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Pratiques professionnelles : le jeu au service des équipes

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Crédit photo GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP
« Jeux de rôles », « serious games », « escape games »… Les dispositifs du secteur médico-social utilisent de plus en plus les jeux pour mobiliser et sensibiliser les professionnels. Mais pour s’assurer de leur efficacité, ils doivent s’inscrire dans une dynamique de co-construction avec les équipes.

« Le jeu est plus un outil qu’un objectif pédagogique », déclare Frédéric Mattei. Ce responsable « projets et formations » au sein de Medd Consultants, un cabinet de conseil basé dans le sud-est de la France et spécialisé dans le secteur médico-social, développe depuis de nombreuses années toutes sortes de jeux pour accompagner les structures dans leurs transformations. Le fruit d’une réflexion de longue date. « Tout professionnel de l’accompagnement, quelle que soit sa position, se pose la question de savoir comment aider les personnes à apprendre, explique le consultant. Or toutes les réflexions nous amènent à peu près au même constat. Il y a trois manières d’y parvenir : la contrainte, l’intérêt et le plaisir. Et quand on combine ces trois méthodes-là, on s’aperçoit que la plus efficace aujourd’hui, d’après les recherches en neurosciences, c’est d’abord le plaisir, suivi de l’intérêt et, en tout dernier, la contrainte. » D’où la place de choix accordée par ce cabinet à de tels dispositifs. Cette pratique serait même tout particulièrement bénéfique pour développer des projets. « Plus la situation est complexe, plus on a tendance à se mettre de la pression et donc à entrer dans une logique d’obligation. En remettant du jeu derrière la formation ou le management d’équipe, l’idée pour nous est de venir en complémentarité de l’intérêt et de la contrainte. Pour le montage de projet, la construction de dynamique ou l’innovation, par exemple, il est particulièrement intéressant de dire aux gens : “Jouons ensemble et voyons comment ce jeu peut nous permettre de penser collectivement” », explique Frédéric Mattei.

Briser les frontières

Autre vertu du jeu : tisser du lien et créer une nouvelle forme de dialogue. C’est dans cet esprit qu’un groupe de professionnels avait organisé en 2019 un grand jeu de rôle en Seine-Saint-Denis, s’articulant autour de deux enquêtes de plusieurs jours. Cette « formation novatrice », conçue par l’Ecole nationale de la magistrature, la gendarmerie nationale, le barreau de Paris et les associations spécialisées dans l’accompagnement des personnes victimes de traite des êtres humains, le Bus des femmes et Ac.Sé, visait à renforcer la coopération entre les différents acteurs travaillant autour de cette problématique complexe. Julie Jardin, chargée de mission au sein de l’association Hors la rue, qui soutient des enfants et adolescents étrangers en danger, en était l’une des participantes, tout en contribuant à l’élaboration des scénarios. « Il y avait des acteurs variés, des membres de la police, de la justice, des avocats, des juges, des travailleurs sociaux. Ce sont des personnes qui ne se rencontrent pas forcément mais qui pourtant sont toutes mobilisées. Cela nous permettait de comprendre les enjeux rencontrés par chaque corps de métier », se souvient-elle. « Je pense que la perception des différents acteurs a changé vis-à-vis des autres professionnels. Et sur un plan purement opérationnel, il est vrai que nous avons rencontré des personnes avec lesquelles nous n’avons pas l’habitude de travailler. Cela facilite nos liens aujourd’hui. »

Au-delà de cet événement, la chargée de mission était déjà convaincue de l’apport des jeux de rôle. Ceux-ci sont régulièrement proposés par son association dans le cadre d’actions de sensibilisation. Hors la Rue recrée alors, par exemple, des situations d’entretien, en petits groupes, où les personnes sont invitées à se glisser dans la peau des victimes. « Quand les gens vivent la situation, ils ne s’impliquent pas de la même manière, insiste Julie Jardin. Ils peuvent se rendre compte de la difficulté que peut représenter le fait de répondre quand on est une victime, ou lorsqu’on va être interrogé par la police. C’est beaucoup plus vivant qu’un cours magistral. Entre trois heures très théoriques et 30 minutes d’entretien au cours desquelles on se pose les questions de terrain, je pense que c’est plus efficace », assure-t-elle. Un constat partagé par Frédéric Mattei, qui, lui aussi, adopte souvent cette méthode auprès de tous types d’organisations. « Les jeux de rôle permettent de se déplacer, de se décentrer et d’avoir un miroir. Penser pour l’autre c’est bien, mais penser comme l’autre c’est mieux. »

Les jeux de rôle ne sont pas les seuls à se développer. De plus en plus d’organisations font ainsi appel, par exemple, à des prestataires extérieurs pour mettre en place au sein de leurs établissements des outils innovants, tels les « Lego Serious Play » du nom de la marque bien connue de petites briques, qui, grâce à une approche de construction en trois dimensions, développent une réflexion managériale.

