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Insertion par l’activité économique et sécurité des salariés : l’hypervigilance est de mise

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Photo d'illustration.

Crédit photo Benjamin Mengelle / Hans Lucas via AFP
Permettre le retour à l’emploi, voilà le cœur de métier de l’insertion par l’activité économique et du secteur adapté et protégé. Derrière cette mission fondamentale se cache l’impératif, à la fois exigeant et compliqué, d’assurer la santé et la sécurité des salariés en insertion, et des professionnels qui les accompagnent.

Côté pile, un site Internet vend « livres rares » et « belles reliures » ; côté face, des ouvrages prêts à l’expédition, préparés par des petites mains. Ce schéma bien connu du e-commerce gagne aujourd’hui l’insertion par l’activité économique (IAE). A Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), huit salariés en insertion font tourner l’entrepôt logistique du label « Emmaüs », qui regroupe les ouvrages invendus, issus des ressourceries franciliennes appartenant au mouvement. Conseillère en insertion professionnelle et chargée des ressources humaines du site, Agathe Jouanneau sait que « les risques dans la logistique peuvent s’avérer plus importants que dans d’autres activités ». D’où le soin apporté, peu après l’ouverture de l’entrepôt en 2018, à l’identification des risques professionnels et à l’organisation du travail, avec l’appui des services de santé au travail.

Au-delà de l’obligation incombant à tout employeur, protéger la santé et la sécurité des publics éloignés de l’emploi ou handicapés relève du bon sens pour les acteurs chargés de leur insertion professionnelle. Pourtant, selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (Igas) publié en 2016, la fréquence des accidents du travail est supérieure à la moyenne dans les entreprises adaptées (54,2 accidents pour 1 000 salariés) qui emploient des personnes handicapées. Même constat pour les établissements et services d’aide par le travail : 48,6 accidents pour 1 000 usagers en 2019 contre une moyenne, tous secteurs confondus, de 32,5, selon la Caisse nationale d’assurance maladie. Difficile, en revanche, de trouver ces taux pour le secteur de l’insertion. Les supports d’activité y sont multiples : entretien d’espaces verts, nettoyage, propreté, construction, services à la personne… « On a quand même des métiers manuels, avec des personnes venant d’horizons divers, donc on peut imaginer un risque spécifique », réagit Alexandre Wolff, directeur du réseau Chantier Ecole, qui regroupe en particulier des ateliers et chantiers d’insertion (ACI). Risque qu’il estime, toutefois, contrebalancé par l’accompagnement des encadrants.

Le profil des personnes en emploi joue aussi un rôle dans ces statistiques. « Quand les salariés arrivent dans nos entreprises, leur santé peut se dégrader sans que cela n’ait de lien avec les conditions de travail », observe Sébastien Citerne, délégué général de l’Union nationale des entreprises adaptées. Ces structures, qui accueillent de surcroît des salariés plus âgés, se retrouvent confrontées à de coûteuses procédures en reconnaissance de maladies professionnelles. Du côté de l’IAE, c’est le risque d’accident du travail qui domine davantage, en raison de la durée des contrats d’insertion, en général limitée à deux ans. « Le simple fait d’avoir été inactif et de reprendre un rythme peut engendrer des difficultés d’un point de vue musculaire. Les traumatismes sont très souvent déclenchés par un historique professionnel », fait remarquer Renaud Chenon, directeur d’Isa Groupe (580 salariés en insertion), basé à Aubigny-sur-Nère (Cher).

Pédagogie et sanction

D’où la nécessité de peaufiner les conditions de travail, de répéter et de faire respecter les règles de sécurité au quotidien. Pas facile en raison du turn-over des salariés en insertion. « Il faut régulièrement remettre sur l’établi les gestes et les postures à respecter, l’équipement mis à disposition. Cela demande beaucoup de pédagogie. Parfois de la sanction aussi », selon Vincent Baralle, directeur de la ressourcerie Artois Insertion Ressources (150 salariés en insertion, 18 permanents). Face aux « accidents récurrents » liés au port de charges, Oser Forêt Vivante (120 salariés en insertion, 22 permanents), implantée à Rezé (Loire-Atlantique), assure une formation de prévention des risques physiques menée par des kinésithérapeutes. « Mais on aura beau mettre en place une foule de consignes, on ne maîtrisera pas tout », déplore sa directrice, Pascale Boullier. A cela s’ajoute l’évolution récente des publics suivis. La structure, qui compte cinq ACI ainsi qu’une association intermédiaire, accueille actuellement 66 % de migrants, d’une vingtaine de nationalités. « On se retrouve très démunis sur la compréhension des consignes », regrette-t-elle. Or c’est là une source de « danger », tant physique que psychologique.

