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Ressources humaines : la gestion des plannings, un casse-tête permanent

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Hospital

Photo d'illustration.

Crédit photo BURGER / Phanie / Phanie via AFP
Veiller au respect des droits relatifs à la durée du travail et des congés constitue une préoccupation constante des cadres chargés des plannings. Mais face aux exigences de continuité de service, l’exercice peut se révéler complexe.

« Un véritable casse-tête » : Voilà l’expression d’une Uriopss (union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux) pour introduire l’une de ses formations sur l’aménagement du temps de travail. En première ligne sur ce sujet, les cadres qui organisent les plannings parlent volontiers d’« usine à gaz » ou du moins d’une tâche « chronophage ». « Quand on aborde la question des plannings, on touche à la vie des salariés, soit le nerf de la guerre », convient Lionel Jary, consultant au cabinet Abaq Conseil en management. Cette organisation des jours et horaires de travail des salariés se veut le résultat de trois « cercles » pas forcément simples à concilier : la qualité de vie au travail, celle de l’accompagnement ainsi que les marges de manœuvre budgétaires.

Congés payés, jours de repos, récupérations et autres absences imprévues créent des besoins de remplacements fréquents, difficiles à absorber en interne quand les établissements doivent fonctionner en continu. « Ce qui est compliqué, ce sont surtout les urgences, la gestion des aléas, réagit Marie-Pierre Murot, directrice des ressources humaines (DRH) de la Fondation Erik et Odette Bocké (425 salariés), qui gère onze établissements pour personnes âgées dépendantes. Comme les autres établissements, nous sommes confrontés à des arrêts maladie et plus rarement à des accidents du travail. La charge de travail et l’obligation d’assurer la continuité de service auprès des résidents nécessitent de revoir les plannings. Les directions d’établissements ont alors à cœur de remplacer dès la première journée, car ils savent que c’est une attente forte des équipes. » Autre difficulté récurrente : « L’été, il y a beaucoup de départs à pallier en même temps, pour lesquels il faut trouver des remplaçants. Le risque d’une qualité moindre ainsi que d’une surcharge pour les titulaires apparaît alors », remarque Philippe Lenglet, directeur de la Résidence des Deux Vallées située à Nant (Aveyron).

Dans les structures de protection de l’enfance ou d’accueil de personnes handicapées, s’ajoute aussi, dans certains cas, la question des congés trimestriels. La convention collective de 1966 accorde en effet aux salariés intervenant dans le secteur de l’enfance, selon les cas, de 9 à 24 jours de congés trimestriels. A condition d’une prime décentralisée ramenée à 3 %, la convention collective de 1951 accorde un avantage similaire aux établissements spécialisés dans le handicap, secteur adulte compris, soit un total de 18 jours ouvrables à prendre sur trois trimestres pour les personnels éducatifs et de 9 jours pour les autres catégories de personnels. Certains accords collectifs prévoient en outre des congés extraconventionnels destinés à égaliser ces avantages ou à compenser la pénibilité des métiers.

De fait, « tous les mois, ma dernière semaine est consacrée à la saisie des demandes d’absence et à la préparation des remplacements », décrit Caroline Azémar, adjointe de direction au foyer d’accueil spécialisé André Billoux à Sérénac (Tarn). L’objectif est de maintenir un taux d’encadrement de deux éducateurs pour dix résidents. « Ne pas remplacer exposerait l’institution à d’autres problématiques » et « viendrait déstabiliser » les autres unités de vie. Des remplacements qui se font « au détriment de la qualité de l’accompagnement », poursuit Caroline Azémar qui entrevoit une option à cette problématique : le recrutement d’une équipe complète de remplaçants en contrat à durée indéterminée. Un signe de la récurrence des besoins en effectifs dans ces établissements en recherche de stabilité. Cependant, « il faudrait que ces professionnels s’engagent à une polyvalence, sans s’épuiser ».

