En cette fin de matinée d’été, à Rion-des-Landes, en Nouvelle-Aquitaine, cinq employées en contrat à durée déterminée d’insertion (CDDI) remplissent les rayons de l’épicerie sociale en attendant les clients. Dans un coin de la salle, la table est dressée pour le repas qu’elles partageront pendant la pause du midi. « Je travaille ici depuis un mois. Je m’approvisionnais en courses quand, un jour, j’ai demandé s’il y avait une possibilité d’embauche. Ça fait tellement de bien, moralement et physiquement, d’avoir une activité, et quel plaisir de retrouver à nouveau des collègues ! », s’exclame Gladys Sery, 45 ans, qui, après avoir démissionné d’un poste d’auxiliaire de vie, n’arrivait pas à retrouver un travail. L’idée d’une boutique solidaire a germé il y a une vingtaine d’années dans la tête de deux assistantes sociales, après qu’elles ont constaté les difficultés financières rencontrées par les personnes prises en charge. Deux autres ont suivi, à Tartas puis, en octobre 2019, à Pontonx-sur-l’Adour, toujours dans la communauté de communes du Pays Tarusate, au cœur du département des Landes. Séduites par le projet, les mairies ont prêté des locaux pour installer chaque épicerie, qui accueille environ 700 personnes annuellement.
« Nous recrutons en priorité des personnes éloignées de l’emploi. Nous les engageons au jardin, dans l’épicerie sociale ou au service “espaces verts” pour les remettre en action, leur donner un rythme, afin qu’elles reprennent confiance. Nous les soutenons aussi dans leur projet professionnel », explique Morgane Jacq, accompagnatrice socioprofessionnelle de l’association L’Arbre à pain, qui gère les épiceries. Si, à l’issue de son CDDI de quatre mois, Gladys Sery ne parvient pas à regagner le marché du travail classique, elle pourra en signer un autre, renouvelable dans la limite de 24 mois. Chaque année, 70 personnes âgées de 18 à 60 ans (dont 65 % d’hommes et 35 % de femmes) suivent un parcours d’insertion. Les sorties considérées positives (embauche, formation ou nouveau CDDI) sont en augmentation : 80 % en 2020, malgré deux mois d’arrêt lié à la pandémie, contre 47 % en 2016.
Pour accéder à l’épicerie, il est nécessaire de montrer sa feuille d’impôt ou d’être envoyé par un prescripteur : Pôle emploi, une mission locale, un référent RSA, Cap Emploi, etc. « Chaque personne dispose d’une carte nominative où sont comptabilisés ses achats. Une personne seule ne peut excéder 71 € par mois, et 126 € pour une famille de trois personnes », expose Elodie Piogé, encadrante technique. Les épiceries sont approvisionnées par la Banque alimentaire, le Fonds européen d’aide aux plus démunis (Fead) et des dons de grandes surfaces. Avec les supermarchés qui bradent leurs denrées proches de la date de péremption et les applications de récupération directe des invendus auprès des magasins (telle Too Good To Go), les trois structures ont vu diminuer leurs stocks de produits frais. Au point qu’il leur arrive de proposer des légumes surgelés.
Bientôt, un magasin
Un camion réfrigéré se gare devant l’épicerie. Adeline Madieu, 29 ans, décharge les produits qu’elle est allée chercher. « Je voulais me former à la fonction d’accompagnante éducative et sociale, mais je suis seule avec un enfant. Ce n’est pas possible pour l’instant. Je serai peut-être caissière en attendant », regrette-t-elle. « Dans l’épicerie, les personnes apprennent à gérer le stock, encaisser, scanner les produits, se servir d’un logiciel de vente et mettre en rayon », complète Elodie Piogé. Une expérience dont les bénéficiaires peuvent ensuite se prévaloir. Outre l’espace de lien social qu’elle représente, l’épicerie est aussi l’occasion de proposer des ateliers. « J’en anime sur la gestion du budget, l’équilibre alimentaire, les gestes de premiers secours et certains plus récréatifs sur la confection de bouquets ou la fabrication de produits ménagers », énumère Amandine Tato, animatrice socioprofessionnelle. D’autres, plus techniques, sont coanimés avec des bénévoles ou des professionnels.
