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Réinsertion : de détenu à « wakeur », une liberté sous conditions

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Wake up Café

Ambiance dans le jardin de l'association.

Crédit photo Tim Douet
Depuis deux ans, l’antenne lyonnaise de l’association Wake up Café accompagne des détenus qui bénéficient d’un aménagement de peine. A travers des ateliers collectifs et un soutien individualisé, la structure les aide à retrouver une place dans la société.

La lumière décline doucement le long des grandes tables sur lesquelles le buffet est dressé. Au fond du jardin partagé que borde un enclos de poules pondeuses, le repas attend les derniers convives pour démarrer. Les premiers arrivés discutent, un verre de soda à la main, assis sur des poufs à même le sol. Ce soir, comme chaque premier mercredi du mois, le dîner est organisé pour rassembler la communauté des « wakeurs » ainsi que les salariés et les bénévoles de Wake up Café. Les « wakeurs » étant les bénéficiaires de cette association : des sortants de prison dont la peine s’achève hors les murs.

C’est le cas de Stéphane(1), 44 ans. Sorti en mars dernier, il bénéficie actuellement d’un aménagement de peine. Pendant un an, il est hébergé au centre de semi-liberté (CSL) de Jean-Macé, à Lyon. Il passera ensuite une année supplémentaire en libération conditionnelle. Après vingt ans derrière les barreaux, celui que tout le monde appelle sobrement « Steph » raconte en avoir terminé avec cette vie-là : « En prison, t’as beau être un dur, tout le monde a des limites. J’ai fini par atteindre les miennes. Aujourd’hui, j’ai envie de profiter. » Assurant n’avoir aucun mal à couper avec l’« intérieur », il reconnaît avoir eu besoin de soutien une fois à l’extérieur. « Wake up Café a déjà été un atout dans ma demande d’aménagement de peine. Maintenant, l’association m’aide dans toutes les démarches administratives. Après des années en prison, on est largué », lâche-t-il.

« Moi, je suis là tous les jours. Je veux m’en sortir ! s’exclame Nabil, tout près. En détention, j’ai bossé en ateliers, souvent dans l’assemblage ou le triage. J’ai aussi passé un CAP commerce. Mais en prison, même si on passe des diplômes, rien n’est vraiment prévu pour la réinsertion. » Un discours partagé unanimement par les « wakeurs » présents ce soir-là. Tous racontent avoir travaillé ou étudié, mais surtout pour « passer le temps ». Les chiffres vont dans leur sens. Selon des études relayées par l’Observatoire International des prisons (OIP), 63 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont recondamnées dans les cinq ans qui suivent. La plupart ont connu une « sortie sèche », sans aménagement de peine.

C’est pour prévenir cet échec que l’association Wake up Café a été créée. Sa finalité ? Epauler, redonner confiance et contrer les effets désocialisants et déshumanisants de l’incarcération. Depuis sa création en 2014 à Paris, l’association a accompagné près de 600 détenus. Face au nombre grandissant de demandes, des antennes ont ouvert à Montreuil, en Ile-de-France, puis à Montpellier et à Lyon, en 2019. Actuellement, le dispositif lyonnais suit une petite vingtaine de « wakeurs ». « Six sont encore à l’intérieur, mais leur accompagnement a été acté et vingt sont en attente. C’est ce qu’on appelle les “orientations”, c’est-à-dire les personnes détenues que l’on doit encore rencontrer pour officialiser le suivi », détaille Marie Simand, chargée d’insertion à l’association.

Rien sans la confiance

Soumis à une convention nationale signée avec la direction de l’administration pénitentiaire, déclinée localement avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip), les salariés de la structure sociale rencontrent toujours les détenus avant d’entamer leur collaboration. « Il y a un premier rendez-vous, si possible en détention, qui peut être poursuivi par un échange épistolaire. Les personnes rédigent également une lettre d’engagement et de motivation, puis elles viennent passer une ou plusieurs journées au sein de l’association dans le cadre d’une permission de sortir », explique à son tour Annie Mafille Cornignani, ancienne assistante sociale récemment embauchée comme chargée de développement et de pédagogie. Les détenus formulent ensuite une demande d’aménagement de peine adossée à un projet de sortie : emploi, logement, réseau familial ou associatif, etc. Wake up Café constituant pour le magistrat une garantie supplémentaire d’encadrement et de soutien.

