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Violences conjugales : « Le théâtre, une pédagogie par l’émotion »

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Fonctionnaire de police depuis 2002, Sonia Aya a passé une quinzaine d’années à parachever la pièce de théâtre Je me porte bien. Ce seule-en-scène a été joué le 8 mars dernier à l’Ecole nationale de police de Rouen-Oissel devant 417 personnes.

Pour mettre en lumière la mécanique complexe des violences conjugales, la policière Sonia Aya a décidé de passer par le théâtre. Portée par une comédienne seule en scène, sa pièce se veut un outil pédagogique et de prévention à destination des professionnels de tous les champs ainsi que du grand public.

Actualités sociales hebdomadaires - Comment l’idée de créer une pièce de théâtre sur les violences conjugales est-elle née ?

Sonia Aya : Mon premier lieu d’affectation en tant que fonctionnaire de police était le XIXe arrondissement de Paris. J’ai été très marquée par une intervention au cours de laquelle j’ai porté secours à une femme qui avait été blessée de plusieurs coups de couteau assénés par son compagnon. Avec mes collègues, nous sommes arrivés les premiers sur les lieux et, en attendant le Samu, ce qui m’a paru une éternité, j’ai pris la main de cette dame. Elle s’est accrochée à mon regard et j’ai alors ressenti beaucoup d’impuissance et d’incompréhension. Pour essayer de cerner ce qui conduisait à de telles issues, j’ai décidé de suivre la formation de référent « violences intra­familiales ». L’idée est née, alors, de créer un outil pédagogique qui permette à mes collègues d’appréhender la complexité du fléau des violences conjugales.

Pourquoi avoir choisi le théâtre comme moyen de pédagogie ?

A ce jour, 60 555 policiers sont formés à cette problématique des violences faites aux femmes. Cette pièce, je la vois comme une valeur ajoutée. Il s’agit, à mon sens, de pédagogie par l’émotion, d’un vecteur d’ouverture. Je sais que mes collègues sont bien formés, mais pour moi, ce qui crée les compétences, c’est la formation ajoutée à l’expérience. Pour travailler, les professionnels laissent parfois l’affect de côté et se rattachent à la rationalité. Ici, l’idée est que le spectateur s’identifie à la victime. D’ici la fin de l’année, 5 000 policiers en formation initiale et en formation continue dans les écoles de gardiens de la paix auront vu la pièce.

Quels mécanismes avez-vous voulu mettre en lumière ?

J’ai tenté de décortiquer le phénomène d’emprise à travers l’histoire de Rose, une jeune femme qui tombe amoureuse d’un homme brutal. La pièce raconte pourquoi, malgré toute cette violence, elle est dans l’incapacité de quitter son compagnon. Le spectateur est amené à comprendre les raisons pour lesquelles une femme accepte la première injure, la première gifle, les premiers coups. Pourquoi la victime est bloquée, une fois les violences physiques, sexuelles, psychologiques et parfois financières installées. Le cliché est certes en train de s’effriter, mais certains considèrent encore qu’une personne maltraitée n’a qu’à quitter la personne maltraitante. La pièce tend à humaniser ces victimes. Il faut souvent six à sept tentatives avant qu’une femme ne se sente prête à déposer plainte. Bien sûr, l’histoire de Rose reste spécifique et tous les dossiers de violences conjugales sont différents, mais le schéma d’emprise, fondé sur la culpabilité et la honte, reste à peu près le même. Cette pièce marque les esprits. Les spectateurs me disent sortir changés à l’issue de la représentation.

Quel a été le processus de création ?

J’ai écrit le squelette de la pièce Je me porte bien en sept jours et l’ai parachevée en quinze ans, le temps de rencontrer un maximum de professionnels. Un travail d’ordre archéologique. Je me suis notamment entretenue avec des intervenants sociaux présents dans tous les commissariats de France, qui orientent les femmes victimes, avec leurs collègues psychologues. J’ai également rencontré une psycho-traumatologue et une personne membre de l’Observatoire parisien des violences faites aux femmes. Après avoir vu la pièce, cette dernière m’a fait remarquer que, pour aboutir à un réel outil pédagogique, il était important que des aidants soient présents dans la narration. En effet, lorsque j’ai commencé à écrire, le personnage de Rose était très esseulé. Au cours de mon travail, j’ai intégré son patron, sa famille, ses coéquipières [le personnage pratique le football, ndlr]. En 2015, nous avons commencé une première mise en scène, que nous avons jouée une année dans un théâtre parisien. La pièce a ensuite été présentée au Festival d’Avignon. Une fois rodée, je l’ai montrée à la direction centrale du recrutement et de la formation de la police nationale (DCRFPN), ce qui a permis de faire avancer le projet. Après chaque représentation, nous organisons des tables rondes avec des spécialistes : psychologues, policiers, magistrats, associatifs, délégués aux droits des femmes. Ces séances sont très riches. Je me porte bien reste une pièce dure, qui nécessite un temps d’échange après la représentation.

Votre personnage s’inspire-t-il d’un témoignage particulier ?

Rose est âgée de 22 ans. Souvent, lorsqu’on parle des violences conjugales, il est question d’un couple habitant sous le même toit et ayant des enfants. Dans le cadre de mon métier, j’ai constaté que des jeunes femmes subissent aussi ce type de violences. Voulant faire de cette pièce tant un outil pédagogique que de prévention auprès des lycéens, il m’a paru judicieux de dresser le portrait d’une jeune femme qui découvre l’amour et tombe malheureusement sur un homme violent. Je me suis aussi servi de ce que j’ai entendu et observé dans ma carrière. Un jour, une collègue m’a expliqué qu’une femme avait eu le « déclic » pour quitter son mari lorsque celui-ci lui avait mis la tête dans le panier de linge sale… J’ai tenu à utiliser cet élément dans la pièce, car je l’ai trouvé marquant.

La mise en scène est très minimaliste.

En effet ! Les seuls accessoires sont une chaise et de quoi diffuser de la musique. Cette mise en scène dépouillée permet de jouer n’importe où. Nous avons ainsi pu donner des représentations dans des bibliothèques et des classes de lycée.

Comment la pièce va-t-elle continuer de vivre ?

Aujourd’hui, elle est présentée à la police nationale, aux gendarmes et aux pompiers, mais j’aimerais que les psychologues et les intervenants sociaux puissent aussi la voir au cours de leur formation. Nous devons tous travailler sur cette problématique. Enquêteurs, magistrats, travailleurs sociaux… nous sommes les différentes pièces d’un même puzzle. Une démarche de prévention auprès des jeunes est également très importante. A plus long terme, je souhaiterais que la pièce soit jouée lors de stages de sensibilisation pour lutter contre la récidive des auteurs. Cela les aiderait peut-être à prendre conscience de ce que vivent les femmes victimes de violence. Après une représentation, un magistrat m’a également suggéré d’écrire une autre pièce axée sur l’impact des violences sur les enfants. Je suis en train de terminer ce projet qui sera en quelque sorte le deuxième volet de Je me porte bien. L’histoire portera sur la nouvelle relation d’Alexandre, l’ancien compagnon de Rose, en couple avec une femme avec qui il a deux enfants.

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