De responsable d’une « unité d’affaire » dans les télécommunications jusqu’au siège du Secours catholique à Paris. Ce changement d’univers professionnel, Didier Duriez l’a connu grâce au mécénat de compétences. Ingénieur de formation, il a saisi l’opportunité de travailler dans le secteur associatif pendant 18 mois, pour se rendre « socialement utile ». Une possibilité offerte par son employeur, Orange, qui favorise ce type de mise à disposition. Encadré par la loi, le mécénat de compétences est défiscalisé à hauteur de 60 % du salaire chargé. Pour les entreprises, il s’agit donc d’un outil de pilotage des emplois financièrement intéressant, notamment pour la gestion des effectifs seniors proches de la retraite. Tous âges confondus, les directions des ressources humaines en reconnaissent aussi les vertus pour augmenter la motivation de leurs propres équipes pour des missions de plus courte durée (voir encadré), plus compatibles avec leur emploi du temps. Globalement, le mécénat de compétences offre une occasion de renouveau, de concrétiser un désir d’engagement, voire de redonner du sens à sa carrière.
Cette forme d’engagement progresse, sous l’effet de la responsabilité sociale et environnementale, de plus en plus exigée des entreprises. « Le mécénat de compétences s’inscrit dans une tendance d’accompagnement plus structurel des associations, avec un mécénat financier de longue durée qui finance non seulement les projets mais aussi les frais de fonctionnement des associations, afin d’augmenter l’impact », décrypte Diane Abel, d’Admical, une association qui promeut ces pratiques. Financeurs du monde associatif via leurs fondations, les entreprises se montrent aussi proactives pour proposer les compétences de leurs salariés. Une manière de manifester l’authenticité de leur engagement dont certaines associations ont décidé de tirer parti. Des intermédiaires comme Pro Bono Lab, Koeo ou Vendredi ont émergé ces dernières années pour organiser et faciliter ces passerelles.
Professionnaliser les fonctions support
Toutefois, le mécénat de compétences se pratique plus rarement dans les associations gestionnaires du social et du médico-social qui reposent quasi exclusivement sur le salariat. Les opportunités se concrétisent souvent par contacts individuels, à l’initiative des salariés ayant le feu vert de leur employeur et mobilisant des relations déjà présentes dans le secteur. Pourtant, l’arrivée de ces profils issus du monde de l’entreprise s’avère d’un secours certain pour professionnaliser les fonctions support. Depuis deux ans, l’Armée du salut a accueilli une vingtaine de salariés en son siège, durant un à 18 mois. « On sensibilise les directeurs d’établissement à l’utilisation du mécénat de compétences, qui nous aide à nous développer et à nous professionnaliser », explique Aurélie de Valence, responsable du mécénat. Récemment, des consultants ont examiné l’opportunité de structurer la réception des dons en nature au sein de l’association. « On avait essayé de le réaliser nous-mêmes, mais on manquait de vision, et on ne pouvait pas forcément y consacrer beaucoup de moyens financiers », ajoute la responsable. Ces profils sont d’abord recherchés pour les qualités développées dans le monde de l’entreprise. Ils remplissent souvent des missions relatives à des métiers qu’ils occupaient déjà dans le privé, c’est-à-dire dans les fonctions support : communication, comptabilité, informatique ou ressources humaines. « Ce sont des battants, et ils savent gérer des projets », observe Christian Miclot, du Secours catholique, qui en mobilise actuellement une trentaine, au siège mais aussi dans ses délégations territoriales.
Comment ces missions se déroulent-elles ? Une étude qualitative, publiée en 2020 par l’Injep (Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire), analyse les récits des salariés ayant testé ce mécénat. « Les expériences sont positives comme négatives, relate Osia Vasconcelos, l’une de ses auteures. Il n’est pas toujours facile de travailler l’intégration : il peut aussi y avoir des décalages, en termes de salaire [l’entreprise continue de rémunérer le salarié en mécénat de compétences, ndlr] mais aussi de parcours, de groupe social ». Les différences concernent également les habitudes de travail. « Les ONG ne sont pas des entreprises. La prise de décision est plus compliquée. Il y a cette recherche de consensus, et les managers ne tranchent jamais par peur de déplaire », observe Christian Miclot. Didier Duriez, qui a intégré le département « philanthropie et mécénat » du Secours catholique, a reçu un « bon accueil ». Mais il a aussi vu s’exprimer des clichés. « Il peut y avoir une vision négative de l’entreprise. Une minorité de personnes peine à croire qu’on s’intéresse à ce monde », reconnaît-il.
