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Ressources humaines : l’intérim, une solution « pansement » nécessaire

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Crédit photo Loic Venance/ AFP
Dans le secteur social et médico-social, recourir à des travailleurs intérimaires n’est pas nouveau. Mais ce type de recrutement s’est accentué avec la crise de la Covid-19. Solution temporaire et coûteuse, le travail en intérim pose de nouveaux enjeux pour le management des équipes.

Le recours aux travailleurs intérimaires ? « On ne peut s’en dispenser », tranche Laurence Lecomte, directrice régionale Ile-de-France de l’association APF France handicap. En mars 2021, selon une étude menée au sein de l’association, sur les 2 000 emplois de titulaires que compte le territoire, 89 demeuraient vacants et ont été occupés le plus souvent par des intérimaires. « Il s’agit surtout de métiers liés aux soins : des postes d’infirmières ou d’aide-soignants. Parfois aussi des emplois de travailleurs sociaux, mais on préfère éviter l’intérim pour ces postes. » Un constat que partage Thomas Routier, directeur de la maison d’accueil spécialisée (MAS) La Gerlotte, à Marcq-en-Barœul (Nord) et membre du Groupement des associations partenaires d’action sociale (Gapas). « Nous devons fréquemment pallier des absences courtes, notamment des arrêts maladie. Dans ces cas-là, nous recourons à l’intérim. »

Ces contrats sont considérés comme « la dernière des solutions », remarque Louisa Tlilane, adjointe à la direction du pôle « affaires sociales » de Nexem(1) en charge du service RH : « Nos adhérents privilégient les voies de recours internes du fait des coûts plus élevés de l’intérim. » Plusieurs acteurs interrogés estiment qu’un contrat intérimaire représente financièrement le double d’un contrat à durée déterminée (CDD), en incluant les charges patronales et les tarifs de l’agence d’intérim. Mais le recours aux agences permet de déléguer la charge de travail administratif du recrutement.

De nombreuses structures préfèrent favoriser les CDD, en créant des pools de travailleurs temporaires. Mais les difficultés de recrutement dans le secteur sont telles que l’intérimaire vient « comme une solution pansement, regrette Laurence Lecomte. Avec les conditions de travail difficiles et de faibles rémunérations, les métiers du médico-social attirent peu et l’on constate une vraie pénurie sur le marché du travail. »

Apparition de coopératives d’intérêt collectif

Les besoins ont été renforcés par la crise sanitaire. Mais cette même crise complique l’évaluation du nombre d’intérimaires : « On manque de chiffres et de recul car la pandémie a bouleversé cette tendance », analyse Thomas Routier. Il a fallu remplacer les personnes testées positives et les cas contact. « Dans environ cinq ans, nous verrons les tendances économiques conséquentes du Covid, prévoit Laurence Lecomte. Mais force est de constater que le recours aux travailleurs intérimaires, que l’on utilisait depuis quelques années, s’est fortement accéléré durant cette période. » Cette tendance n’est pas nouvelle, remarque toutefois Charlène Charles, ancienne éducatrice spécialisée devenue sociologue. Elle a étudié le travail social en intérim au sein de la protection de l’enfance. « Dès 2013, des agences spécifiques dans les secteurs du social et du médico-social ont vu le jour. C’était une niche avec une forte demande et peu de concurrence entre les agences, à l’inverse du BTP, par exemple. »

Les choses ont singulièrement évolué depuis. Thomas Routier travaille avec sept agences différentes, de grosses entreprises et d’autres plus petites et territorialisées. Ces dernières sont très appréciées dans le secteur car « elles connaissent bien notre structure et nos besoins », souligne le directeur de la MAS. « Les échanges sont plus faciles : lorsque nous avons été très satisfaits d’un travailleur, que ce soit le retour des équipes ou celui des résidents, nous leur disons et elles essaient de nous le renvoyer par la suite. » Autre nouveauté : depuis quelques années, des directeurs de structures créent leurs propres agences d’intérim sous forme de coopératives d’intérêt collectif (SCIC). C’est le cas de Médirim SCIC, fondée en 2019 par cinq directeurs d’établissements et services sociaux et médico-sociaux de la Loire et du Lyonnais, qui ont décidé de mutualiser leurs effectifs d’intérimaires. « Notre agence est à but non lucratif. Nous travaillons aujourd’hui avec une quarantaine d’établissements », souligne Twinkie Vandergheynst-Thon, sa chargée de recrutement. Ainsi, les coopérateurs ont choisi de fixer le coefficient de facturation, c’est-à-dire la rémunération propre à l’agence, à 1,90(2). Ils peuvent également, si les besoins sur tel ou tel poste sont plus importants, augmenter le taux horaire, détaille-t-elle. Du côté de Nexem, « nos adhérents apprécient ces structures qui connaissent très bien le secteur, et donc les besoins qui lui sont propres, remarque Louisa Tlilane. Par exemple, leur travail important de sourcing des candidats pertinents soulage et rassure les établissements. »