Problèmes budgétaires

Encore faut-il disposer de budgets pour assurer remplacements ou heures supplémentaires, qui ne sont pas toujours prévus dans les accords conclus avec les financeurs. Pour dégager de telles ressources, différentes stratégies sont possibles. « On compense par la bonne gestion des autres postes de dépense, comme les achats, la consommation de fluides, les modes de construction », décrit Marie-Pierre Murot, de la Fondation Bocké. La DRH mise aussi sur la diminution du nombre d’absents. « En renforçant notre politique de prévention des risques, nous avons baissé de 16 % le nombre d’accidents du travail. »

Cela reste parfois insuffisant et les organisations se voient alors contraintes à des formes de bricolage. Regrettant l’absence de soutien des tutelles pour financer les remplacements des congés trimestriels, Karim Karaoui, directeur d’une maison d’enfants à caractère social (Mecs) à Saint-Jean-le-Blanc (Loiret), mise sur la surcapacité. « Je vais accueillir plus de jeunes que les 33 prévus dans mon autorisation. Ces prix de journée supplémentaires dégagent des excédents qui me permettent de financer des remplacements », explique-t-il. S’il admet que « mettre 14 ou 15 jeunes au lieu de 12 dégrade la qualité du travail », il s’agit selon lui du prix à payer pour permettre aux éducateurs de « souffler » à l’occasion des repos bien mérités apportés par les congés trimestriels. En l’absence de ces prises en charge supplémentaires – à la main du département –, « soit je remplace a minima, soit je ne remplace pas du tout, confie ce directeur, dont la Mecs relève du Groupe SOS(1). Je suis alors obligé de laisser seulement un éducateur le matin et un le soir pour 12 jeunes. Dans ces conditions, on ne propose pas de travail éducatif mais de la surveillance. »

Anticipation et annualisation

Selon Lionel Jary, certains établissements se retrouvent structurellement en difficulté faute d’avoir sanctuarisé un budget dédié aux remplacements. L’erreur consiste souvent à consacrer la quasi-totalité de leur budget aux postes en place, plutôt que de réfléchir à une organisation alternative qui mette de côté de telles ressources. Et pour cause : cela suppose de « ne pas avoir le même nombre de professionnels ». Avec à la clé une certaine intensification du travail qui prend différentes voies : mutualisation de personnels entre plusieurs unités, travail en 10 heures, voire en 12 heures, optimisation des horaires afin de chasser les temps de présence jugés superflus… De quoi déstabiliser des équilibres précaires qui se sont construits avec le temps dans le secteur, qui a beaucoup misé sur sa souplesse au niveau de la conciliation entre la vie privée et la vie professionnelle et l’attribution de congés pour compenser la modération salariale comme la pénibilité des métiers.

Pour gérer les départs en congés sans que les institutions ne se vident toutes au même moment, Karim Karaoui confirme la nécessité d’adopter une « organisation millimétrée ». « Il faut anticiper au maximum », confirme Myriam Viala, directrice générale de l’Adapei (Association départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales) du Puy-de-Dôme (65 établissements et services, 1 000 salariés). Pour limiter les remplacements lors des congés, un accord collectif conclu en février 2021 prévoit que les salariés déterminent dès la fin d’année les congés devant être pris les douze mois suivants. De quoi, espère sa directrice générale, remédier à « ces phénomènes où on se retrouve avec plus personne et des remplacements à tour de bras ». « Anticiper la pose des congés va permettre d’organiser nos équipes de manière différente », renchérit le DRH, Ludovic Sauvanet.

Reste à gérer les absences non programmées. Les remplacements au débotté font grimper des compteurs d’heures parfois difficiles à rattraper par la suite. Par ailleurs, les conventions collectives fixent à sept ou trois jours (en cas d’urgence) le délai de prévenance en cas de modification de planning. « Dans le code du travail, il n’existe pas de délais de prévenance spéciaux pour le médico-social, mais on peut réduire ceux de droit commun par accord d’entreprise », observe l’avocat Louis-Philippe Bichon. C’est l’option choisie par l’Apajh (Association pour adultes et jeunes handicapés) de l’Aude, où un accord collectif, signé fin 2020, permet de modifier les emplois du temps moins de trois jours à l’avance. Des contreparties ont été négociées pour ces remplacements soudains. « On a indiqué que les dix premières heures qui seraient affectées au remplacement d’un collègue absent seraient payées en heures supplémentaires avec majoration. Cela évite un remplacement en CDD et en intérim, et le salarié peut s’y retrouver », explique Bruno Rondet, de l’Apajh de l’Aude. A l’Adapei du Puy-de-Dôme, le délai de prévenance a été réduit à deux jours en cas d’urgence, mais à 14 jours concernant les changements de calendrier pour prévenir l’ultra-flexibilité.