Innover et mobiliser

Autre jeu très « tendance » : l’« escape game », le jeu d’évasion grandeur nature. L’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) Montfort, en Vendée, en a fait l’expérience en 2021. Accompagné par l’association QualiREL Santé, une structure régionale d’appui à la qualité et à la sécurité des soins, cet établissement avait déjà créé auparavant une cellule qualité réunissant membres de la direction, cadre, secrétaire, infirmière et aide-soignante, chargée de se pencher particulièrement sur la question des événements indésirables. Mais, face à la difficulté d’instaurer une « culture positive de l’erreur », le signalement étant souvent perçu comme une « délation » par l’équipe, cette cellule, sous l’égide de sa directrice, a eu l’idée de concevoir son propre jeu. « L’équipe avait toujours l’impression qu’en signalant un événement indésirable, elle allait accuser une collègue qui avait commis une faute, alors que ce n’est pas une faute mais une erreur que nous devons corriger par un travail collectif pour progresser tous ensemble », explique la cadre de santé, Chantale Apparailly. Résultat ? Soutenu par QualiREL, l’Ehpad a recruté une entreprise experte des « escape games », pour créer un univers se voulant à la fois informatif et préventif, autour de la situation de « Madame Michu bloquée dans sa chambre ».

Après un premier test auprès de la cellule qualité, tout l’établissement, divisé en petits groupes, s’est vu accorder du temps pour participer à cet épisode non obligatoire. Au total, les deux tiers des salariés se sont ainsi mobilisés. « Les questions qu’on retrouvait dans les énigmes étaient vraiment réalistes par rapport aux situations dans les Ehpad, raconte Chantale Apparailly, qui souligne l’intérêt de la démarche. Et les équipes se sont découvertes autrement. On pouvait voir qui se révélait être plutôt organisateur, plutôt chef dans le groupe, c’était assez drôle en fait. »

Reste que tous s’accordent : la mise en place de tels jeux demeure un investissement. Elle demande une forte mobilisation des équipes, du temps de co-construction et éventuellement l’appui de prestataires extérieurs. Pour Frédéric Mattei, il s’agit également d’éviter certains écueils. D’abord en prenant en compte la situation des professionnels impliqués. Selon lui, le jeu n’est pas une réponse pour remédier à des états de crise, par exemple : « Le risque serait de considérer le jeu comme un remède qu’on peut imposer. Si vous le plaquez sur des personnes qui n’ont pas envie de jouer ou si vous décidez d’un jeu à leur place, cela ne va pas très bien marcher. Le jeu n’est pas le nouvel eldorado du management. »

Se remettre à rêver

« La sagesse, c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu’on les poursuit. » Inspiré par cette citation d’Oscar Wilde, le cabinet Medd Consultants déploie son propre programme de jeux, ouvert, pour accompagner les structures. « L’idée est de se remettre à rêver, pour se projeter le plus loin possible. Nous réfléchissons avec les différents professionnels aux étapes qui vont nous permettre d’avancer vers ce projet idéal », raconte Frédéric Mattei. Les projections des professionnels sont ainsi croisées à travers une série de jeux, pour ensuite tracer une feuille de route collectivement. Une fois les grandes lignes définies, il reste à construire des actions concrètes. « L’essentiel est d’associer les acteurs à leur propre parcours », pointe le consultant. Tout le spectre de l’accompagnement peut ainsi être remis en question par le biais de formations de plusieurs jours allant de l’élaboration d’outils pour les personnes accompagnées à la réécriture complète du projet associatif. « L’intérêt du jeu est de se reprojeter vers un futur meilleur, de se remettre en mouvement en recréant une dynamique. Savoir comment nous allons inventer de nouvelles formes d’accompagnement représente un enjeu colossal aujourd’hui dans le médico-social. »

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