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Entretien annuel d'évaluation : les craintes du « flicage »

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Crédit photo JPC-PROD - stock.adobe.com
Très utilisé dans les entreprises, l’entretien annuel d’évaluation a gagné le secteur social et médico-social. Un outil d’encadrement que les structures manient avec délicatesse pour désamorcer les craintes de « flicage ».

Chaque début d’année civile, Hubert Dubois, chef de service à l’institut médico-éducatif France Raphaële Fleury, lance les entretiens annuels d’évaluation. Responsable de l’internat, il passe au moins une heure, chaque année, avec chaque membre de ses équipes, soit une trentaine de personnes. Suivant une trame, il aborde plusieurs grands sujets : la satisfaction des salariés vis-à-vis de leur travail, l’exercice et la maîtrise des compétences liées à leur poste, les objectifs de l’année écoulée ainsi que ceux de l’année à venir… « Depuis sept ans, je rappelle toujours aux professionnels qu’il s’agit de leur espace d’expression, qu’il leur revient de donner le ton de l’entretien, la cadence. S’il faut y passer du temps, on le prend », explique cet ex-éducateur spécialisé, venu de la protection de l’enfance.

Quand il a été mis en place en 2009 par son employeur, l’association départementale de sauvegarde de l’enfance de l’Oise (ADSEAO), cet entretien a d’abord suscité la « peur d’un flicage », convient Laëtitia Zampese, directrice générale de la structure. Valorisés par des évaluations interne et externe positives menées en parallèle, les professionnels auraient été rassurés sur l’enjeu de cet exercice. « L’entretien d’évaluation n’est pas un lieu de règlement de comptes, précise-t-elle. Il vise à accorder un temps personnel à chaque salarié pour discuter de sa propre pratique, de sa volonté de bouger, voire de sa fatigue. »

Moments d’échanges

Très pratiqué dans le secteur privé, l’entretien annuel d’évaluation n’est pas imposé par le code du travail, à la différence de l’entretien professionnel. Si cet exercice reste encore marginal dans le secteur social et médico-social, plusieurs évolutions appellent au développement de cette pratique. Le sujet est à l’agenda des établissements publics, qui ont l’obligation, depuis 2021, de tenir un entretien professionnel. Objectif ? Définir la « valeur professionnelle » des agents pouvant ouvrir droit à un avancement. Une tendance semblable est en partie à l’œuvre dans l’aide à domicile (voir encadré). Plus indirectement, « la Haute Autorité de santé, qui vient de publier son référentiel, s’intéresse à la manière dont la gouvernance et le management sont déployés en faveur de l’usager », relève Colette Doumenc, présidente du cabinet IHOS, spécialisé dans l’accompagnement en ressources humaines. Dans un tel cadre, l’entretien annuel d’évaluation permet en principe d’analyser de plus près le travail accompli par les professionnels. Il est l’occasion de renseigner les directions sur la qualité de leur organisation, selon cette sociologue de formation. Ce moment d’échange joue aussi un rôle de reconnaissance auprès des salariés, particulièrement important dans un contexte de démissions en nombre et de pénurie de personnel. L’outil doit en effet être manié avec prudence pour ne pas se transformer en source de stress ou de conflits. Il suppose une maturité des organisations. « Si on fait l’hypothèse qu’il y aura une mise en insécurité des salariés, alors il ne faut pas y aller », avertit Colette Doumenc.

L’association En droits d’enfance, qui intervient dans le Val-d’Oise, a adapté les « entretiens annuels d’évaluation professionnelle » qu’elle pratiquait depuis 2017. Focalisée sur des qualités professionnelles (savoir-faire technique, maîtrise de soi ou rapport à la hiérarchie) et les objectifs, la première trame d’entretien « suscitait peu d’échanges », souligne Cathy Campos, directrice générale de l’association. Le nouveau modèle commence désormais par une partie globale consacrée aux « faits marquants » de l’année où les professionnels sont invités à faire leur propre bilan. Une autre partie de la discussion est consacrée à la qualité de vie au travail. Un sujet de frilosité pour les cadres qui craignent d’être démunis, mais qui doit être intégré afin de soutenir les professionnels, selon Cathy Campos. « On doit être en capacité d’évaluer leurs besoins pour qu’ils puissent remplir leurs missions en raison de la charge mentale, du niveau de responsabilité et des situations difficiles qu’ils rencontrent », explique-t-elle.

