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A Strasbourg, « James » aide à l'orientation des jeunes

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Gore Dahem pose pour un shooting, sous l'oeil attentif de Florian Machot, photographe

Crédit photo Abdesslam MIRDASS
Se frotter à ses envies, découvrir ses aptitudes à travers un atelier photo, du tatouage, de la couture… Sans engagement ni limite de temps. Juste celui de trouver sa voie. C’est ce qui guide l’action des référents du dispositif strasbourgeois James auprès des jeunes ni en emploi, ni en études, ni en formation (Neets).

« Si tu prends sa tête avec les mains, fais bien attention à ne pas les couper », souffle Adrien Berthet à Maël(1). Dans une salle de la Haute Ecole des arts du Rhin (Hear) de Strasbourg, transformée en studio, le jeune homme se concentre pour saisir les plus beaux portraits de sa modèle du jour, Chekina Tchicaya. « Il va falloir lui dire quoi faire », prévient Florian Machot, venu assister Adrien Berthet dans son intervention. « Là, tu ne peux pas être discret. Tu peux même mitrailler un peu plus. » L’atelier photo que les deux professionnels encadrent aujourd’hui participe d’un projet porté par le dispositif strasbourgeois de remobilisation et de préformation James, en collaboration avec Thémis, association de soutien juridique aux jeunes étrangers.

James s’adresse aux jeunes de 16 à 29 ans reconnus Neets (Not in Education, Employment or Training,« ni en emploi, ni en études, ni en formation ») par Pôle emploi ou les missions locales. Cette initiative expérimentale ancrée dans le milieu alternatif strasbourgeois est abritée par l’Ecole supérieure européenne de l’intervention sociale de Strasbourg depuis septembre 2019. De cette séance photo jusqu’à l’étape de la post-production, les travaux des jeunes vont donner lieu à une exposition de portraits d’une dizaine de volontaires de Thémis, à l’occasion de la Semaine des réfugiés de Strasbourg, du 13 au 20 juin. Trois bénéficiaires du dispositif James seront derrière l’objectif.

Cet après-midi, Cyril est plus bavard que Maël. Il s’aventure à la photographie pour la première fois. « Je cherche à prendre les personnes dans des postures naturelles », explique le jeune homme de 19 ans qui aime jouer avec l’éclairage. « Je photographie aussi les coulisses, ce qu’il y a derrière le portrait. » Cyril a rejoint le dispositif James il y a deux mois sur la recommandation de son éducateur de prévention. « Avant, je faisais une formation de mécanicien. Mais j’ai été viré au bout de deux semaines. » Il n’a pas encore tranché sur la suite. « Je suis en pleine réflexion, observe-t-il. J’essaie de faire un bilan. »

Cyril a déjà testé beaucoup de savoir-faire. Il a découvert la soudure et fabriqué une bague, créé une sculpture en fils de fer, commencé à façonner un portefeuille en cuir et à composer un cahier de lettres à l’encre… Il s’est même exercé à l’art de la langue de bois. « C’est dire quelque chose pour que ça semble moins grave », résume-t-il. James offre à ses jeunes la possibilité de choisir dans un catalogue d’une quarantaine d’ateliers, auprès d’un réseau d’une trentaine d’intervenants, souvent issus du monde associatif alternatif. Mathilde Brandon et Ophélie Meyer sont référentes de parcours d’une quinzaine de jeunes chacune et les aiguillent à mesure qu’elles affinent leur perception de leurs protégés.

Six jeunes devaient participer à ce projet photo. Finalement, seuls trois ont répondu présents. « Les mobiliser est une partie importante de notre travail, explique Ophélie Meyer. Il n’y a pas de notion d’engagement dans ce dispositif. En revanche, on essaie de leur faire comprendre que s’ils commencent quelque chose, ils doivent aller jusqu’au bout. Comme les jeunes qui viennent sont volontaires, ils ne sont jamais passifs. C’est aussi une motivation pour les intervenants. » Ce « papillonnage » a déjà révélé une chose à Cyril : « Je ne pensais pas être capable de faire autant de choses avec mes mains. » Quelles que soient les compétences transmises, il est primordial que l’atelier aboutisse à une réalisation. « Cela les motive à aller au bout et leur donne la fierté de l’avoir fait », défend Ophélie Meyer.

