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Mixité sociale : à Toulouse, l'association Bas d'immeuble ouvre d’autres horizons

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Julien Legay fournit du soutien en mathématiques

Crédit photo christian BELLAVIA /Divergence
Pour lutter contre les inégalités sociales, deux collèges situés dans des quartiers sensibles toulousains ont été fermés. Depuis 2017, tous les matins, les élèves sont acheminés en bus dans des établissements du centre-ville. L’association Bas d’immeuble les soutient dans cet apprentissage de la mixité sociale. Pas si simple.

« Lors des premières réunions au collège Fermat, quand j’ai dé­couvert les représentations que certains profs avaient des nouveaux élèves qu’ils allaient accueillir dans leur établissement, les bras m’en sont tombés ! » Pascale Journé, directrice de l’association Bas d’immeuble, se souvient comme si c’était hier de cette journée de 2017, dans ce collège chic du centre-ville de Toulouse. La rencontre portait sur l’arrivée prochaine d’élèves de deux quartiers prioritaires où deux collèges fermaient leurs portes. « Ils avaient une vision assez caricaturale de ces jeunes. Je me souviens d’une réflexion par rapport à certains d’entre eux : “Pourquoi veulent-ils apprendre l’italien, ils ont déjà du mal avec le français !” Heureusement, on n’entend plus ce type de propos aujourd’hui », assure la directrice.

1 200 élèves concernés en cinq ans

Les élèves concernés participent à un programme de mixité sociale mis en place par le conseil départemental de la Haute-Garonne pour développer l’égalité des chances. Ils sont répartis dans les 11 meilleurs établissements de Toulouse et sa proche banlieue et conduits en bus chaque matin. En l’espace d’à peine cinq ans, 1 200 élèves ont bénéficié de ce dispositif. La première cohorte a passé le brevet en juin dernier, avec 63 % de réussite, soit 13 % de plus que dans l’un de leurs anciens collèges.

Parmi les quatre associations spécialisées choisies pour les accompagner, Bas d’immeuble est la référente de 300 collégiens. « Nous sommes convaincus qu’un enfant ne réussit que si sa scolarité devient une préoccupation familiale. Il est indispensable que les parents soient complètement intégrés dans ce dispositif », précise la responsable. Un contrat est donc signé en début d’année entre l’association, le jeune et la famille, cette dernière s’engageant à honorer plusieurs rencontres pour effectuer des points d’étape. Si certains parents ont du mal à suivre la scolarité de leurs enfants en raison de la langue, l’association leur propose des cours de français langue étrangère (FLE). « Chaque année, dans le cadre du dispositif “mixité”, nous accompagnons 25 familles que nous rencontrons deux fois par semaine », annonce Benjamin Polderman, éducateur spécialisé.

Ouverte du lundi matin au samedi soir, l’association propose aux élèves du quartier un soutien scolaire fondé sur l’autonomie et l’acquisition de méthodologies, des centres de loisirs et le soutien à projets. L’équipe se compose de neuf professionnels : éducatrice de jeunes enfants, éducateur technique spécialisé, éducateurs spécialisés, animateurs, enseignante et psychologue. « Nous sommes l’une des rares structures de ce type à ne fonctionner qu’avec des professionnels qualifiés. Nous refusons les contrats aidés et tout ce qui relève de l’auto-entrepreneuriat », appuie Pascale Journé.

S’investir ailleurs

Pour favoriser leur citoyenneté, les jeunes de 10 à 17 ans sont incités à réaliser des projets par groupe de quatre ou cinq. En contrepartie, ils peuvent choisir une activité de loisirs. Pour chaque atelier, en fonction des efforts et du travail fournis, ils reçoivent une récompense sous forme de jetons. Lesquels leur permettent, par exemple, de s’inscrire à une soirée de jeux laser, à un week-end d’équitation ou de ski, ou encore, pour ceux qui auront réalisé de nombreux chantiers et amassés beaucoup de jetons, à un séjour à Londres, Madrid, Berlin, Barcelone ou Paris. Grâce à un partenariat noué avec une institution qui s’occupe de personnes handicapées au Sénégal, les jeunes Toulousains ont fabriqué et envoyé des poupées en bois ainsi que des patrons pour leur coudre des vêtements. Une manière de s’investir et de s’intégrer dans la société ailleurs que sur leur territoire. Certains ont animé des jeux avec l’association APF France handicap. D’autres, mécontents de l’image de leur quartier véhiculée par le documentaire Quartier impopulaire, de François Chilowicz, ont réalisé le court métrage La rumeur, où ils montrent qu’il fait bon vivre dans le quartier de la Reynerie.