A côté des démarches administratives, l’association organise tous les jours des ateliers. Le matin, ils sont consacrés à la recherche d’emploi, avec des mises en situation d’entretiens d’embauche, l’élaboration de CV, la rédaction de lettres de motivation. « Dans ce cadre, on essaie actuellement de développer le mécénat de compétences, avec des salariés ou des chefs d’entreprise », explique Annie Mafille Cornignani. L’après-midi, les bénévoles travaillent sur la reconstruction et l’estime de soi à travers le jardinage, des ateliers d’arts plastiques ou d’écriture. Jean-Marc Alloua est l’un d’entre eux. Présent depuis la création de l’association à Lyon, il est formé à la communication non violente. Chaque semaine, il propose des ateliers d’écriture et de poésie. « J’ai aussi expérimenté le yoga du rire et la réflexologie plantaire, qui ont très bien fonctionné. Par ailleurs, je suis intervenu dans d’autres associations et, selon moi, Wake up Café apporte quelque chose de nouveau dans la manière d’accompagner. C’est à la fois libre et très à l’écoute. Et donc forcément un peu contraignant », plaide Jean-Marc Alloua.

La structure s’appuie sur plusieurs critères. « Il faut qu’il y ait une relation sincère entre nous et les “wakeurs”. On est conscients que la confiance ne s’acquiert pas du jour au lendemain, mais on doit pouvoir se dire les choses », souligne Marie Simand. Un autre aspect apparaît essentiel : l’engagement dans la communauté et la solidarité entre pairs. « On vient pour soi mais aussi pour les autres. L’idée est qu’une personne dont la vie est un peu plus stable doit venir en aide aux nouveaux “wakeurs”. C’est d’ailleurs parfois le plus efficace et le plus porteur pour eux », poursuit la salariée. Cette ancienne élève d’école de commerce se définit comme « ni travailleuse sociale, ni pourvoyeuse d’emploi ». A ses côtés, Annie Mafille Cornignani a suivi un parcours plus classique : après avoir connu les services de psychiatrie, elle a travaillé avec des personnes à la rue ou ayant des trajectoires liées à la toxicomanie ou à la prostitution.

Nouveau départ

Wake up Café prône cette diversité de profils, chacun devant apporter ses compétences, ses connaissances, sa personnalité et, éventuellement, son réseau pour soutenir les autres et s’enrichir mutuellement. « On effectue de l’accompagnement individuel mais on veut aider les personnes à s’insérer dans un cadre collectif et communautaire. On doit surtout créer de l’autonomie. Et s’arranger pour que les personnes viennent parce qu’elles y trouvent du sens et du lien », insiste Marie Simand.

Un objectif loin d’être anodin, face à des personnes ayant vécu la solitude de l’incarcération ou, au contraire, une promiscuité subie. « Le plus dur, c’est de sortir de prison sans logement ni attaches familiales », lance Radouane, qui n’est pas originaire de la région Rhône-Alpes. Sa peine bientôt terminée, il assure qu’il continuera à venir « pour l’ambiance ». Au moins le temps de lancer sa nouvelle activité. Depuis qu’il fréquente le Wake up Café, le quadragénaire a récupéré son permis de conduire et créé sa micro-entreprise. « Je suis déterminé. C’est un nouveau départ. » La motivation est également intacte chez Kamel. Libéré il y a quatre mois, son bracelet électronique fixé à la cheville l’oblige encore à rentrer chez lui tous les jours avant 19 h. Ce soir, pour participer au repas, il jouit d’une permission exceptionnelle jusqu’à 22 h. « Il faut que je fasse attention à l’horaire des bus, j’ai plus d’une heure de trajet pour traverser la ville », précise-t-il, résigné. Lui a connu l’association par l’intermédiaire d’un codétenu. « J’en ai alors parlé à ma CPIP [conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation] et on a lancé les démarches. Mais il faut un temps d’adaptation entre l’intérieur et l’extérieur. Réapprendre tous les gestes du quotidien, appuyer sur un interrupteur, passer la tête par la fenêtre. Sans Wake up, j’aurais mis plus de temps à m’en sortir, mais j’aurais réussi quand même. » Kamel rêve d’un emploi tourné vers l’accueil et le relationnel, un métier où il serait « propre et bien habillé ». Pour l’instant, faute de mieux, il est contraint de travailler en intérim dans le bâtiment.