Autre dimension : les troubles psychiques. Des crises peuvent survenir à l’occasion d’une prise insuffisante ou excessive de médicaments. « Souvent, les encadrants sont démunis » face aux troubles du comportement liés à une consommation de substances psychotropes, constate enfin Sylvie Perhirin, chargée de prévention et de formation à Addictions France, en Bretagne. Pour lever les tabous autour de ce sujet, l’association anime des ateliers, tant à destination des encadrants que pour libérer la parole auprès des salariés en insertion. Objectif : déminer un sujet sensible et enclencher une démarche de réduction des risques en lien avec le poste de travail.

Il n’empêche que la prévention, parce qu’elle nécessite d’agir tous azimuts, demeure parfois vécue comme une contrainte pour des structures qui tournent « pour beaucoup en mode survie », selon Natacha Maï Vinatier, formatrice en prévention des risques professionnels. Une situation propice à négliger la réflexion sur l’amélioration des conditions de travail, avec l’a priori que celle-ci est forcément coûteuse. Les difficultés économiques peuvent aussi conduire à accepter « les derniers chantiers dont les entrepreneurs et les artisans ne veulent pas » dans des conditions parfois accidentogènes, selon cette professionnelle. Renoncer ou limiter des projets en raison des risques qu’ils pourraient occasionner relève alors de la responsabilité des acteurs. Chez Isa Groupe, l’activité de lavage de véhicules sans eau, par frottement à la microfibre, est limitée en intensité.

Un autre élément générateur de risques concerne les activités de mise à disposition chez un client, via l’intérim d’insertion ou les associations intermédiaires. La question se posera désormais aussi pour les entreprises adaptées, autorisées par la loi « avenir professionnel » du 5 septembre 2018 à expérimenter le travail temporaire. Car en multipliant le nombre de missions et de situations de travail, les probabilités d’accidents augmentent. « Les structures prêteuses ont seulement l’obligation de procéder à la formation à la sécurité. Cet enseignement est assez minimaliste », note Fanny Charbonnel, juriste au sein du réseau national de l’économie sociale et solidaire Coorace. Pour anticiper les difficultés, elles accompagnent leurs salariés en amont ou lors de la première heure de leur mission. Elles veulent aussi se montrer à l’écoute en cas d’« alerte ». « Dans les activités de ménage, celles qui se sont rendu compte d’agressions ont mis en place un numéro accessible 24 heures sur 24 », ajoute sa consœur Aude Morsaniga.

Dialogue quotidien

Pour muscler la prévention, les structures s’appuient sur les démarches de qualité, souligne Olivier Dupuis, secrétaire général de la Fédération des entreprises d’insertion. Dans le cadre de l’intérim, « si on remarque une accidentologie importante, on va voir le client », signale Renaud Chenon, d’Isa Groupe, qui compte un poste entièrement dédié à l’analyse des causes d’accidents. Face à la progression du travail temporaire d’insertion attendue par le gouvernement dans le cadre du « Pacte d’ambition pour l’IAE » de septembre 2019, l’entreprise de travail temporaire d’insertion Janus recrute un animateur « qualité, sécurité, environnement » à temps plein « pour agir sur le maintien des normes et surtout pour pouvoir travailler de manière intensive avec les agences », illustre Angélique Becquet, directrice adjointe de cette filiale du groupe Vitamine T. Du côté de l’entreprise adaptée Cèdre, spécialisée dans le tri et le recyclage, « on a signé avec le CSE [comité social et économique] un accord d’intéressement dont l’un des critères tient à la baisse du nombre d’accidents du travail », explique son président Jérôme Boillot. Le directeur de la qualité et de la formation, qui a été formé à la prévention des risques liés à l’activité physique, a par ailleurs « droit de regard et de décision » à l’échelle du comité de direction.