Un réseau de convivialité

Helena Da Rocha Moreira s’empare à son tour de l’appareil et scrute les meilleurs profils de Chekina Tchicaya. « N’hésite pas à te baisser pour changer un peu les angles », l’encourage Adrien Berthet. Le photographe se dit « scotché ». Aujourd’hui, tout le monde est à la hauteur de l’enjeu. « Ils prennent plus de risques que nos élèves en école. En une journée, les résultats sont déjà palpables. Nous étions très anxieux sur la rigueur du travail final, parce que le but de cette exposition est que les jeunes soient tous pris au sérieux. »

Le soleil fait irruption dans la salle. Les notes de Let Them Talk par Hugh Laurie donnent le rythme. Epingles, chaises… Pour endiguer cette « fuite de lumière », tous s’affairent à resserrer les hauts rideaux noirs des immenses fenêtres. Les clichés qu’Helena a fait de sa camarade congolaise Chekina leur valent à toutes les deux rires et sourires. « J’ai essayé de la prendre au moment où elle ne s’y attendait pas, surtout quand elle rigolait », rapporte Helena.

Et pourquoi pas inverser les rôles ? Cette fois, c’est elle qui prend place sur le tabouret. Un peu intimidant pour la jeune femme. « Ophélie ! Qu’est-ce que je fais avec mes cheveux ? », appelle-t-elle à l’aide sa référente. « Il nous faut un assistant vent ! », annonce Florian Machot à la ronde. « Fais comme si tu attendais le bus », blague Ophélie Meyer, rappelant le conseil que lui a donné Adrien Berthet quand elle s’est prêtée à l’exercice. Chez James, référents et jeunes se lient en apprenant ensemble, sans prérogatives ni jugements. « C’est souvent eux qui nous montrent comment faire », assure la référente. Plus largement, James est d’abord un réseau de convivialité dont beaucoup de moments clés se passent autour d’un café ou d’un plat du jour en terrasse.

Éducation populaire et autogestion

Florian Machot met à l’aise Helena : « N’attends pas la photo. Fais confiance à la photographe. Il y en aura des bien et des moins bien, mais au moins tu seras naturelle. Bien sûr, tu pourras sélectionner. Moi-même je ne m’aime pas en photo, peu importe le photographe, c’est normal. » Ophélie Meyer observe que depuis un mois qu’Helena Da Rocha Moreira participe à James, elle s’est métamorphosée. A la suite d’un traumatisme, la jeune femme de 22 ans a arrêté ses études il y a trois ans. Elle vivait jusqu’alors calfeutrée chez sa mère. Jusqu’à ce que sa psychologue lui parle du dispositif. « Ça a tout changé, confirme-t-elle. Sans James, je ne sais pas comment je serais sortie de ma situation. Avant, je n’arrivais même pas à sortir. Alors être avec des gens, comme ça, c’était impossible. »

Depuis un mois et demi, la jeune femme se consacre à la couture et à la bijouterie. Côtoyer des inconnus dans une ambiance bienveillante lui a redonné de la confiance pour aller de l’avant. Helena n’est pas encore très avancée sur ce qu’elle attend de son avenir professionnel : « J’aime créer, imaginer. Mon problème, c’est que j’aime beaucoup de choses. » Mais elle estime que, dans son cas, ce n’est peut-être pas l’essentiel. « Je n’aurais pas imaginé retrouver du plaisir à faire des choses, ni en faire de nouvelles. Ça m’a donné du carburant. »

Sans engagement ni limite de temps, James se veut justement avant tout un révélateur de désir, porté par des non-professionnelles du travail social convaincues par l’éducation populaire et le principe de l’auto-gestion. « C’est le jeune qui crée l’histoire. Nous essayons d’être cadrants et de nous adapter », résume Mathilde Brandon, référente de Maël diplômée en sociologie et démographie, très impliquée dans le réseau associatif alternatif à Strasbourg et ancienne surveillante en REP+. « Nous faisons du sur-mesure, renchérit Ophélie Meyer, diplômée en psychologie et convertie à la thérapie institutionnelle. On va d’abord aller rêver un petit peu, puis on voit où ça germe. »

« Nous avons le temps et les moyens de faire les choses à l’inverse des services d’insertion classiques, qui regardent si le jeune colle ou pas aux métiers en tension », apprécie Mathilde Brandon. James est financé à 90 % par le Fonds social européen dans le cadre de son programme « Initiative pour l’emploi des jeunes » (IEJ), ouvert aux régions où le taux de chômage des jeunes est supérieur à 25 %. Son seul cahier des charges est de s’adapter aux jeunes, sans pression de résultat pour eux. Une obligation de moyens sans autre compte à rendre pour l’équipe non plus. Avec une enveloppe d’environ 1 400 € par jeune, elle peut financer des ateliers individuels ou en petits groupes comme de courtes formations pré-qualifiantes, et même du matériel individuel. Ainsi, James a déjà acheté une forge, du matériel acoustique et une machine à tatouage.

