu les foyers, la protection judiciaire de la jeunesse ou les violences intrafamiliales. Les candidats masculins vivent de petits boulots et se confient moins sur leur passé, mais j’observe que beaucoup commettent des actes de violence à l’écran, qu’ils expliquent souvent par le divorce de leurs parents.

Quels peuvent être les effets sur les adolescents ?

De nombreux candidats de téléréalité n’ont aucun diplôme. Pour autant ils affichent leur richesse sur les réseaux sociaux, ce qui peut être dangereux. Prenons l’exemple de Nabilla qui, partie de rien, est maintenant millionnaire. C’est le rêve de beaucoup de jeunes. Les influenceurs font des placements de produits frauduleux sur les réseaux et, quand cela ne fonctionne plus, ils vendent des NFT [certificats numériques infalsifiables qui attestent l’authenticité d’un objet virtuel, ndlr], du trading ou des arnaques qui ruinent les jeunes. Les candidats promeuvent des opérations de médecine esthétique, improvisées dans des appartements loués sur Airbnb, avec des conséquences désastreuses. Depuis 2019, en France, les jeunes femmes recourent plus à la chirurgie esthétique que les plus âgées. Pour les garçons, le blanchiment dentaire et la pose de facettes en sont l’équivalent. Des interventions qui coûtent très cher. Par ailleurs, les émissions de téléréalité véhiculent l’idée selon laquelle les hommes ont besoin de sexe, que les femmes leur en doivent, et que, même si celles-ci s’y refusent, elles restent quand même intéressées. La question du consentement n’est jamais posée.

Pour gagner de l’argent, certaines développent des comptes érotiques…

Il y a beaucoup de mensonges autour du travail du sexe. Une candidate de téléréalité, Astrid Nelsia [qui vend des photos d’elle dénudée], a dit qu’elle gagnait 100 000 € par mois en travaillant trois minutes par jour. Même si c’était vrai, cela reste une exception. Aujourd’hui, des hommes font fuiter toutes les photos et vidéos payantes de ces jeunes femmes, qui se retrouvent maintenant en libre accès sur Internet.

Comment les travailleurs sociaux peuvent-ils accompagner les adolescents trop vulnérables ?

On ne gagne rien à traiter par le mépris la téléréalité, au contraire. En priorité, les travailleurs sociaux doivent prémunir les jeunes contre toutes les arnaques des candidats. Il faut les décortiquer, leur expliquer ce que sont des systèmes de vente pyramidale. Ensuite, il faut leur répéter que les scènes charriées dans ces émissions ne représentent pas la vérité. Enfin, je suis convaincue de l’importance de travailler sur les images sexistes avec les jeunes : pourquoi attend-on des choses différentes de la part des garçons et des filles ? Pourquoi une fille ne pourrait-elle pas aller seule en soirée ou avoir plusieurs petits copains ? Enfin, les travailleurs sociaux doivent introduire les théories du genre dans leur pratique.

Pourquoi s’intéresse-t-on si peu finalement à ce sujet ?

Ce désintérêt renvoie à un mépris de classe, ce qui me met en colère. On laisse à l’abandon les jeunes les plus démunis visés par ces programmes, aux mains de candidats qui leur vendent sur les réseaux des moyens de faire fortune rapidement et qui sont en train de les ruiner. Tout le monde se moque du modèle proposé aux jeunes filles : faire de la chirurgie esthétique pour se trouver un jeune footballeur !

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