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Handicap : quand les usagers parlent des réseaux sociaux

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Julien déplore l'absebce de wifi dans son foyer

Crédit photo Pascal Bastien
Dans le Grand Est, le Carrefour d’accompagnement public social, ou Caps, relance l’organisation de son comité régional des usagers. Véritable espace d’expression, celui-ci permet à des personnes pour la plupart en situation de handicap cognitif d’échanger entre elles autour d’un sujet sociétal et de partager leurs expériences. Le thème de ce jour : les bénéfices et les dangers des réseaux sociaux.

Rose, 28 ans, a parcouru deux heures de route depuis son foyer d’accueil spécialisé de Clermont-en-Argogne (Meuse) jusqu’au Caps (Carrefour d’accompagnement public social) de Rosière-aux-Salines (Meurthe-et-Moselle), qui regroupe 32 services médico-sociaux. Avec quatre camarades, elle vient participer au premier comité régional des usagers (CRU) organisé depuis la crise sanitaire. Le thème du jour – les réseaux sociaux – lui tient particulièrement à cœur. « Je viens pour parler des dangers des réseaux parce que j’ai dû porter plainte. J’ai du mal à parler en public, mais j’ai une mise en garde à faire », prévient-elle.

Comme elle, près de 80 personnes, en majorité en situation de handicap cognitif, venues de six établissements du Grand Est membres du Gepso (Groupe national des établissements publics sociaux et médico-sociaux) ont répondu à ce rendez-vous unique en son genre. Le dernier rassemblement auquel Rose a assisté portait sur les situations de handicap : « J’y ai appris qu’il y a plusieurs maladies encore méconnues dont on ne voit pas le handicap. J’ai moi-même un handicap caché. » C’est justement tout l’objet des CRU du Gepso : offrir aux usagers un espace d’expression autant qu’une opportunité de prendre du recul au contact de l’expérience des autres.

Une des chèvres du Caps sautille autour de Rose et son équipée, avant de se faufiler dans la salle de réunion. Jean-Pierre Boissonnat, directeur général du Caps, s’inquiète de cet imprévu, un peu sous pression d’avoir la charge du redémarrage des réunions. Comme lui, plusieurs invités ont sorti le costume-cravate. « Allez la Meuse ! », souffle-t-il chaleureusement à l’adresse des derniers entrants dans la pièce.

« Merci à tous les chefs de service d’avoir toléré votre absence aujourd’hui », insiste Claude Veisse en ouverture de la séance. L’animateur et coordinateur national des comités régionaux des usagers, qui a structuré au fil des années le dispositif initié en 2007 sait de quoi il parle. Père d’un fils employé en Esat (établissement et service d’aide par le travail), il connaît les réticences de ces établissements à se passer de leurs travailleurs. « Cette réunion, c’est votre réunion », martèle-t-il à l’assistance. Encore un peu de patience, le temps de quelques discours formels des différents cadres présents. Claude Veisse regrette qu’une telle salle soit presque trop petite pour des participants toujours plus nombreux à ces rendez-vous.

TikTok, Facebook, LinkedIn… Les participants reconnaissent sans hésitation les logos des différents réseaux sociaux affichés sur le grand écran du rétro-projecteur. « Vous êtes tombés dedans quand vous étiez petits », s’amuse le retraité devant un public visiblement jeune. Un premier participant interrompt déjà la présentation en levant sa main levée. L’animateur lui cède le micro. « J’ai l’impression que les gens disent des mots racistes et insultants », regrette-t-il après avoir énuméré les différents réseaux sociaux et leurs usages. La réunion est lancée.