De celui qui ne démord pas de l’ambition de devenir tatoueur à celle qui cherche à faire porter une convention de stage pour une mission d’attachée parlementaire, certains jeunes arrivent avec une idée précise de ce qu’ils veulent. Dans tous les cas, une courte formation préqualifiante, le conventionnement pour un stage ou la conception d’un « book » avec de premières réalisations peuvent donner le coup de pouce à même de se lancer ou de débloquer les réserves de Pôle emploi à financer une formation à un métier peu commun. L’un a, par exemple, concrétisé son rêve de devenir médiateur canin, quand d’autres ont simplement pu rebondir grâce au brevet d’aptitude aux fonctions d’animateur (Bafa).

Revaloriser son image

Plus que l’insertion professionnelle, c’est l’insertion, au sens large, du jeune dans la société que Mathilde Brandon et Ophélie Meyer se donnent pour ligne de mire, dans un exercice de conciliation entre rêve et principe de réalité. « On va verbaliser les envies et aller voir ce qui est possible concrètement », résume Mathilde Brandon, avant d’illustrer : « Une rencontre informelle avec un illustrateur peut par exemple faire comprendre à un jeune que sa réalité est qu’il vit son rêve en continuant à travailler dans un restaurant même au bout de quinze ans d’activité. » Ophélie Meyer poursuit : « Si un jeune rêve d’être architecte, nous allons repérer avec lui des éléments qui peuvent lui plaire dans ce métier, pour y aller petits pas par petits pas en trouvant un travail qui se rapproche de ce but, ou alors pour dessiner un petit chemin pour kiffer à côté. Les notions de loisirs et de bénévolat sont très importantes. » Mathilde Brandon abonde : « Tout rêve ne doit pas nécessairement se transformer en métier. »

Pendant que la séance photo se poursuit, Gore Dahem imagine le message dont elle va accompagner son portrait lors de l’exposition. « C’est difficile de parler de soi », réfléchit la jeune Yéménite de 22 ans, arrivée en France il y a quatre ans. « Je veux parler des difficultés que j’ai eues ici. J’ai appris le français. Je suis sortie de ma bulle. J’ai découvert qu’aider les gens m’aide à me trouver moi-même. » Sur son panneau, Chekina Tchicaya veut, quant à elle, défendre l’idée qu’« il faut toujours croire en soi et en ce qu’on veut être plus tard, ne jamais écouter les choses négatives que les autres nous disent ». Ce projet d’exposition est une occasion de plus pour les jeunes de James de rencontrer des personnalités sans parcours tout tracés. Lors des ateliers, la proximité avec des intervenants aux trajectoires souvent faites de bifurcations ou d’accidents est tout aussi précieuse pour revaloriser l’image que ces jeunes ont d’eux-mêmes.

Dans la cour de la Haer, le groupe se frotte maintenant à la lumière naturelle. Gore Dahem a réservé pour ce moment une robe de mariage traditionnelle de Sanaa, que sa mère a portée la veille de ses noces. C’est Irakli, de Thémis, qui a le privilège de photographier la modèle. Maël est l’assistant lumière et règle le parapluie avec l’aide d’Adrien Berthet. Gore n’en finit pas de prendre la pose ici et là. Comment trouver le bon arrière-plan au pied des murs de l’école, qui imposent leurs immanquables fresques « Art déco » ? Irakli est tout entier à sa mission. « Depuis que j’ai commencé à prendre des photos sur mon portable, j’aimerais étudier la photographie », confie le Russe de 17 ans.

De plus en plus de jeunes rejoignent James par le bouche-à-oreille. Certains viennent de l’association Thémis. S’il prend l’envie à ceux présents aujourd’hui de s’appuyer sur le dispositif pour se lancer, la porte leur est grande ouverte, assure l’équipe. A ce jour, une soixantaine de jeunes ont bénéficié du dispositif. Après deux années d’expérimentation, l’aventure doit se poursuivre à l’automne sous l’égide de la Maison des adolescents de Strasbourg, avec un moindre financement européen.

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