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Affaire Orpea : « Les Ehpad vendent de l’hébergement »

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Gérontopsychiatre et directeur de l’Afresc (Action, formation, recherche, évaluation en santé communautaire), Michel Bass est l’auteur de L’anti-manuel de management dans les Ehpad, et autres établissements médico-sociaux (éd. érès, 2022).

Crédit photo DR
Après les accusations sur le groupe d’Ehpad privés Orpea révélées dans le livre Les Fossoyeurs, paru le 26 janvier dernier, le gouvernement a lancé deux enquêtes et demande le renforcement des contrôles. Selon le médecin de santé publique et socio-économiste Michel Bass, qui rappelle que la recherche de rentabilité frappe aussi les établissements publics, les solutions sont ailleurs.

Actualités sociales hebdomadaires - Comment avez-vous réagi à la publication du livre Les Fossoyeurs ?

Michel Bass : Ce livre provoque un séisme, mais ce qu’il dénonce dépasse les seuls Ehpad privés. J’étais gérontopsychiatre dans un établissement public, et les questions de maltraitance s’y posaient aussi. D’une certaine manière, la situation des Ehpad ressemble fort à celle des hôpitaux. Depuis des dizaines d’années, les politiques publiques cherchent à réduire les coûts. Cela ne marche pas. Alors quand le scandale éclate, on lâche du lest. Comment ? En donnant de l’argent supplémentaire. La ministre annonce 2,5 milliards d’euros pour rénover les établissements, c’est très bien. Mais il s’agit d’investissement et non de fonctionnement. De même, celle-ci indique vouloir renforcer les contrôles. Pour quoi faire ? Si c’est pour que des personnes de l’Igas [inspection générale des affaires sociales] ou des ARS [agences régionales de santé] passent quelques heures en Ehpad, ce sera insuffisant. Les contrôles existent déjà. La loi de janvier 2002 a prévu des procédures d’évaluation interne et externe. Elles durent au maximum trois jours et, sur cette période, les évaluateurs ne rencontrent pas grand-monde. J’ajoute que ces contrôles ne sont pas forcément bien vus.

Que voulez-vous-dire ?

Il y a quelques années, alors que j’étais médecin coordonnateur dans un Ehpad privé à but non lucratif, j’ai demandé à parler personnellement à une évaluatrice externe. Cela a déclenché un cataclysme managérial. J’ai été convoqué par mes supérieurs, menacé, obligé de partir de cet établissement. Il s’est passé la même chose dans un Ehpad public dépendant d’un hôpital où j’avais constaté de graves dysfonctionnements au sein de l’unité psychogériatrique. J’ai essayé d’alerter l’institution. Résultat ? J’ai reçu des menaces de ma direction générale, d’énormes pressions pour me taire. En réalité, dans le secteur public, la finalité ne vise pas le profit mais la réduction des coûts. Le principal critère lors de l’achat de protections pour les résidents, par exemple, est leur prix plutôt que leur qualité. On va au mieux offrant. Ce sont les normes du marché. In fine, ce sont les personnes âgées qui en subissent les conséquences. Moins bien protégées au niveau urinaire et fécal, elles déclarent davantage de problèmes de peau et d’escarres. Derrière cette réduction des coûts, il existe une forme de maltraitance, imposée par la puissance publique.

C’est « l’idolâtrie des chiffres » dont vous parlez dans votre ouvrage…

En management, c’est ce que l’on appelle le « reporting ». C’est le cas, par exemple, avec l’échelle de Braden, un outil clinique qui permet de mesurer le risque d’escarres chez une personne âgée afin de prendre des mesures adéquates. C’est devenu une procédure qualité : « faire des Braden » montre à la tutelle que l’on se préoccupe de cette question dans l’Ehapd. Et le nombre de Braden effectués devient un indicateur de la qualité des soins. Plus il augmente, meilleure est censée être la qualité. Mais, parallèlement, on ne se préoccupe pas de l’amélioration des repas. Il faut dire que ce n’est pas le même budget. Au-delà d’un manque de moyens, les professionnels en Ehpad souffrent d’un manque de reconnaissance de leur travail. Les aides-soignantes ont une liste de tâches à accomplir, elles en sont responsables mais ne sont pas aidées pour cela. Elles passent 65 % de leur temps à faire des toilettes, 30 % devant l’ordinateur, et il ne leur reste presque plus rien pour réfléchir, organiser leur travail. C’est scandaleux. On ne peut pas accompagner des personnes malades, en fin de vie, et être confronté à la mort sans accompagnement, sans comprendre ce qu’il se passe.

Finalement, les Ehpad ne sont-ils pas plus préoccupés par la vente d’hébergement que par la qualité de la prise en charge ?

En réalité les directions recherchent des résidents pour avoir un taux d’occupation suffisamment élevé et, ainsi, continuer à être financées par les tutelles. Ce taux constitue un autre chiffre idolâtré. Avoir des lits remplis à 95 % exige qu’une personne qui décède soit remplacée dans les trois jours. Effectivement, on vend de l’hébergement. Et, en plus, on fait signer à la personne ou à ses ayants-droit un contrat de séjour. Or, alors que 40 % du budget d’un Ehpad provient des résidents, leur voix n’est que rarement prise en compte. Pour le règlement intérieur, le projet d’accueil, les sorties, les visites, les repas, ils ne sont pas entendus. La situation est paradoxale : censés maintenir l’autonomie, en pratique, les établissements augmentent la dépendance.

Faut-il revoir les modes de financement ?

Il faut tout remettre à plat : les modes de financement et d’organisation. Avec la loi de janvier 2002, le secteur social et médico-social a peu à peu incorporé les principes de gestion privée, introduisant ce que l’on appelle le New Public Management. Ce concept repose, entre autres, sur les évaluations internes et externes, la contractualisation, la mise en concurrence, à savoir les normes du marché. Ce n’est pas la bonne manière de gérer un Ehpad. Pourtant, des exemples montrent qu’il est possible de faire différemment. Ehpad à domicile, création de petites unités avec des équipes circulant d’un appartement à l’autre ou l’approche « Carpe Diem »(1).

Enormément d’initiatives se développent sur le terrain. Il est essentiel de redonner aux acteurs locaux la possibilité d’imaginer des réponses. Depuis la loi HPST (hôpital, patients, santé, territoires) de 2009, ils n’ont quasiment plus leur mot à dire pour déterminer les besoins du territoire.

Avant « Les Fossoyeurs », d’autres enquêtes avaient déjà dévoilé nombre de dysfonctionnements, et rien n’a changé…

J’ai confiance en la créativité des acteurs. Si on leur permet de s’exprimer à nouveau, de nouvelles solutions vont émerger. Pour sortir du modèle de l’Ehpad, qui est à bout de souffle, les solutions ne se trouvent pas dans les bureaux des ARS ou du ministère. Les politiques ne sont pas forcément de mauvaise foi. Ils utilisent les outils qu’ils connaissent, mais ce ne sont pas les bons. Ils n’ont à la bouche que les mots « contrôle » et « financement ». En 2018, un Ehpad du Jura a été en grève pendant plusieurs semaines. Depuis, rien n’a vraiment changé. Pourtant, leurs revendications n’étaient pas seulement liées à un manque d’argent. Les professionnelles souhaitent être reconnues dans leur travail, retrouver du sens. A défaut, en bout de chaîne, elles deviennent l’objet de leur travail.

Notes

(1) Voir ASH n° 3222 du 27-08-21, p. 26.

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