« L’enjeu majeur est de garantir une communication autour de la santé et la sécurité au travail. Dès lors qu’un événement va bouleverser l’organisation collective sans même aller jusqu’à l’accident, son devoir est de récupérer les informations et de les analyser collectivement », insiste Emmanuel de Joantho, membre du bureau du Synesi (Syndicat national des employeurs spécifiques d’insertion). Pour faciliter ce dialogue, la jeune branche professionnelle a instauré, pour les ACI de moins de 50 équivalents temps plein, l’instance de santé et conditions de travail (ISCT). Sa vocation : incarner la représentation des salariés en insertion, qui échappe au CSE en raison du turn-over naturel de ces publics. Une démarche exigeante. En témoigne Oser Forêt Vivante, qui a instauré les « délégués d’atelier ». Si l’instance permet aux salariés en insertion, selon la coordinatrice de projet Hélène Marsot, « d’exprimer des problèmes sans le filtre des encadrants », la structure d’insertion constate malgré tout, au quotidien, la difficulté à enrichir le contenu de ces réunions.

Mal-être chez les encadrants

La prévention des risques psychosociaux figure à l’agenda de certaines structures d’insertion qui constatent un mal-être croissant… de leurs encadrants, confrontés aux injonctions paradoxales des financeurs et à une surcharge de travail, faute d’appui suffisant. « Il peut y avoir du burn-out ou de la lassitude du côté des permanents, avec des effets sur les parcours en insertion », constate Sophie Le Chat, chargée de mission « emploi IAE » à la Fédération des acteurs de la solidarité, qui vient de mettre en place des formations sur la qualité de vie au travail à destination de ses adhérents.


Prévention des risques

Triéthic, l’entreprise adaptée sans accident

Quand il crée sa structure de « réinsertion des grands seniors » en 2010, Franck Binoche possède déjà une solide expérience. Aujourd’hui président de Triéthic, une entreprise adaptée basée à Nanterre (Hauts-de-Seine), spécialisée dans le recyclage de déchets tertiaires pour les entreprises, il a déjà exercé en tant que directeur des ressources humaines dans un groupe de propreté qui comptait deux entreprises adaptées. Conscient des risques professionnels associés à cette activité, il veille d’entrée de jeu à éviter certains pièges. « L’erreur courante est d’avoir des métiers postés, qui n’alternent aucune fonction. A force de répéter, on ne fait plus attention », explique l’entrepreneur. Chez Triéthic, qui compte 13 salariés dont 9 en production, « la personne qui conduit le matin trie l’après-midi ». De quoi éviter aussi la « répétition des gestes ».

Plus de dix ans après le démarrage de son activité, Franck Binoche revendique « zéro accident » du travail. C’est le résultat d’efforts conséquents concentrés sur la formation. Triéthic intègre ses salariés à travers le contrat de professionnalisation, d’une durée de six mois. Construite sur mesure et d’une durée pouvant aller jusqu’à 350 heures, cette formation permet de se concentrer sur la sécurité, qui peut occuper jusqu’à 90 heures. Sur les gestes et postures, « il faut être répétitif, estime Franck Binoche, car il y a une multitude de situations possibles qu’il faut travailler », de la sécurité au niveau du tri, du chargement des déchets, en passant par la conduite. Avec un fil rouge : « Faire comprendre au salarié que son corps, c’est la priorité. Il ne doit absolument jamais se mettre en danger ou exercer une pression ou une posture inadaptée qui causera une douleur. » Franck Binoche veille ainsi à la clarté du message. « La première chose que je leur dis, c’est que leur squelette doit rester droit. En tri, on a tendance à ne tourner que la partie supérieure du corps. On peut se prendre un lumbago tout de suite. »

Assurer de bonnes conditions de travail à ses salariés passe, enfin, par une sélection des clients, tant au niveau des tarifs que des conditions dans lesquelles les salariés de Triéthic iront collecter les déchets. D’où l’importance d’une connaissance des conditions réelles du travail. « On a déjà refusé d’aller débarrasser des caves, parce qu’on se rend compte que les conditions sont très difficiles et très dangereuses. On ne peut pas tout accepter. »

 

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