En prison, le travail social est principalement assuré par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip). Différents professionnels interviennent de façon pluridisciplinaire au sein de ce service pour accompagner les personnes placées sous main de justice. Parmi eux, l’assistant de service social (ASS) retrouve progressivement sa place. Même si, à l’origine, éducateurs et assistantes sociales œuvraient pour accompagner les “prisonniers”, une nouvelle profession apparaît en 1993 : celle que l’on connaît aujourd’hui sous le nom de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (Cpip). Dans cette lignée, en 1999, les comités de probation et d’assistance aux libérés (Cpal) et les services sociaux éducatifs (SSE) fusionnent pour laisser place aux Spip. Leurs missions, principalement axées autour de la prévention de la récidive, ont progressivement évolué vers l’accompagnement des personnes condamnées en milieu libre (dans le cadre d’une alternative à l’incarcération) ou des personnes incarcérées (condamnées à une peine ferme ou en attente de jugement), afin de favoriser l’individualisation des décisions des magistrats.
L’élargissement permanent de leurs champs d’intervention a nécessité une définition précise du métier de conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation, publiée en 2009, suite à un rapport de l’administration pénitentiaire : ils ne pouvaient à eux seuls être présents dans tous les champs d’intervention. C’est ainsi que les ASS ont progressivement retrouvé leur place afin d’apporter leur expertise au sein d’une équipe pluridisciplinaire, les Cpip étant principalement formés autour d’axes purement juridiques et criminologiques.
Pour autant, force est de constater que les assistants de service social sont encore trop peu nombreux au sein des Spip. A titre d’exemple, sur une antenne comprenant un millier de personnes placées sous main de justice, seulement trois ASS sont présentes. Un accompagnement global ne peut être assuré et, pour parler trivialement, les interventions s’opèrent “à la chaîne”, faisant perdre tout sens au travail social. Le cœur des missions de l’assistant de service social est d’accompagner les personnes en fonction de leurs besoins et de leurs ressources. D’où la nécessité d’une prise en charge globale : tenir une situation administrative à jour, informer des droits sociaux et les aider à les rendre effectifs, favoriser l’accès et le maintien dans un habitat digne et adapté, suivre la gestion budgétaire, soulever les difficultés en matière d’accès et de promotion de la santé, accompagner vers une insertion sociale et professionnelle, sur le volet de la parentalité, orienter vers les partenaires adaptés, etc. Etre assistant de service social, c’est parfois simplement assurer une présence, écouter à travers une relation d’aide, faire émerger l’altérité comme passeur. Servir de béquille à une personne qui avance difficilement seule, et se retirer progressivement. C’est, avec le secret professionnel, offrir les conditions propices à une intervention dépourvue de jugement et de contrôle, favorisant une relation de confiance.
Déconstruire une image
Les représentations de l’assistant de service social qui effectue des démarches purement administratives doivent être déconstruites. Elles ont longtemps perduré dans l’administration pénitentiaire et sont encore tenaces dans certains services. Il s’agit sensibiliser chaque professionnel sur ce cœur de métier, tant au niveau du Spip que de l’administration pénitentiaire en général, et notamment du personnel de surveillance, qui, au-delà du volet sécuritaire, occupe une place centrale dans l’intervention auprès des personnes placées sous main de justice. La difficulté pour les ASS à trouver leur place dans cet univers réside dans la méconnaissance de leurs missions et du code de déontologie : “L’assistant de service social n’est pas le référent cartes d’identité ?” […] “L’ASS ne veut rien nous dire avec son secret professionnel” […] “L’ASS est là pour faire les démarches administratives”, etc.
Il n’est pas question de généraliser, heureusement, les choses tendent à évoluer, notamment grâce à l’augmentation du nombre de postes d’ASS au sein de l’administration pénitentiaire. La sensibilisation sur le terrain, l’opérationnalité à travers des interventions en équipes pluriprofessionnelles et “l’apprivoisement” des missions respectives de chacun permettent de déconstruire progressivement ces représentations, jusqu’à favoriser des interventions d’équipes entre Cpip et ASS, dans le respect de chaque professionnel et des personnes accompagnées. C’est souvent dans les structures de plus petite taille, où les moyens sont priorisés, que cela est possible. C’est dans ces conditions que la place de l’ASS est une plus-value, qu’il peut apporter son expertise, des prises en charge individualisées et favoriser le développement du partenariat. Le manque de moyens ne permet malheureusement pas à tous les établissements pénitentiaires de proposer ces conditions favorables. Au sein même de l’antenne citée plus haut, en dépit de l’affectation d’une ASS à temps plein dans une structure d’une centaine de personnes, une autre intervient dans un établissement d’environ 1 700 détenus. Ce manque de moyens crée un manque d’équité en fonction des établissements, des enjeux locaux et politiques et de la priorité donnée aux interventions de l’ASS dans chaque service.
Missions peu lisibles
Au-delà de ces représentations renforcées par un cruel manque de moyens, la multitude de partenaires et intervenants rend également peu lisibles les missions de l’assistant de service social. L’administration pénitentiaire a bien cherché à combler ce manque : de nombreux partenaires sociaux (Pôle emploi, missions locales, points d’accès au droit, associations locales, etc.) ont ainsi franchi les portes des prisons pour favoriser l’accès au droit commun des personnes incarcérées.
Lorsque les ASS ont à leur tour retrouvé leur place en Spip, un double enjeu s’est alors dessiné : intégrer une équipe déjà constituée et y trouver sa place comme un membre à part entière et non comme un simple “partenaire”. La raison d’être de la profession d’ASS, à travers sa déontologie et son éthique, consiste à intervenir auprès du public en prenant en compte l’intégralité de sa situation, en cherchant les éventuelles “sous-demandes” et en réorientant si besoin. Si l’ASS est alors perçu comme un partenaire réduit à une portion congrue, intervenant sur un unique volet de son champ de compétences, son expertise en matière de prise en charge globale et d’analyse de la situation perd tout son sens. Ainsi, sur le terrain, ce panel conséquent d’intervenants rend parfois floues les missions et compétences des uns et des autres. Les personnes placées sous main de justice sont alors perdues devant cette multitude d’intervenants. Leur intérêt est alors parfois brouillé face à ce maillage partenarial : par exemple, sur le volet de l’emploi, elles sont orientées vers Pôle emploi ou la mission locale ; pour un dossier auprès du juge aux affaires familiales, vers le point d’accès au droit ; pour une demande de logement ou d’hébergement, vers une association locale et pour une question de surendettement vers l’ASS du service pénitentiaire d’insertion et de probation. Cette multitude d’intervenants ne permet pas la mise en place d’une relation de confiance privilégiée, indispensable à une intervention sociale efficace. L’enjeu, dans l’intérêt des personnes, est de reconnaître l’assistant de service social dans chaque service comme un membre de l’équipe, intervenant en complémentarité et aux côtés des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation afin de favoriser une analyse commune des besoins des personnes avant de les orienter vers les partenaires adaptés, si nécessaire.
Rappelons que les personnes condamnées sont avant tout des êtres humains, certes contraints, mais non dépourvus de droits fondamentaux. Leur permettre d’accéder aux droits sociaux relève d’une mission centrale afin de prévenir la récidive et de favoriser l’insertion sociale. La place de l’assistant de service social est ainsi une question majeure pour contribuer, dans l’intérêt des personnes, à cette insertion. Mais, plus largement, il nous revient de nous questionner sur la place des personnes placées sous main de justice aujourd’hui dans notre société.
Pour débattre : debat.ash