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« La probation ou la menace permanente d’incarcération »

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Olivier Razac

Maitre de conférences en philosophie sociale à l’université Grenoble Alpes, Olivier Razac est aussi co-auteur du livre Eprouver le sens de la peine. Expé­riences de vies condamnées (éd. du commun, 2022).

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A la suite d’une enquête menée auprès de justiciables condamnés à des peines exercées en milieu ouvert, Olivier Razac, maître de conférences en philosophie sociale, remet en cause leur efficacité.

Actualités sociales hebdomadaires - Quelles sont les particularités des peines probatoires ?

Olivier Razac : Il existe deux formes d’application des peines : d’un côté, l’incarcération et, de l’autre, la probation. Le rapport à la justice les distingue. Lorsqu’une personne est incarcérée, personne ne lui demande son avis. La participation à la sanction reste accessoire. Dans la probation, la manière de punir s’oppose à la prison. La personne évolue dans le milieu social libre, mais sa capacité à vivre à l’extérieur avec des obligations à respecter (travail, soins, etc.) est mise à l’épreuve. Actuellement, près de 70 000 personnes sont incarcérées et 170 000 effectuent une peine probatoire à un instant T, laquelle regroupe le sursis probatoire, le travail d’intérêt général et le placement sous bracelet électronique.

Ces peines sont parfois perçues comme un traitement de faveur…

Elles reposent sur un principe d’entente négociée ou contractualisée et impliquent que la personne participe aux sanctions prévues sous la menace systématique de l’incarcération, qui est pensée comme une justice imposée et unilatérale. Il est essentiel de déconstruire l’illusion structurelle qui fait apparaître la probation comme un régime de faveurs. De même, dans la mesure où elle s’oriente vers la réinsertion, elle est perçue comme un système plus progressiste, humaniste et moderne. Le fantasme de condamnation douce est donc double. La probation ne s’est pas développée à la place de la prison, elle s’y ajoute. Par exemple, une peine de six mois ferme peut se transformer en deux ans de sursis avec mise à l’épreuve. Ce n’est pas un cadeau. Pourtant, la probation est présentée aux personnes condamnées comme une alternative, un aménagement qu’elles valident en donnant leur accord. Mais son développement n’a pas permis un ralentissement de l’inflation carcérale.

Votre ouvrage met en évidence la menace d’incarcération omniprésente pour ces condamnés…

Ces peines ne peuvent pas exister sans la menace de la prison. C’est un tandem. Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation (Cpip) proposent aux personnes des ressources fondées sur des partenariats afin qu’elles travaillent à une forme de normalisation de leur mode de vie. Et ce, avec une dimension socio-éducative, dans divers champs comme le logement, le travail ou les relations familiales. Mais cette tentative de traitement substantiel de la situation visant la non-délinquance s’avère mise en échec par une menace permanente d’incarcération. Ce public est obnubilé par le fait d’éviter la prison et n’est donc pas disponible pour opérer un travail sur lui-même ni une transformation de vie. Il agit par conformité. Une colonisation pénale du quotidien opère. Dans le contenu des témoignages recueillis, un Cpip affirmait à un justiciable placé sous bracelet électronique que ses désirs d’enfants et de mariage étaient de bons points pour son aménagement de peine. Bien que cela ne constitue pas sa source de motivation pour mener à bien ses projets, il n’empêche que ces éléments de la sphère privée comptent. Par ailleurs, avec le port du bracelet électronique, sortir la poubelle, promener son chien ou faire ses courses constituent des enjeux. Croiser une connaissance qui souhaite discuter sur le marché est une menace car les temps de sortie sont limités. C’est induit par la peine.

Peut-on parler de surcharge punitive ?

La probation pose un problème d’effet de domination. La peine produit une affliction qui n’est pas prévue. Elle imprègne toute la vie alors qu’elle devrait être proportionnelle au délit. Le phénomène est invisible et n’est pas pris en compte par le système de justice. C’est un angle mort. Les entretiens menés attestent d’injonctions contradictoires. Par exemple, l’obligation de travail implique d’effectuer des recherches complexifiées par la menace d’incarcération et par ce qu’engendre le statut du condamné : retrait de permis, bracelet électronique… La justice pousse aussi parfois à mentir pour obtenir un emploi. L’injonction pénale impose donc quelque chose dont la peine elle-même complique la mise en œuvre. Cependant, les personnes interrogées acceptent le principe d’une réaction sociale par rapport à l’acte commis. L’écrasante majorité d’entre elles valide le principe rétributif classique : elle pense devoir payer sa dette à la société pour que la peine puisse prendre fin. Sauf que la manière dont celle-ci fonctionne ne permet pas d’y parvenir car l’énergie mobilisée se porte sur les obligations quotidiennes imposées par la justice. Au final, le changement est neutralisé par le risque de retourner en prison, et le paiement de la dette, par les difficultés inhérentes à la sanction.

Dans ces conditions, comment ces justiciables peuvent-ils donner du sens à leur peine ?

Au gré du parcours judiciaire, ils se trouvent face à un processus unilatéral, c’est-à-dire à une justice imposée, fruit d’une action de souveraineté de l’Etat qui ne se discute pas. La qualité de compréhension du jugement est nulle. Lors de notre enquête, personne n’a indiqué s’être senti compris au moment du procès ni avoir bénéficié d’une peine adaptée. L’aspect intangible de la décision posée et de son déroulé positionne les justiciables face à un mur. A l’intérieur de ce processus, et de manière subordonnée, des moments de dialogue s’organisent. Les entretiens avec les Cpip permettent d’évoquer la situation face à la condamnation. Ces agents de la justice ont aussi une posture de médiation, de négociation, de compréhension. Les professionnels cherchent à adapter le cadre pénal à la situation singulière de chacun. Ainsi, la peine est un peu plus orientée sur le quotidien avec le strict minimum.

Quelles sont les alternatives aux peines de probation ?

L’alternative repose sur des réactions sociales qui ne seraient pas articulées sur la prison. Il s’agirait de prendre en compte les conflits de la société, c’est-à-dire la corrélation entre chômage et délinquance. Il faut aussi considérer le manque de ressources fondées sur les interrelations communautaires. La plupart des violences sont exercées entre personnes qui se connaissent. L’idée est de résoudre les conflits de gravité modérée ou faible avant d’atteindre leur gestion verticale étatique, puisque la réponse est inadaptée. Pour preuve, les victimes ne sont pas satisfaites du fonctionnement pénal, qui ne génère pas de processus de réparation. La peine telle qu’elle est pensée aujourd’hui reste une forme de gestion de la misère. Pour ce qui est de l’application, la souplesse devrait être intégrée et institutionnalisée. Il n’est pas rare de voir des justiciables contraints de poursuivre des soins dont ils n’ont plus besoin, la décision de justice n’étant pas discutable.

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