Parce que l’intérim répond à des demandes urgentes, les missions s’exercent le plus souvent sur de courtes durées, souvent moins d’une semaine. De fait, l’intégration de ces nouveaux travailleurs pour un jour ou deux peut interroger les équipes titulaires. Si le plus souvent les intérimaires présentent une capacité d’adaptation importante, les structures prévoient un accompagnement. A la MAS La Grelotte, des fiches de journée-type leur sont distribuées. « Souvent, ils travaillent en binôme pour leur première journée chez nous, explique Thomas Routier. Il est important de les accompagner au mieux, mais parfois cela représente une charge de travail supplémentaire pour nos titulaires. » Un surcroît d’activité qui s’apparente à un investissement puisque, lorsque l’intérimaire revient dans l’établissement, il est déjà formé au fonctionnement. D’où l’enjeu, selon le directeur, de fidéliser ses intérimaires lorsque les retours des résidents et des équipes sont favorables : « Ce ne sont pas juste des bras. » Pour ce faire, il mise sur les conditions de travail dans sa structure, l’ambiance au sein des équipes et la diversité des missions possibles.

Entre charge de travail et investissement

Mais, là encore, la fidélisation des travailleurs intérimaires ressemble à une « solution pansement » face aux problèmes de recrutement du secteur social et médico-social. « Sans les travailleurs intérimaires, l’accompagnement de nos résidents serait dégradé. Donc il ne nous paraît pas pertinent de faire de fausses économies sur l’intérim, analyse Thomas Routier. Mais sur le long terme, nous prévoyons un plan de recrutement pour éviter le recours à cette mesure d’urgence. » Parmi les pistes de réflexion, celle du développement de l’alternance revient le plus souvent. « Adecco Service envisage d’augmenter le recours aux validations des acquis de l’expérience. Il s’agit de recruter et de former des personnes non qualifiées pour qu’après elles rejoignent les structures, illustre Louisa Tlilane, de Nexem. De telles initiatives existent déjà dans le cadre des groupements d’employeurs. » Mais, plus que l’apprentissage, c’est une meilleure attractivité de ces métiers qui permettra de recruter au sein de ces structures, estiment les acteurs.

Un choix pour les jeunes professionnels

Le travail en intérim apparaît marginal dans le secteur social, ne concernant que 4 % des diplômés ces dernières années. Mais de plus en plus de jeunes adoptent ce choix. Comme Lisa, 25 ans, éducatrice spécialisée dans le Nord. « J’ai commencé les missions en intérim durant mes études pour financer mon appartement. Lorsque j’ai été diplômée, j’ai continué. Certains mois, je gagne presque 3 500 €, bien plus que ce que je peux espérer pour un CDI [contrat à durée indéterminée] ! Bien sûr, je travaille alors énormément. Mais cela me permet de mettre de côté pour les vacances. » La jeune femme apprécie la flexibilité de son emploi du temps. « Prendre souvent des week-ends de trois jours, rendre visite à mes parents de manière improvisée ou décider de partir en septembre serait bien plus difficile à mettre en place si j’occupais un poste en CDI. En étant intérimaire, je me sens maîtresse de mon emploi du temps, libre de m’organiser. » Cette liberté plaît à d’autres jeunes professionnels : « Les intérimaires que l’on embauche ont souvent moins de 30 ans, remarque Laurence Lecomte, d’APF France handicap. Et même lorsque cela se passe bien au sein de nos structures, ils refusent de travailler en CDI. » Lisa n’est pas pressée de signer un de ces contrats : « J’aime changer souvent d’établissement et de mission, argue la jeune fille, confiante. Et le marché du travail est tel que je sais que, si un jour j’en ai besoin, je trouverai un poste de titulaire sans trop de soucis. »

Notes

(1) Organisation professionnelle des employeurs associatifs du secteur social, médico-social et sanitaire, issue de la fusion de la Fegapei et du Syneas.

(2) Spécifique à l’intérimaire, ce coefficient prend en compte les coûts du recrutement de l’agence. Il s’agit du taux par lequel est multiplié le salaire horaire de l’intérimaire pour déterminer le coût final facturé à la structure utilisatrice. En moyenne, il varie de 1,75 à 2,6, selon la marge commerciale de l’agence, les qualifications demandées pour le poste, le territoire…

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