Situé à Souprosse, à un quart d’heure en voiture de Rion-des-Landes, un jardin de trois hectares participe aussi à lutter contre la précarité. Initié par L’Arbre à pain, il emploie six personnes. Jean-Philippe Lamy, adjoint technique, y a suivi une formation pendant deux ans : « Je me suis ensuite perfectionné en suivant des microformations », déclare-t-il. Après son dernier CDDI, il signera un contrat à durée indéterminée d’inclusion à l’association. La production du jardin est vendue directement dans les épiceries sociales et sous forme de paniers commandés sur Internet, chaque semaine, par une trentaine d’adhérents. Les activités se déployant, un magasin sera ouvert prochainement dans un local nouvellement acheté. « Nous pratiquons l’agriculture raisonnée. On aurait aimé passer en bio, mais il y a encore dans le sol des rémanences de produits liés à des activités sur le terrain vieilles de trente ans », révèle-t-il. Accroupies, trois jeunes femmes désherbent à la main. Romane Villetorte, 23 ans, a été orientée par Pôle emploi : « Je vais passer un brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole sur les plantes médicinales. J’aimerais m’installer à mon compte. »
Si les épiceries s’équilibrent financièrement, ce sont les chantiers « espaces verts » et restauration du petit patrimoine, ouverts par l’association, qui rapportent le plus. Au point qu’une quatrième équipe d’intervention – chacune d’elles comptant quatre ou cinq personnes – est en cours de constitution. Par principe, à la manière de l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée », les travaux qu’elles effectuent (peinture, rénovation de petits bâtis ou de clôtures, nettoyage des plages, etc.) n’entrent pas en concurrence avec les artisans du secteur. « Nous travaillons pour des collectivités, des associations, ou des entreprises en sous-traitance et répondons à des marchés publics réservés aux structures d’insertion par l’activité économique », garantit le directeur de L’Arbre à pain, Dominique Dourthe. Et d’ajouter : « Sans être rentable, ce qui est normal puisque nous privilégions l’accompagnement des personnes éloignées de l’emploi, l’association se porte bien. »
Faciliter la mobilité
Manque de moyens de locomotion, empêchement à passer ou à obtenir le permis de conduire… Dans le département des Landes, la mobilité est le principal frein à l’insertion. Pour tenter d’y remédier, L’Arbre à pain a eu recours à l’Agence landaise pour le perfectionnement des conducteurs débutants (ALPCD), une auto-école qui propose un accompagnement spécifique aux personnes en difficulté psychologique, sociale ou cognitive. « Les six personnes envoyées par L’Arbre à pain ont eu leur permis de conduire, certaines en trois semaines, d’autres en trois mois », précise Dominique Dourthe. Un garage solidaire a été créé en partenariat avec Défis Services, une entreprise associative du secteur de l’insertion par l’activité économique. « Quand nous avons présenté notre projet lors d’un comité de pilotage avec les acteurs sociaux, nous avons appris qu’une autre structure voulait ouvrir un garage solidaire. Nous avons donc monté le projet ensemble en fusionnant une partie de nos conseils d’administration et en mettant en place une gouvernance partagée », déclare Danièle Dinclaux, présidente de l’association. Ainsi, en novembre 2019, l’association Landes insertion mobilité (LIM) a vu le jour.
« Le garage propose trois prestations de service : la réparation, la location et la vente de véhicules », détaille Christelle Camougrand, de Défis Services. Plus de 30 prescripteurs différents – centre d’hébergement et de réinsertion sociale, service pénitentiaire d’insertion et de probation, caisse d’allocations familiales (CAF), aide sociale à l’enfance, etc. – ont dirigé des bénéficiaires vers ce dispositif pour la réparation de leur véhicule. La location est proposée dans 24 points relais répartis sur le territoire. Essentiellement des partenaires du secteur de l’insertion par l’activité économique, des centres communaux d’action sociale, des mairies, qui acceptent de garder un ou deux véhicules et de mettre un permanent à disposition pour accueillir le bénéficiaire et effecteur un bilan de l’état du véhicule avant et après la location. L’association, qui possède une flotte de 50 véhicules qu’elle loue, récupère aussi de vieilles voitures données par des particuliers, qu’elle remet en état et qu’elle vend entre 1 000 et 2 000 € à des personnes envoyées par des prescripteurs. Dans le cadre du plan « pauvreté » de 2018, une dizaine d’automobiles ont été achetées en partenariat avec la CAF. Enedis en a également donné cinq, dont une électrique et, plus récemment, un fourgon qui va être transformé en garage mobile. Le véhicule électrique servira de taxi social, pour inciter les personnes qui ne se déplacent plus à se rendre à des rendez-vous médicaux. Il sera conduit par une personne en insertion.
Comme pour toutes les prestations proposées par L’Arbre à pain, ces différents services sont payants. Pour une réparation, le prescripteur social aide le bénéficiaire à payer la facture, mais ce dernier devra participer. La location d’un véhicule s’élève à 8 € la journée ou à 200 € le mois. Le garage est conventionné par le Fonds d’action sociale du travail temporaire (Fastt) : quand une agence d’intérim a une mission à accomplir, mais que le salarié n’a pas la possibilité de se rendre sur les lieux, le Fasst finance tout ou partie de la location du véhicule. Pour grossir la flotte de véhicules de location et répondre à la demande, le garage prévoit de lancer un appel à de nouveaux dons de voitures. Dix salariés travaillent au garage social et solidaire en CDDI accompagnés par des encadrants techniques et sociaux. « Nous n’engageons que des personnes qui connaissent un peu la mécanique et nous les formons. En deux ans, nous pouvons faire le tour de tout ce qu’elles doivent apprendre », résume le responsable du garage, Paul Tato.
Accéder à un microcrédit
Soutenue par ses partenaires (conseil départemental, Direccte et Pôle emploi), le nouveau dispositif LIM va lancer une plateforme « mobilité ». Destinée à aider les personnes en difficulté à trouver un mode de transport adapté à leurs besoins, elle couvrira tout le département en complément d’une autre plateforme, qui intervient déjà sur quatre territoires. « Pour assurer l’accompagnement des futurs bénéficiaires, LIM va recruter cinq personnes – un coordinateur et quatre conseillers mobilité – qui assureront des journées d’accueil dans les différents EPCI [établissements publics de coopération intercommunale] », indique Christelle Camougrand. Pour un meilleur maillage, les bureaux ne seront pas éloignés de plus de 12 km les uns des autres. Outre la question du moyen de locomotion, la plateforme facilitera l’accès au microcrédit pour les personnes souhaitant acheter un véhicule. Sorte de guichet unique, elle aidera aussi, par le biais de ses conseillers, les personnes à lever les freins psychosociaux à la mobilité : monter dans un bus, se repérer, apprendre à lire une carte, etc. L’accompagnement de 193 familles recensées par Pôle-emploi devrait commencer rapidement pour permettre de rôder le futur modèle de la plateforme avant qu’elle ne soit opérationnelle. A peine cette initiative sur les rails, Christelle Camougrand et Dominique Dourthe s’attellent à la création dans le département de deux autres garages et d’une auto-école solidaires.