Un sujet de tensions

L’annualisation, enfin, vient compléter la boîte à outils des établissements. « Dans sa version pure, l’annualisation permet aux employeurs d’avoir davantage la main sur les plannings, là où des accords de réduction du temps de travail [RTT] d’avant 2008 permettaient aux salariés de disposer plus librement de leurs jours, ce qui n’arrange pas forcément les employeurs », explique Louis-Philippe Bichon. Mais en l’absence de jours de RTT, la formule peut toutefois s’avérer avantageuse pour les salariés « qui peuvent alors s’aménager des plages de temps libre dans la même logique que les RTT, ou bien des remplacements moins fréquents le week-end ». Reste à convaincre des organisations syndicales parfois méfiantes. Pour Julie Massieu, négociatrice CGT dans la branche des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif, elle suscite des craintes « de se retrouver sans périodes de travail et d’être rappelé uniquement en fonction des besoins ». Selon elle, l’annualisation n’est ni plus ni moins qu’une manière de « gérer le planning au fur et à mesure des aléas », faute d’effectifs suffisants qui auraient pu permettre d’assurer des roulements avec moins de difficultés.


Coopérative de travail temporaire
Une agence de remplaçants

Certaines associations y songent. Mutualiser la fonction de recrutement de remplaçants spécialisés dans le médico-social, c’est le principe des coopératives Medicoop. Six associations issues des différents champs du social et du médico-social (grand âge, handicap, protection de l’enfance) ont décidé de s’approprier ce concept qui existe dans d’autres territoires français, en créant leur propre structure dans le Puy-de-Dôme en 2018. « On met en commun nos pools pour étendre les possibilités de remplacement au sein des associations », explique Ludovic Sauvanet, DRH de l’Adapei 63 et président de cette agence d’intérim qui prend la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif. La formule ouvre davantage d’opportunités pour les employeurs : mutualiser les remplacements lève les craintes des intérimaires d’être exclus d’une équipe de remplacement en cas de contrat dans une autre structure. Globalement, l’agence d’intérim conclut entre 4 500 et 5 000 contrats à durée déterminée (CDD) tous les mois. Elle compte un responsable d’agence ainsi que cinq chargés de recrutement.

L’Adapei 63 (1 000 salariés, 65 établissements et services), qui signait « entre 14 000 et 15 000 CDD à l’année », externalise ainsi cette tâche répétitive et chronophage, de la recherche de remplaçants à la conclusion des contrats, soulageant les chefs de service et les cadres de proximité. Elle met aussi en avant un coût équivalent à l’emploi direct de remplaçants. Les établissements médicalisés ouverts 365 jours par an, en particulier, emploient davantage ces intérimaires : professionnels du médical, éducateurs spécialisés, accompagnants éducatifs et sociaux… L’agence permet de pallier les absences, quand les budgets sont disponibles. Le « gain phénoménal en flux de gestion » observé pour les administratifs se répercute aussi d’une autre manière sur les personnels éducatifs, qui passent moins de temps à former et reformer les nouvelles recrues puisque les allers-retours des mêmes personnes deviennent plus fréquents. « Cela peut représenter facilement 10 à 15 jours de travail libéré à l’année, qui sera davantage dirigé vers l’accompagnement des personnes handicapées », avance Ludovic Sauvanet. Le DRH admet en revanche que le système n’offre pas forcément davantage de marge de manœuvre dans l’organisation des congés des titulaires : « Même si on inscrit les personnes dans des pools, elles peuvent changer d’avis du jour au lendemain. » D’où l’importance de soigner l’accueil et l’intégration de ces profils pour éviter des déconvenues.

 

 

Notes

(1) Sur le Groupe SOS, voir ASH n° 3209 du 14-05-21, p. 6.

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