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« La spiritualité reste un impensé du travail socio-éducatif »

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Daniel Verba

Maître de conférences émérite à l’université Sorbonne Paris-Nord et chercheur à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux contemporains (Iris), Daniel Verba a codirigé avec Maël Virat l’étude Les spiritualités dans le travail socio-éducatif (éd. érès, 2022).

Crédit photo DR
En France, intégrer la dimension spirituelle dans l’accompagnement socio-éducatif ne va pas de soi. Spécialiste du fait religieux et de la laïcité dans le travail social, Daniel Verba analyse dans quelle mesure les croyances peuvent constituer une ressource pour certains jeunes comme pour les professionnels qualifiés qui les accompagnent.

Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi un ouvrage consacré aux spiritualités dans le travail social ?

Daniel Verba : La mutation des croyances religieuses et spirituelles a des effets sur le travail socio-éducatif et les pratiques des professionnels. « Je crois, donc j’existe », avait dit un jour un jeune homme à la sociologue Faïza Guélamine, attestant du rôle rigoureux que la foi jouait dans son rapport au monde. Or, s’il existe une abondante littérature consacrée au fait religieux, la question spirituelle est peu investie par les chercheurs en France. Considérée comme un sujet suspect, elle est assimilée à l’abondante littérature sur l’épanouissement et le bien-être personnel. En bref, cette question reste un impensé du travail social.

Pourtant, la scène religieuse française a beaucoup évolué ?

Oui, elle est en pleine recomposition, avec plusieurs phénomènes notables. D’une part, un affaiblissement de l’influence sociale du religieux, et notamment du catholicisme romain (moins de 2 % des Français se rendent encore régulièrement à la messe le dimanche). D’autre part, l’émergence de sociétés pluri­religieuses où d’importantes minorités musulmanes viennent interroger les identités des peuples européens. Enfin, mutation beaucoup plus discrète dans l’espace public, l’expression de la foi est devenue une affaire privée qui prend des formes aussi exotiques que la méditation de pleine conscience, le yoga, le chamanisme, la sophrologie, le coaching, le magnétisme…

Plus souples et mieux adaptées aux exigences de la modernité, ces nouvelles spiritualités pourraient être une alternative viable à l’affaiblissement de l’influence des institutions religieuses dans les sociétés du XXIe siècle. Un nouveau défi à relever pour les travailleurs sociaux, qui pourront composer avec ce foisonnement en choisissant de les prendre en compte ou de les ignorer, dans le respect conjoint du principe de séparation des églises et de l’Etat et de l’article 1er de l’arrêté du 8 septembre 2003 relatif à la charte des droits et libertés de la personne accueillie.

Quelle est la place du fait religieux dans le travail social ?

Peu d’enquêtes de terrain abordent directement cette question. Lorsqu’elles le font, c’est de manière dévoyée, notamment sous l’angle de la radicalisation ou du « séparatisme ». L’histoire du travail social s’enracine dans des dispositions religieuses, le plus souvent d’obédience chrétienne, et les travailleurs sociaux se sont professionnalisés en rompant avec ces origines confessionnelles et en adoptant les principes républicains, souvent anticléricaux. De bénévoles animés d’une bienveillance maternaliste à l’égard des populations vulnérables, ils sont devenus des professionnels qualifiés, formés aux sciences humaines et beaucoup moins perméables aux idéologies religieuses. D’autant que la sécularisation et le principe de séparation des Eglises et de l’Etat, en 1905, ont significativement marqué le secteur socio-éducatif.

Cette posture des travailleurs sociaux a-t-elle évolué ?

En France, cette prise en compte des croyances des personnes accompagnées est diversement appréciée par les professionnels. Elle rencontre de fortes résistances parmi ceux qui y voient une entorse au principe de laïcité et un risque non négligeable de dérives sectaires. Mais elle peut également être plus favorablement accueillie chez les jeunes générations, mieux disposées à l’égard des minorités en général. La présence sur le territoire national de populations d’origine étrangère qui expriment plus volontiers et visiblement leur appartenance religieuse a en effet incité les travailleurs sociaux à mieux prendre en compte ce référentiel sans pour autant basculer dans le prosélytisme ou l’emprise. Certains éducateurs pouvant confondre accompagnement éducatif et catéchisme religieux ou anticlérical.

La dimension spirituelle ou religieuse représente-t-elle une ressource pour les pratiques professionnelles ?

L’éducateur n’est pas un guide spirituel, mais la laïcité n’interdit aucunement de « parler religion » ou d’échanger sur ses convictions, comme on peut débattre des qualités d’un joueur de football ou d’un film. Le travailleur social peut même s’adjoindre les services d’un ministre du culte, s’il le juge important pour le jeune qu’il suit. Comme le montre par exemple l’expérience du réseau « Don Bosco action sociale », qui repose sur l’ouverture au dialogue sur les questions fondamentales autour de la vie, de l’amour, de la mort, et sur le respect des pratiques religieuses. Les éco-spiritualités, qui réinscrivent les êtres humains comme composante égale aux autres êtres vivants dans un espace commun d’interdépendance forte, peuvent aider des jeunes désaffiliés à se reconnecter à la réalité d’un monde lui-même vulnérable.

De son côté, Maël Virat, chercheur en psychologie, a pu observer des expériences réussies dans le champ du travail social, en lien avec l’implication personnelle des éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse et la qualité de la relation éducative. Non seulement les professionnels peuvent mobiliser des techniques inspirées d’une démarche spirituelle (méditation, yoga, arts martiaux…) mais, en s’appuyant sur les dispositions religieuses de certains adolescents, ils sont en mesure d’amorcer avec eux un travail visant à construire un projet de vie.

L’expérience des travailleurs sociaux d’autres pays peut-elle servir d’inspiration ?

Tout à fait. Des enquêtes menées en Amérique du Nord, en Suisse et dans les pays scandinaves font état, dans le champ du soin et du travail social, de possibles améliorations du bien-être des personnes accompagnées grâce à une meilleure prise en compte des effets thérapeutiques de la spiritualité. Un lien a été mis en évidence chez les adolescents par une augmentation de la réussite scolaire, de l’engagement civique et de la santé psychologique. Mais aussi à travers une réduction des délits et de la consommation de drogues. Des recherches plus spécifiques portant sur des popu­lations d’adolescents ou d’adultes en situation de délinquance indiquent même un rôle positif de la spiritualité dans le processus de « désistance », qui désigne l’ensemble des facteurs positifs contribuant à la sortie de délinquance.

Moins inhibés qu’en France, où le principe de laïcité est brandi pour faire obstacle à une meilleure considération des convictions religieuses, beaucoup de pays ont mis en place, dans le cadre du soin à autrui, des coopérations avec les institutions religieuses pour accompagner les publics vulnérables qui le souhaitent, comme les personnes en fin de vie ou les décrocheurs scolaires.

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