Frottements entre cultures professionnelles
Didier Duriez a par ailleurs constaté une moindre « culture du risque » dans le secteur associatif, qui compte des personnes « pleines d’idées, mais qui peinent à les traduire dans des listes d’actions claires ». « Une fois ou deux, j’ai eu l’impression que des sujets sur lesquels j’avais cogité ne débouchaient pas sur des décisions. Il y a quelques années, je m’en serais formalisé », confie Thomas Pichon. Ce spécialiste du droit social de 62 ans, issu de Michelin, assiste la direction des ressources humaines de l’ordre de Malte. Mutuelle, plan d’épargne retraite, choix de convention collective, dématérialisation des dossiers du personnel, gestion des ruptures du contrat de travail, suivi des contentieux… Il apporte ses compétences techniques de juriste pour éclairer les décisions, aidé de son accès à la documentation juridique disponible chez Michelin.
Les associations reconnaissent volontiers ces frottements entre cultures professionnelles. « Ça nous bouscule, conçoit Aurélie de Valence. Un consultant en mécénat de compétences en mission peut nous appeler 15 fois dans la semaine. Quand on lui demande un audit et qu’il n’obtient pas de réponse d’un établissement, il faut rappeler tout ce que cet échelon doit gérer. » Conscientes de la plus-value des salariés en mécénat, l’Armée du salut comme le Secours catholique soulignent la nécessité de désigner un référent afin de communiquer sur d’éventuelles difficultés. Mais aussi de changer le poste en cas de problème, et de faire œuvre de pédagogie, insiste par exemple Christian Miclot : « Je préviens ces salariés qu’ils vont devoir faire un effort : conseiller sans imposer, même s’ils ont l’impression de tout savoir. »
La définition des attentes de part et d’autre constitue ainsi un enjeu clé pour le succès du mécénat de compétences. Egalement issu d’Orange, Olivier Bon a prêté main-forte à une toute petite association qui organise des séjours en montagne pour des personnes en difficulté ou en situation de handicap. « Je suis arrivé avec mon expérience de la grande entreprise, appliquée à une toute petite structure, avec un fondateur et deux ou trois personnes », relate Didier Bon. Une « très belle idée » au service de laquelle ce fondu de montagne a voulu s’investir en recherchant des financements pour faire grandir la structure. « Pour le fondateur, ce n’était pas l’urgence du moment. Nous étions en désaccord sur cette question du développement. Lui ne s’imaginait pas que je me positionne sur ce sujet. » Prenant congé au bout d’un an pour s’engager ailleurs, il réalise que l’association n’était pas compatible avec ses attentes : « trop jeune », « sans plan » ni « contrepouvoirs ». Les salariés en mécénat de compétences ont aussi leurs exigences.
A défaut de trouver des salariés disponibles pour le mécénat de longue durée, les entreprises sont friandes de missions « flash » de quelques jours seulement. Elles représentent la très grande majorité des activités d’une plateforme comme Koeo, qui met en relation des salariés en mécénat de compétences avec des associations. La fondation des Amis de l’atelier (90 établissements et services), spécialisée dans le handicap, a recouru à cette formule : à l’occasion de la journée annuelle de solidarité, des salariés de la société d’investissement immobilier Gecina – à la base un mécène financier – viennent depuis 2017 donner un coup de main en peinture, terrassement, débroussaillage… « Les établissements sont très demandeurs », constate la responsable du mécénat, Isabelle Laurencin. Gare, toutefois, à une utilisation à outrance. « Le mécénat sur une journée, cela demande du travail », rappelle Aurélie de Valence de l’Armée du salut. Si elle accepte de le faire avec certains partenaires, elle se méfie des entreprises qui mettent en compétition plusieurs associations dans une optique de cohésion d’équipe. « Nous ne sommes pas des agences d’événementiel. »