Pas de wifi au foyer

De tête ou à l’écrit, seuls ou par deux, beaucoup ont préparé des présentations des réseaux et souhaitent simplement expliciter leurs listes au micro. Julien aimerait avoir plus souvent accès à Internet. « Il n’y a pas de wifi dans mon foyer », déplore-t-il. Autre génération, autres mœurs. Thierry revendique au contraire la communication à l’ancienne. Le senior n’a pas de portable : « J’utilise le téléphone du foyer, sinon il y a le courrier. Ça va, je suis bien. » Guillaume savoure d’avoir pu se réunir à nouveau. Le dernier comité portait sur le droit de vote. « Les réseaux, c’est bien pour s’informer, relève-t-il. Je ne connaissais pas Twitter. J’ai appris beaucoup de choses en préparant cette réunion. » Luc et ses camarades des Ardennes ont fait deux heures et demie de route pour rallier Rosière-aux-Salines. Claude Veisse met l’ambiance : « On les applaudit ! » Le jeune homme utilise WhatsApp pour appeler sa famille, qui a déménagé en Bretagne. La situation l’intimide. Son accompagnatrice vient à sa rescousse. Luc s’est beaucoup préparé avec elle. Elle sait qu’il a des choses à dire. « Les réseaux sociaux lui permettent de voir sa famille en visio, parce que le téléphone a ses limites. Et il est autonome avec ça, c’est épatant », admire-t-elle, confirmant toutefois que la wifi est défaillante chez eux comme dans beaucoup de foyers. « C’est compliqué. Il nous faudrait de nouveaux ordinateurs. » Luc va pouvoir se rendre en Bretagne l’été prochain. L’assistance accueille la bonne nouvelle dans une clameur collective.

A son tour, Ophélie veut appeler à la vigilance : « J’ai été harcelée sur les réseaux sociaux, c’est pour ça que je vous dis : “Méfiez-vous !”, alerte la jeune femme. Je ne fais plus de vidéo sur TikTok. » Habituée de longue date des CRU, Caroline a quelques conseils en tête. « Pour se protéger des personnes mal intentionnées qui réussissent à accéder aux messages personnels, il suffit de mettre un code d’accès sur son téléphone », recommande-t-elle depuis son fauteuil électrique. Le harcèlement, elle connaît. « Il suffit de bloquer la personne, qui ne peut plus nous contacter ni voir notre profil. On peut aussi la signaler si elle n’arrête pas. Je l’ai fait auprès de Facebook, qui a au moins supprimé son compte. » Le sujet n’est pas clos mais, pour l’heure, Steeve, de Petite-Rosselle (Moselle), souhaite apporter sa touche d’optimisme. Dans sa vie, le Net est d’abord une riche ressource. « J’y vais pour rechercher des recettes et faire des dessins Pokémon », sourit-il. L’établissement du gourmet accueillera le prochain comité dans trois mois. Sous l’insistance enjouée de Claude Veisse, Steeve promet de préparer un plat pour tout le monde. L’auditoire s’enthousiasme. Pour ce comité post-Covid, les organisateurs ont dû renoncer au traditionnel déjeuner commun. Tous espèrent le retour de ce moment de convivialité et de rencontres.

Les premières interventions ont laissé le temps à Anne-Marie de se décider à lever la main. Un peu intimidée, elle souhaite partager sa satisfaction de posséder un portable depuis quelques mois. « Ça me permet de faire des choses moi-même », lit-elle d’un rythme hésitant. Ce saut dans le grand bain lui suffit. Selon son accompagnatrice, son histoire mérite que le propos soit complété. « Les gens pensaient qu’Anne-Marie n’en serait pas capable, raconte la soignante. Finalement, elle a pris un téléphone tactile et, à force de persévérance, elle s’en débrouille toute seule. » Au point que sa tutrice commence à trouver qu’elle lui téléphone trop… « J’ai réussi à appeler de mes vacances jusqu’au foyer », indique Anne-Marie avec fierté.

« Internet attitude »

C’est l’heure pour Dominique d’entrer en scène. « Je veux toujours avoir plus qu’il n’en faut mais mes moyens ne me le permettent pas toujours », prévient la dépensière avec malice. Sa confidence déclenche l’hilarité. « Maman a dû m’enlever mon téléphone parce que les factures étaient trop élevées. » Beaucoup se souviennent de la poétesse. Il y a deux ans, Dominique avait déclamé un hommage au CRU. Aura-t-on droit à un poème pour le prochain comité ?, l’implore Claude Veisse. « Ça va dépendre du sujet ! », plaisante-t-elle encore avec l’assemblée.

