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Autodétermination des personnes handicapées : « Passer d’un risque perçu à un risque acceptable »

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Martin Caouette

Titulaire de la chaire « Autodétermination et handicap », présente en France et au Québec, Martin Caouette participe au podcast « Agir pour l’autodétermination », créé par l’organisme de formation du Gapas.

Crédit photo DR
Chercheur à l’université du Québec, Martin Caouette revient ici sur les défis que soulève l’autodétermination des personnes handicapées et sur la façon dont les professionnels peuvent les aider à agir, libérées des influences extérieures.

Actualités sociales hebdomadaires - L’autodétermination est de plus en plus prégnante dans le travail social. De quoi s’agit-il ?

Martin Caouette : Le concept d’autodétermination ne s’arrête pas au pouvoir d’agir des personnes. Il comprend la possibilité réelle, pour un individu, d’exercer du contrôle sur sa vie, de choisir, de prendre des décisions… Etre capable de faire valoir ses droits, c’est manifester son auto­détermination. Une façon de prendre sa place dans la société, d’être pleinement soi-même et partie prenante de la communauté. Nous savons que cela pose des défis particuliers pour les personnes en situation de handicap, notamment celles qui ont des déficiences intellectuelles. Mais il est important de comprendre qu’il s’agit d’une aspiration universelle. Nous cherchons tous à exercer du contrôle sur nos vies. La pandémie a très justement mis cela en lumière. Durant les périodes de confinement, nous nous sommes sentis restreints car la situation est venue toucher à notre besoin d’autodétermination.

Quelles en sont les différentes composantes ?

En premier lieu, il y a l’autonomie. Quand on parle d’autonomie, il n’est pas tant question d’agir seul que d’agir pour soi. Plus je développe ma capacité à prendre des initiatives, plus je suis en mesure de m’autodéterminer. La deuxième composante est l’empowerment psychologique, qui passe par la croyance selon laquelle je peux agir sur mon quotidien. Avant même d’exercer ce contrôle, encore faut-il avoir la conviction qu’on en est capable, qu’on a le droit d’agir et de poser des questions. C’est l’aspect de la perception qui entre en ligne de compte. Ensuite, il y a tout le volet de l’autorégulation. C’est-à-dire la capacité d’une personne à s’ajuster dans l’action. Si elle est confrontée à un problème, c’est ce qui va lui permettre d’analyser la situation, de tenter une solution et de réajuster en fonction du résultat. Enfin, nous retrouvons l’autoréalisation, directement liée au sentiment de fierté et d’accomplissement personnel. C’est la composante qui va permettre à la personne de rayonner. Il s’agit de la reconnaissance de sa valeur et de ses compétences. Plus une personne est consciente de ses forces et de ses limites, plus elle engage des projets et prend des initiatives.

Comment les professionnels peuvent-ils aider les personnes accompagnées à s’autodéterminer ?

La première chose est d’être conscient de ce que signifie l’autodétermination pour soi. Qu’est-ce que ça veut dire dans ma vie personnelle et professionnelle ? Ainsi, on réalise combien c’est important pour les usagers. Ensuite, cela passe par l’observation et la reconnaissance des manifestations d’autodétermination. Si j’accompagne quelqu’un avec des déficiences intellectuelles, est-ce que je le vois prendre des initiatives ? Fait-il des propositions ? Le défi va être de ne pas toujours aller au-devant de la demande d’aide et de laisser plus d’espace à la personne. J’aime utiliser l’image d’un artiste qui peint une toile. Le travail des professionnels est de décider de la taille de la toile. Mais c’est le peintre qui contrôle le pinceau. De la même manière, les intervenants du médico-social vont mettre des limites en raison des caractéristiques de la personne, mais en travaillant à rendre des choses possibles à l’intérieur de ce cadre-là. Il ne s’agit pas de tenir la main du peintre.

Les professionnels de terrain ont tout intérêt à œuvrer en ce sens. Cela dit, il faut aussi que les gestionnaires, les associations et les cadres travaillent en cohérence avec le concept d’autodétermination. On ne peut pas en faire une injonction, c’est une philosophie d’intervention qui doit s’installer.

L’autodétermination implique parfois de laisser la personne se tromper. Cela oblige-t-il à réfléchir à l’idée de risque ?

Oui, absolument. Il faut accepter de laisser les personnes apprendre de leurs erreurs. Il existe cette illusion qu’une personne en situation de handicap pourrait être protégée de tous les risques. Mais placer quelqu’un sous une cloche de verre s’avère contre-productif. Il s’agit plutôt de se demander comment passer d’un risque perçu à un risque acceptable et partagé par les différents acteurs. Un des premiers textes écrits sur l’autodétermination portait justement sur la dignité du risque. Il y est expliqué qu’une vie sans risque signifie une vie sans dignité. Par extension, nous pourrions dire que c’est une vie sans autodétermination. Choisir implique toujours de prendre le risque de se tromper, mais ce n’est pas nécessairement un acte associé au danger. Cela demande aux établissements de réfléchir à ce que représente pour eux un risque acceptable et à quel moment il faut intervenir pour garantir la sécurité.

Comment cette notion a-t-elle émergé ?

Elle est apparue autour des années 1970, émergeant notamment des pays scandinaves, en réaction à toutes les institutions qui gardaient à l’écart les personnes en situation de handicap. Nous étions, à ce moment-là, dans une logique de placement. Il s’agissait de rendre possible une certaine normalisation des conditions de vie pour que ces personnes puissent évoluer de façon similaire au reste de la population. Ensuite, cette notion s’est vraiment développée dans les pays anglo-saxons. Les Etats-Unis, par exemple, ont mis en place en milieu scolaire des programmes pour que les élèves handicapés développent leur capacité à s’autodéterminer.

Ce concept fait-il l’objet d’une réelle appropriation en France ?

Une évolution extraordinaire a eu lieu autour de cette notion en France au cours des dix dernières années. Lors de mes premières interventions sur ce sujet en 2010-2012, les gens le découvraient. Maintenant, ce concept bénéficie d’une reconnaissance accrue. C’est aussi une notion cohérente avec des textes internationaux comme la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées. Tout le défi tient désormais au passage du discours à une mise en œuvre effective. J’observe toutefois des avancées significatives, des projets d’établissement se développent, de plus en plus de professionnels se forment. La pair-aidance est aussi très cohérente avec ce que prône l’auto­détermination. Mais selon moi, ce concept doit être considéré comme un chemin et non un aboutissement. Il nous invite à avancer vers une société qui inclut l’ensemble de la diversité humaine, sans présumer arriver un jour à destination.

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