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Transitions collectives : un dispositif ambitieux mais inopérant

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Stressed business people waiting for job interview

Crédit photo Atelier 211 - stock.adobe.com
Reconversion professionnelle - Permettre à des salariés dont l’emploi est fragilisé de se reconvertir, via une formation financée, vers un nouveau métier en tension : tel est l’objectif des « Transitions collectives ». S’il représente une opportunité pour un secteur social et médico-social en manque de compétences, ce dispositif ambitieux peine encore à trouver son public.

« Je suis vraiment très heureuse que les 24 femmes qui sont en face de nous puissent avoir l’opportunité de se former à un autre métier […],dont on aura vraiment besoin dans les prochaines années. » C’est par ces mots que la ministre du Travail, Elisabeth Borne, a lancé, le 7 avril dernier, le dispositif « Transitions collectives » (Transco). Une formule complexe pour désigner une opération a priori simple : permettre à des salariés dont l’emploi est menacé par les transformations structurelles de l’économie de se reconvertir vers un autre métier en tension, sans passer par la case Pôle emploi. Ce jour-là, deux partenaires étrennent cet outil, élaboré en pleine crise sanitaire : d’un côté, l’opérateur de services aux entreprises Derichebourg, l’employeur de ces agentes d’entretien, et, de l’autre, le groupe Korian, gérant des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (d’Ehpad), qui s’engage à les recruter sous contrat à durée indéterminée, une fois leur formation d’aide-soignante terminée.

Pendant leur formation, les participantes ne sont pas encore salariées de Korian, mais simplement détachées de leur employeur, qui, en conséquence, les rémunère pendant leur absence. Pour stimuler ce dispositif, l’Etat prend en charge cette rémunération ainsi que les coûts de formation sur une durée maximale de deux ans. Mais ce soutien public des entreprises « source » varie selon leur taille : 100 % pour les très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME), 75 % pour les entreprises de 300 à 1 000 salariés et 40 % pour les entreprises de plus de 1 000 salariés. En 2021-2022, 500 millions d’euros ont été budgétés pour financer de tels parcours. Autre condition : les reconversions financées doivent s’orienter vers des métiers en tension. D’où l’intérêt que revêt le dispositif pour le secteur social et médico-social.

Ainsi Korian a-t-il saisi cette opportunité pour élaborer une nouvelle modalité d’intégration (voir encadré) destinée aux profils issus d’autres univers professionnels. Leur offrir la possibilité « d’aller directement vers le diplôme d’Etat d’aide-soignant, ça n’existait pas », souligne sa directrice des ressources humaines, Nadège Plou. Jusqu’ici, de telles reconversions se déroulaient en deux étapes : d’abord par le recrutement sur des postes ne requérant pas de qualification, comme agent de service hospitalier, puis, ensuite, par une validation des acquis de l’expérience (VAE)(1).

Mais au-delà de cette ingénierie, Transco affiche un potentiel en termes de « sourcing ». Le dispositif cible les salariés en poste et non les demandeurs d’emploi. C’est ce qui intéresse l’UNA (Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles) Rhône-Alpes. « Pôle emploi ne suffit plus : on est à un niveau où l’on reçoit zéro CV », explique Ingrid Jolivet, déléguée régionale du réseau d’aide à domicile qui a intégré la centaine de « plateformes territoriales » ayant répondu à l’appel à manifestation d’intérêt du ministère du Travail. Emanant de collectivités locales ou d’organisations professionnelles, elles ont pour mission de faire connaître Transco tout en créant les liens entre sociétés « donneuses » et « receveuses ». « C’est une opportunité : énormément de personnes dans les entreprises disposent de qualifications pour notre secteur, sans les utiliser », estime Claudine Villain, secrétaire nationale chargée de la formation à la fédération CFDT Santé sociaux. « Transitions collectives permet de favoriser le discours intersecteur avec une échelle régionale et nationale », convient aussi Stéphanie Duvert, directrice des affaires sociales chez Nexem, principal représentant des employeurs associatifs du secteur social, médico-social et sanitaire.

Retard à l’allumage

Si l’idée, sur le papier, semble bonne, « Transco » peine pourtant à se concrétiser. Fin août 2021, à peine plus de 70 salariés, issus d’une vingtaine d’entreprises, ont vu leur dossier de financement validé pour s’engager dans un parcours de reconversion. Pour l’heure, le réseau UNA Rhône-Alpes n’a reçu aucune candidature.