Retour aux choses sérieuses. Maxime a une question : « J’écoutais attentivement ces dames qui se sont fait harceler. Quand un compte est retiré, est-ce que la personne peut revenir avec un autre compte ? Faites tous attention à ça, surtout les personnes faibles comme nous. » Caroline lui répond : « Oui, et vous pouvez à nouveau le bloquer, puis le dénoncer à une instance plus haute que la police. Je l’ai déjà fait. J’ai un très bon ami, et c’est lui qui m’aide à éviter les pièges. » L’animateur abonde : « Je suis exactement dans la même situation que vous : sans aide, je n’y arrive pas. »

Les encouragements de son accompagnatrice Lucie Ducasse ont eu raison des réserves de Rose. Enfin, elle prend le micro pour déposer son fardeau : « Je me suis fait escroquer. J’ai été obligée de fermer mon compte Facebook. Aujourd’hui, j’ai peur de me réinscrire. J’en pleure pratiquement tous les jours. » Grand utilisateur des réseaux sociaux, Jérémy souhaite à ce stade faire part de son expertise. Le jeune homme connaît les signes qui ne trompent pas : « Il y a beaucoup de faux comptes. C’est dangereux quand on reçoit une invitation d’une personne qu’on ne connaît pas. Il faut se méfier des prénoms et des photos bizarres. »

Mais alors comment se protéger ? Un duo de Marly (Nord) a des pistes. Depuis son fauteuil électrique, Liliane déchiffre le texte qu’elle a préparé avec Hervé. Le discours de la femme polyhandicapée est à peine audible. Tous l’écoutent dans un silence patient. Bientôt, une présentation au vidéoprojecteur soutient la lecture. « Les personnes ne doivent pas être infantilisées mais doivent être mises en situation réelle de responsabilité, explique Hervé avec conviction. Elles doivent contrôler les informations qu’elles donnent. » Il est lui-même passé « par tous types d’arnaques et de harcèlements », mais se veut constructif. Avec un groupe de travail dans son foyer d’accueil spécialisé, il a conçu la charte « Internet attitude », qui énonce les grands principes à suivre dans l’utilisation d’Internet et des réseaux. Alors que la fin du rendez-vous approche, une accompagnatrice de Saint-Mihiel (Meuse) saisit sa dernière chance de se faire la porte-voix du timide Thimothé : grâce aux jeux en ligne, le jeune homme rencontre des personnes du monde entier.

Les cadres ont écouté tous ces échanges avec intérêt. « Il serait peut-être intéressant de penser des formations sur la prévention et sur les dangers pour les adultes handicapés, et pas seulement pour les enfants », observe Laurence Callais, chargée de mission « relations avec les familles » du Caps, qui va rédiger le compte rendu de l’après-midi à destination de tous les établissements de la région. Cette proposition de service pourrait inspirer le Gepso, qui affiche son engagement à mieux impliquer les usagers dans ses orientations. « Nous allons peut-être emprunter l’idée de la charte », glisse quant à elle Lucie Ducasse, après la réunion. Pour l’accompagnatrice de Clermont-en-Argonne, le CRU permet surtout de valoriser la parole des personnes handicapées. « Nous avons proposé à Rose de venir parce que nous savions que cela pouvait lui faire du bien de s’exprimer sur l’expérience très grave qui lui est arrivée, illustre l’aide-soignante. Rose a beaucoup de mal à accepter son placement. Lui proposer cet espace, c’est lui montrer qu’on tient compte de son avis même si l’on n’a pas forcément le temps d’être d’une grande écoute au quotidien. Cela construit un lien de confiance et lui donne de l’assurance. » A côté, Jean-François, 19 ans, est resté en retrait pour cette première expérience et se dit très satisfait : « Ils ont eu raison de parler. »

L’assemblée de ce jour a choisi le thème du prochain comité : « Les directives anticipées ». Jean-François est bien décidé à y assister. Cinq autres CRU existent en France, déjà établis ou à leurs balbutiements. Face au succès de celui du Grand Est, ses superviseurs réfléchissent à y développer le dispositif en proximité, avec des comités à l’échelle de plus petits territoires. Ils ambitionnent également d’impliquer le champ de la protection de l’enfance, autre secteur majeur du Gepso.

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