En attente de reconnaissance

Le rôle des salariés n’est pas toujours aisé. « Je suis parfois leur amie, mais je suis aussi leur chargée d’insertion et je dois assurer notre crédibilité auprès de l’administration pénitentiaire », reconnaît Marie Simand. Cette dernière tâche prend du temps. Ouverte depuis deux ans, l’antenne lyonnaise n’a pas encore tissé de liens avec les Spip de tous les départements. Comme dans le Rhône, où le partenariat en est à ses prémices. A l’heure actuelle, la structure collabore étroitement avec le centre de détention de Roanne (Loire), qui accueille des condamnés à des peines de plus de deux ans. « Le Spip de Roanne nous contacte spontanément, maintenant qu’il nous identifie. » Pour se développer, l’association doit encore se faire connaître et reconnaître des autres services pénitentiaires. Elle organise actuellement ses premiers rendez-vous « parloirs », avec de possibles futurs « wakeurs » à la maison d’arrêt de Corbas (Rhône) et au centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier (Isère). « Même si des personnes sont incarcérées à l’autre bout de la France, on peut les soutenir tant qu’elles viennent s’installer dans l’agglomération lyonnaise à leur sortie de prison », précise Marie Simand.

Moins de récidives

Un autre défi consiste à toucher les condamnés à des courtes peines, présents en maison d’arrêt, où le taux de récidive s’avère le plus élevé. Dans ces établissements, le temps et les moyens manquent particulièrement pour mettre en place une prise en charge. En 2018, l’OIP rappelait que les 3 000 conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation prenaient en charge l’ensemble des 250 000 personnes sous main de justice, soit 80 personnes en moyenne par CPIP. Un ratio théorique et fluctuant en fonction des services. « En réalité, l’immense majorité des CPIP prennent en charge entre 100 et 120 personnes chacun », pointait l’observatoire. Fin 2019, un rapport du Sénat préconisait lui aussi le renforcement des moyens humains dans les Spip pour atteindre le nombre de 60 condamnés suivis par conseiller, la loi de programmation et de réforme de la justice annonçant finalement la création de 1 500 postes sur la période 2018-2022. Pour sa part, Wake up Café ne craint pas l’augmentation du nombre de « wakeurs ». En cas de surcharge, une nouvelle antenne pourra voir le jour. « Le tout est de conserver des sites ayant une dimension familiale », confirme la chargée d’insertion. Les financements suivront, assure-t-elle, confiante : « On assure une mission d’intérêt général qui rend service à tout le monde. Chez les “wakeurs”, le taux de récidive oscille entre 5 % et 10 %. »

Ce mercredi soir, l’heure est d’ailleurs aux bonnes nouvelles. Debout face au petit groupe, Lya Vasseur, stagiaire au sein de l’association, prend la parole. « Les Wake up Dîners sont toujours l’occasion de faire le point sur les avancements et réussites de chacun. Je suis heureuse d’annoncer que Kamel s’est inscrit à l’examen du code de la route, que Nabil a commencé la vente de miel et de produits cosmétiques avec sa femme, que Radouane a créé son entreprise et que Léon a pu retourner en Guyane rendre visite à sa famille ! » Tous se retournent vers leurs voisins pour les féliciter. Le repas peut se poursuivre dans la bonne humeur, et seuls quelques regards furtifs jetés sur l’horloge des portables rappellent une réalité que les « wakeurs » n’oublient pas. Mais dans quelques jours aura lieu un autre rendez-vous mensuel : le Wake up Planète. Moment d’écoute animé par une salariée et un ancien détenu pour aborder les difficultés vécues et bénéficier de l’expérience de ceux qui ont pu passer par-là.

Notes

(1) Tous les prénoms ont été modifiés.

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