En cause ? D’abord, une reprise économique qui accroît les tensions de recrutement. Mais aussi la nouveauté du dispositif : le processus s’avère ralenti par de nombreuses étapes, soulignent les observateurs. Afin de pouvoir déposer un dossier auprès des associations paritaires « Transitions Pro », chargées du financement des projets, les entreprises doivent négocier un accord de gestion des emplois et des parcours professionnels identifiant « les métiers fragilisés à moyen terme ». Les salariés intéressés doivent suivre un conseil en évolution professionnelle pour pouvoir déposer à leur tour leur dossier individuel de financement.

Par ailleurs, Transitions collectives vise une cible très spécifique : les entreprises qui anticipent le déclin à moyen terme de certains de leurs métiers, sans avoir engagé de plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) sur ces emplois. « Il y a très peu de demandes d’employeurs. Car il est difficile, pour une entreprise, de se déclarer en difficulté devant les actionnaires, les salariés et la concurrence », estime Alexandre Lebarbey, chargé des questions de formation à la fédération CGT Santé et travail social. La démarche suppose de l’anticipation en matière de gestion des ressources humaines. Or, « souvent, la gestion des emplois et des parcours professionnels est perçue comme une obligation légale. Je vois beaucoup des directeurs des ressources humaines qui prennent du temps à établir des cartographies de compétences mais ne passent pas vraiment à l’action », constate Myriam El Khomri, directrice du pôle « conseil » chez Siaci-Saint-Honoré, qui a accompagné Korian sur ce projet. Inversement, Monoprix, l’autre partenaire de Korian sur les transitions collectives, avait déjà relevé l’intérêt chez certains de ses salariés pour le secteur du grand âge. La communication sur les opportunités de formation afin d’être embauché chez Korian a donc pu y rencontrer un écho.

La capacité à convaincre de rejoindre le médico-social plutôt qu’un autre secteur pose malgré tout question. « Le manque d’attractivité salariale des postes d’aide-soignant ou d’accompagnant éducatif et social, par rapport à des postes proches accessibles sans qualification peut décourager les démarches de formation ou de VAE. Pour que Transco fonctionne, il faudrait identifier des salariés qui occupent des emplois encore moins bien payés. Ou bien proposer des orientations plus ambitieuses, vers le métier d’infirmier ou d’éducateur par exemple », observe le cadre d’une grande association gestionnaire. Un enjeu bien identifié par Korian qui a adapté sa stratégie en conséquence. « Nous avons réalisé un important travail en amont en cherchant des salaires proches. Les personnes qui nous rejoignent ont quelque chose à gagner en temps de travail ou en rémunération », reconnaît Nadège Plou. Point de hasard, donc, si des agentes de nettoyage, des employées de libre-service ou des hôtesses de caisse ont été ciblées. Grâce à la collaboration avec Monoprix, les passerelles organisées par Korian vont s’étendre au-delà de l’Ile-de-France pour essaimer à Lille, Lyon et Marseille. Au total, 37 personnes ont démarré Transco, sur les 200 formations initialement visées d’ici à la fin 2021.

Chez Korian, un parcours cousu main

Pour garantir le succès de cette « passerelle », Korian a créé un parcours inédit. Avant de débuter la formation, les personnes intéressées passent ainsi par un « sas d’orientation » d’une semaine destiné à leur permettre de valider leur choix mais aussi à évaluer leurs compétences de base (mathématiques, français, biologie…), quitte à effectuer une remise à niveau préalable. « Pour les mettre en situation de réussite, il faut qu’elles maîtrisent un premier niveau de français », explique Nadège Plou. Après validation du projet, la formation dure 14 mois. Positionnées sur une fonction d’agent de service hospitalier, les salariées en reconversion apprennent leur métier sur le tas, au contact d’aides-soignants expérimentés. Le socle théorique (20 % de la durée totale) est acquis en institut de formation d’aide-soignant, à la fois en présentiel et sous forme d’e-learning. A l’issue d’une période d’un an, un jury de validation des acquis de l’expérience leur délivrera, ou non, un diplôme.

Notes

(1) Sur la VAE, voir ASH n° 3224 du 10-09-21, p. 6.

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