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Mineurs enfermés : « Un travail éducatif sans issue »

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Maître de conférences et membre du laboratoire Santesih (Santé, éducation et situations de handicap) à l’université de Montpellier, Laurent Solini a codirigé avec Christine Mennesson et Jennifer Yeghicheyan Les déplacés. Portraits de parcours de jeunes sous main de justice (éd. Champs social, 2022).

Crédit photo DR
Spécialiste de l’incarcération des jeunes, le sociologue Laurent Solini analyse l’impact des déplacements judiciaires et de la discontinuité éducative d’adolescents en établissements pénitentiaires pour mineurs. Ou comment un système d’enfermement s’appuyant sur leur seul comportement empêche tout suivi éducatif et toute construction de soi.

Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi cette étude sur le parcours de jeunes sous main de justice ?

Laurent Solini : Lors d’une recherche précédente sur le quotidien des jeunes enfermés dans un établissement pénitentiaire pour mineurs [EPM], j’ai remarqué que de nombreux jeunes sous main de justice – issus la plupart du temps de milieux très précaires – sont placés, déplacés, replacés, lors de leur prise en charge judiciaire. Jusqu’à ne plus être capables à 14 ou 15 ans seulement de se souvenir de l’ensemble des structures traversées, des référents éducatifs successifs. Leurs parcours sont un enchevêtrement d’actes de délinquance, de passages d’une institution à l’autre, de déscolarisation, d’expériences de la rue, précédés souvent d’un parcours antérieur en protection de l’enfance. Depuis près de dix ans, cette situation est presque devenue un lieu commun pour les personnels de la protection judiciaire de la jeunesse [PJJ], et l’une des difficultés majeures à la mise en œuvre de projets de réinsertion. Avec une équipe de chercheurs, nous avons donc décidé de suivre pendant plusieurs mois, en 2018 et 2019, quatre jeunes en établissement pénitentiaire pour mineurs pour reconstituer leur histoire fragmentée et comprendre l’impact réel de ces déplacements sur leur vie et leur rapport à la justice. Et montrer les mécanismes invisibles d’un système qui, poussé à cet extrême, produit le contraire de ce qu’il devrait pour les jeunes et les professionnels : une instabilité constante et une impossible réinsertion.

Pourquoi ces adolescents subissent-ils autant de déplacements ?

Depuis les années 2000 et la multiplication des établissements d’enfermement pour mineurs, qui n’ont pas remplacé mais se sont juxtaposés aux quartiers pour mineurs des maisons d’arrêt, s’est diffusée l’idée de mettre l’enfermement au cœur de la stratégie éducative. Avec une hiérarchisation des placements, de plus en plus fermés et contraignants, du foyer de la PJJ au quartier pour mineurs en passant par les centres éducatifs fermés et les EPM. C’est le comportement d’un adolescent (agression d’autres jeunes ou de professionnels, dégradation de matériel, refus de se rendre aux activités, fugues…) qui justifie la « montée en incarcération » par des « déplacements-sanction », plus ou moins fréquents selon les situations. Ces mouvements peuvent s’effectuer d’un établissement à l’autre ou au sein d’une même structure, avec un changement d’unité.

Ces jeunes subissent une hyper-institutionnalisation. Auparavant, les éducateurs de la PJJ rendaient des rapports au juge tous les six mois, ils pouvaient inclure des évolutions positives. Désormais, chaque incident doit faire l’objet d’un rapport. Même si les professionnels ou les jeunes aspirent à une stabilisation éducative, toute amélioration est impossible. Le travail éducatif se réduit à un diagnostic d’attitudes qui, dans ce cadre, ne peuvent pas trouver d’issue favorable. Croire qu’on va réussir à insérer un adolescent en le désinsérant du système social qui l’a déjà disqualifié est un leurre. Sans travail éducatif de longue durée, le jeune est privé de la possibilité de se lier à des « autruis significatifs », ce qui laisse les professionnels profondément désemparés.

Au fur et à mesure de leur parcours, les jeunes semblent être enfermés dans des « étiquettes » dont ils ne peuvent se défaire…

Les jeunes qui semblent poser le plus de difficultés, comme Lola, Lucas, Rémi et Jason [les prénoms ont été changés, ndlr] que nous avons suivis, sont désignés comme les « patates chaudes », les « pénibles », les « dossiers sensibles », au « fort potentiel de dangerosité » avant même d’arriver dans l’établissement suivant. Ils portent un étiquetage institutionnel négatif qui supplante toute tentative de faire bonne figure. Par exemple, Lola, pleine de bonne volonté, montre son désir de s’engager dans les projets que lui propose la PJJ. Mais pour certains magistrats, psychologues et personnels de l’EPM, elle reste une jeune déplacée, une Cocotte-minute dans l’incapacité de se contrôler, dangereuse car imprévisible. En fait, elle essaie de bien se comporter mais, à d’autres moments, elle explose car elle n’a pas les ressources pour répondre aux exigences de l’institution. Elle retombe dans ce qu’elle connaît : la violence et des pratiques de prostitution. Placée dès l’âge de 2 mois en pouponnière, elle retourne un peu chez ses parents puis repart à 6 ans dans une famille d’accueil qui s’avère dysfonctionnante. Placée en foyer puis chez une tante, elle finit par être incarcérée en EPM, sans oublier divers passages en psychiatrie et dans la rue. Quant à Lucas, les violences et les fugues régulières le conduisent à un nombre incalculable de placements. A force de vivre ces ruptures, les adolescents les intériorisent comme le seul mode de fonctionnement possible.

Comment les travailleurs sociaux vivent-ils ces situations ?

Leur premier objectif vise à sortir le plus vite possible un jeune de l’univers carcéral, de le faire repasser en milieu ouvert. Or les travailleurs sociaux sont soumis eux-mêmes à cette violence institutionnelle sur laquelle ils ont du mal à mettre des mots. Ils se sentent impuissants, parfois pris par surprise par le déplacement d’un adolescent qu’ils suivent et dont ils découvrent le transfert un matin sans avoir été prévenus. Dans certains cas, ils sont informés en amont et tentent de rédiger un écrit pour l’éviter ou le freiner.

Faute de recul, ils ne peuvent comprendre cette violence comme un effet du système et se sentent souvent mis en cause. De nombreux professionnels doivent ainsi travailler « contre » l’institution qui contrarie leur action, au lieu de la soutenir. Le travail éducatif sans cesse interrompu devient impossible, et les comptes-rendus comportementalistes le vident de son sens. L’éducateur de Rémi tente ainsi sans succès d’empêcher son « échange » avec un jeune « qui casse tout » dans un autre établissement. Ce qui en outre l’éloigne de sa famille, trop précarisée pour lui rendre visite.

Quels enseignements concrets en tirer pour le travail social ?

Certains jeunes que nous avons rencontrés réagissent à ces multiples déplacements par une hyper-adaptation institutionnelle. Ils finissent par connaître les règles du jeu et devenir progressivement inaccessibles. Comme en témoigne la psychologue de Rémi : « Tout de suite, il a parlé facilement mais il ne te dira jamais des choses qui permettraient d’engager un travail, ça ne vient pas du fond de lui. Il faudrait du temps. Je pense qu’il agit ainsi pour montrer un bon comportement, il sait que les juges y sont attentifs. » Ce qui montre bien que vouloir conjuguer enfermement, éducation et réinsertion, pour ces adolescents vivant l’enchâssement malheureux de leurs conditions sociales d’existence et d’une identité institutionnelle négative ne peut pas fonctionner.

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