Ce jeudi soir, Sylvain Larrieu, éducateur technique, anime l’atelier de menuiserie : « Nous construisons des jardinières qui seront données à une école primaire. Nous venons d’en installer sur le toit d’une clinique. Et les jeunes ont également fabriqué des jeux de construction pour les Restos du cœur. » Ilies, 13 ans, tient fermement les planches en bois pendant que son camarade les fixe. « Je suis parti plusieurs fois, j’ai fait du cheval, du ski, du camping. Ce que j’ai préféré, c’est le VTT et le paddle », raconte-t-il. Redouane, 19 ans, franchit la porte et vient saluer Benjamin Polderman : « Je suis un ancien de Bas d’immeuble, j’avais des difficultés pour étudier et l’association m’a beaucoup aidé. Aujourd’hui, je suis en BTS. Cela a été une belle expérience. »

Des temps d’échanges

Régulièrement, des débats réunissant de 5 à 20 personnes sont organisés dans les locaux. Des sujets sont glissés dans une boîte, puis tirés au sort. Ils peuvent porter sur le harcèlement, l’égalité entre filles et garçons, l’activité physique, l’école obligatoire, etc. Pascale Journé, qui se présente volontiers comme une « grande gueule », est souvent pressentie pour les animer. Le psychologue intervient régulièrement et suggère des films qui donnent lieu à des échanges. Ensuite, ils préparent le repas tous ensemble. Ce temps informel permet parfois de repérer des souffrances tues et de mettre en place des suivis psychologiques.

L’association intervient également auprès de certains parents, qu’elle épaule dans des démarches administratives. Elle leur apprend, par exemple, à se connecter au logiciel Pronote ou à l’espace numérique partagé ENT pour surveiller les notes et les devoirs de leurs enfants. « Ces parents souffrent de la fracture numérique. Par le passé, quand leurs enfants rencontraient des difficultés, ils se rendaient directement au collège à côté de chez eux. Aujourd’hui, c’est plus compliqué, le collège est trop loin », commente Benjamin Polderman.

Car si Bas d’immeuble accompagne vers la mixité sociale les élèves dont les collèges ont fermé, l’éloignement a parfois été mal vécu par les familles. « Les parents ne trouvaient pas normal que leurs enfants aillent si loin. Auparavant, les collégiens venaient entre midi et 14 heures ou après les cours faire leurs devoirs. Aujourd’hui, ils arrivent trop tard, on est fermé », témoigne une employée de la médiathèque Grand M. Pour autant, Aïcha, qui gare sa voiture et vient chercher son fils âgé de 11 ans à l’atelier de menuiserie, se félicite : « Au début, on avait un peu peur de voir partir nos enfants si loin. Aujourd’hui, je suis très contente, Habib fait ses devoirs à Bas d’immeuble. Je trouve formidable qu’il puisse voir autre chose que le quartier. » En revanche, elle n’a jamais visité le nouveau collège de son fils. Pas grave : « C’est son endroit à lui, c’est le lieu de mon fils », déclare-t-elle dans un sourire.