Elargi à de nouveaux thèmes, cet entretien n’abandonne pas pour autant le cœur de son sujet, à savoir l’évaluation des compétences. Chez En droits d’enfance, la qualité des écrits professionnels constitue par exemple un enjeu clé. « Du fait des difficultés de recrutement, on se retrouve avec des jeunes qui sortent de l’école et sont plongés dans l’univers de l’intervention en milieu ouvert avec de vraies difficultés », ajoute Cathy Campos. Au sein de l’ADSEAO, le contenu des entretiens d’évaluation évolue au fil du temps, en fonction des publics et des attentes. « Il y a eu toute une période où il a fallu aider les professionnels à gravir la marche de l’informatique. Puis nous avons travaillé sur la place des parents dans l’accompagnement », souligne Laëtitia Zampese. Un autre élément courant d’évaluation porte sur la capacité à travailler en équipe. « C’est un point essentiel », insiste Cathy Campos.

Définition des objectifs

Tout l’enjeu consiste ensuite à traduire ces exigences en objectifs dits « Smart », c’est-à-dire « spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporels ». Du côté de l’ADSEAO, il s’agit alors de fixer un nombre de rencontres avec les parents d’enfants en situation de handicap, afin de leur donner plus de place. Ou, dans le cas de l’accompagnement en fin de vie des enfants, de se former, d’organiser des réunions de concertation et de revoir les projets personnalisés pour s’adapter à ces situations sensibles. D’autres objectifs sont plus classiques, liés aux obligations administratives, comme la mise à jour régulière des projets personnalisés. A charge des chefs de service de doser les objectifs en tenant compte de la charge de travail des salariés, et de les faire évoluer d’une année à l’autre. « Il ne s’agit pas de remettre les mêmes items s’ils sont maîtrisés », précise Laëtitia Zampese. Par ailleurs, « l’objectif doit être tourné de manière positive. Il faut que ce soit constructif. Il ne faut pas, par exemple, inscrire “savoir écrire un rapport” », ajoute Cathy Campos. Pour donner du sens à cet exercice, son association « a travaillé sur toute une procédure pour faire le lien entre ces entretiens et la construction du plan de développement des compétences ».

Reste à préparer les cadres à cette pratique, qui n’a rien de spontané. Ayant introduit l’entretien annuel au sein des établissements publics d’Hallouvry, qui agit dans la protection de l’enfance, le handicap et le grand âge, Jean-Pierre Stellitano a pu constater ce même écueil. « Les entretiens n’étaient pas conformes. Les cadres ne rebondissaient pas sur les difficultés exprimées par les agents, et la formation était inscrite dans les objectifs alors qu’il ne s’agit que d’un moyen », témoigne-t-il. En conséquence, il a dû faire former ses cadres et managers de proximité aux spécificités de l’entretien d’évaluation. « Au début, je mettais des objectifs trop généralistes. Quand je reçois des projets personnalisés en retard, je fixe un taux de rendu dans les délais de 80 %. Je peux aussi fixer des délais de réalisation de projets d’équipe », témoigne, de son côté, Hubert Dubois, de l’ADSEAO. Pour lui, l’entretien est devenu un véritable « outil de management » qui permet de garder un œil sur la progression du travail. Entre deux évaluations annuelles, il organise même un point d’étape avec ses salariés, pour s’assurer que tout se passe bien.

Aide à domicile : l’évaluation au menu de l’avenant 43

C’est l’autre volet de l’avenant 43 de la convention collective de la branche de l’aide à domicile qui a augmenté les rémunérations dans ce secteur. L’accord, entré en vigueur le 1er octobre 2021, impose une nouvelle classification des emplois. Objectif : reconnaître la réalité du poste exercé pour définir la rémunération, au-delà de la simple ancienneté ou d’un changement d’emploi. Pour ce faire, un « entretien d’évaluation » est mis en place tous les deux ans, s’appuyant sur une « grille » définie par les partenaires sociaux.

Cette évolution majeure a été anticipée par certaines associations, qui tenaient déjà compte des « faisant fonction » non diplômés. « Bien avant l’avenant 43, notre souci était de regarder en face ce que réalisaient les personnes », explique Geoffroy Verdier, directeur de l’association Aide à domicile pour tous (ADT). La nouveauté de l’accord réside toutefois dans le critère de « parfaite maîtrise du poste ». S’ajoutant à la condition d’expérience ou de formation suffisante, ce critère permet de progresser à l’échelon 3 au sein d’un degré. Chez ADT, faire preuve d’une forte autonomie dans son poste (proposer une solution de planning en cas d’absence) est ainsi devenu une manière d’obtenir cet avancement. Il en va de même pour l’investissement dans des actions collectives auprès des personnes accompagnées que propose l’association. Une manière de récompenser l’engagement de certains salariés, selon Geoffroy Verdier.

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