Un peu plus loin, Hamel tient ses deux plus jeunes enfants par la main. Son aîné, Rayan, est en troisième à Fermat, avec 17 de moyenne. « Il est le deuxième de sa classe aujourd’hui. » Mais il n’en a pas toujours été ainsi. En sixième, il avait des lacunes, surtout en mathématiques, et des élèves se sont moqués de lui, l’exhortant à retourner au primaire. Rayan, vexé, s’est accroché. « Finalement, je leur suis reconnaissante, ils ont boosté mon fils », s’amuse Hamel. Au début, elle l’accompagnait prendre le bus, ce n’était pas simple, il lui fallait une heure pour atteindre la navette. « Avec d’autres mères, nous nous sommes organisées pour garder les plus petits à tour de rôle. Aujourd’hui, mon fils se débrouille, il a gagné en autonomie. » Parmi les adolescents qui déambulent devant la médiathèque Grand M, à la Reynerie, Nora, en classe de cinquième, se déclare « ravie d’aller étudier ailleurs ». Depuis, les jeunes « parachutés » sont bien incapables de dire qui, dans leur classe, fait partie du dispositif, tant leur présence est devenue naturelle. Il n’y a qu’en sixième qu’ils cherchent leur place, sont souvent bagarreurs et « veulent se montrer », selon Abderrahmane, 14 ans, lui-même en troisième.

Un bilan mitigé

Pour faciliter l’intégration au sein du collège, le conseil départemental et l’Education nationale ont prévu un accompagnement précoce. Dès le CM2, six maîtres « mixité » rencontrent les élèves dans leur école primaire, où ils font du co-enseignement pendant six mois et apprennent à les connaître. L’année suivante, ils les retrouvent au collège quand ils viennent épauler les référents « mixité » qui, au sein de l’établissement, suivent les élèves en matière de résultats et d’intégration. En sixième, où les collégiens issus de la mixité sociale ne sont pas plus de cinq par classe, le nombre maximal d’élèves a été fixé à 25, afin que les enseignants soient davantage disponibles.

Néanmoins, tout n’est pas rose. « Ce dispositif fonctionne pour ceux qui ont compris la posture d’élève, moins pour ceux qui sont en grande difficulté », prévient Pascale Journé. Selon elle, les élèves scolarisés dans le collège du quartier qui rencontraient des problèmes au CM2 étaient mieux suivis avant. « Nous faisions des points régulièrement avec la famille, nous proposions un accompagnement plus personnalisé. » Et pour cause, dans ce quartier « politique de la ville », les différentes structures et associations intervenant dans le secteur avaient tricoté un maillage serré, et il était presque impossible à un jeune de passer au travers. Autour de l’ancien collège s’étaient installés le centre médico-psychologique (CMP) et le club de prévention spécialisée et de réussite éducative mis en place par la ville de Toulouse. Autant de repères essentiels.

« Les établissements où vont désormais les jeunes n’étant plus sur le territoire de la politique de la ville, ceux-ci ne peuvent plus en bénéficier », affirme Benjamin Polderman. L’éducateur spécialisé regrette le temps où il pouvait participer aux cellules de veille initiées pour repérer les jeunes en grande fragilité scolaire ou en passe de déscolarisation. Aujourd’hui, quand il intervient dans le collège, c’est le plus souvent pour assister à un conseil de discipline. « Quand un élève est exclu momentanément du collège, il est accueilli dans l’association. En cas d’exclusion définitive, elle l’inscrit dans un autre collège », pointe le professionnel. Le club de prévention perd également le contact avec les jeunes. « Autrefois, il animait des ateliers dans les collèges. Mais il a perdu la main et ne s’occupe plus que d’un public vieillissant », regrette Pascale Journé. Pour permettre aux éducateurs de rue de rester en relation avec les jeunes, Bas d’immeuble organise avec eux diverses activités, telles que des sorties en vélo.

En sortant du territoire de la politique de la ville, les collégiens ont aussi perdu l’accès à une banque de données en ligne qui proposait des stages de troisième. Bénéficiant de peu de réseau, ils ont du mal à en trouver ailleurs qu’autour de chez eux. Alors, tous les samedis matin, Sylvain Larrieu les aide dans leurs recherches, leur apprend à démarcher. « Notre métier, c’est de faire du lien. On tricote pour que chacun retrouve du sens », lance la directrice. Avant d’éclater de rire au souvenir de ce que lui avait dit un intervenant pendant une formation en innovation sociale : « Vous savez parler à la mairie, à l’Education nationale, à la mère de cinq enfants, à l’assistante sociale. Vous êtes polyglotte ! »

Reportage

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