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Elus bénévoles : un besoin de professionnalisation

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Crédit photo CAIA Image/Science Photo Library
Face à l’accélération des évolutions du secteur social et médico-social, les directions comptent sur leur conseil d’administration pour prendre les bonnes décisions. Cela implique d’assurer la montée en compétences de leurs administrateurs. Un sujet encore négligé.

En 2016, l’organisation patronale Nexem comptait près de 94 000 administrateurs parmi ses adhérents du secteur social, médico-social et sanitaire. Bien qu’éclipsés par les quelque 785 000 salariés que compte ce champ associatif non lucratif, ces bénévoles assurent une fonction clé. Elus par l’assemblée générale et dotés d’un bureau qui gère les affaires courantes, ils prennent les décisions, chapeautés par leur président. « Nous sommes des patrons de PME. Les administrateurs en sont de plus en plus conscients », illustre Jean-Marie Poujol, président du Comité départemental de sauvegarde de l’enfant à l’adulte de l’Essonne. Dès lors, le profil des administrateurs ne doit pas être laissé au hasard. « Quand il faut transformer une organisation, fermer un établissement ou service, se pose la question de leur responsabilité. Ces élus ont alors des choix politiques à faire et une fonction d’employeur à tenir », expose François Noble, chargé de mission à l’Andesi (Association nationale des cadres du social).

S’il constate, ces vingt dernières années, une tendance des conseils d’administration à vouloir reprendre du pouvoir dans des structures jusqu’alors dominées par les directions salariées, François Noble note que « l’activité des dirigeants bénévoles repose souvent sur un petit noyau composé du président et de quelques membres du bureau ». En cause : la difficulté des administrateurs à trouver leur place ou un déficit de motivation, voire de compétences. Formatrice et consultante spécialisée dans l’économie sociale et solidaire (ESS), Véronique Dor-Pessel dessine plusieurs profils : l’administrateur « gestionnaire » qui se focalise sur les budgets ; le « militant » qui se vit comme un « gardien des valeurs » ; le « technicien » qui maîtrise les réglementations et les problématiques des usagers, mais aussi l’administrateur de « réunions ». Si les trois premières catégories apportent chacune leur touche, le dernier profil pose problème. « Il est entré sur recommandation ou copinage, soit pour rendre service, soit pour ajouter cette fonction à sa carte de visite. Il est peu intéressé par les aspects gestionnaires ou de fond. Ces administrateurs ont été mis, ou se sont mis eux-mêmes, sur le bord du chemin de l’association », détaille la fondatrice du cabinet A + Conseil. Ce qui s’avère dommageable.

Manque d’acculturation

Pouvoir compter sur des administrateurs rompus aux enjeux financiers comme stratégiques compte en effet parmi les impératifs. « On a besoin d’intelligence collective pour avancer sur les sujets complexes. Si on se contente de gérer le quotidien, le risque est d’être avalé par d’autres structures », s’inquiète Hugues de Valonne, président de l’Alagh (Association lorraine d’aide aux personnes gravement handicapées) qui compte 240 salariés. « Avoir d’anciens professionnels à la retraite peut créer des difficultés. Susciter une évolution, changer les codes peut être plus compliqué quand le fonctionnement des administrateurs est guidé par l’absence de changement. Dans ce cas, les directeurs généraux doivent déployer dix fois plus d’énergie à convaincre et à fédérer autour d’un projet », lance Rebecca Bunlet, directrice de l’Uriopss (union régionale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux) Nouvelle-Aquitaine. Le danger est alors d’avoir des associations qui « n’innovent pas », abonde Déborah Beneult, référente « formation et qualité » de cette même l’Uriopss. « Les structures font part d’un manque d’acculturation de certains administrateurs à la vie associative, au contexte réglementaire. Certains ignorent ce qu’est l’inclusion sociale, par exemple, expose Véronique Dor-Pessel. S’il n’y a pas de travail de veille quotidien et de circulation de l’information, un décalage en termes d’expertise se crée forcément entre les professionnels et leurs directions. »

Pourtant, inciter les administrateurs à monter en compétences n’est pas toujours facile. Comparé aux besoins de formation des salariés, ce sujet – rarement évalué – n’apparaît pas comme une priorité. « La grande difficulté est de mobiliser les bénévoles », estime Déborah Beneult, de l’Uriopss Nouvelle-Aquitaine, où un projet de formations sous forme de séminaires est à l’étude. Et pour cause : « On forme à des sujets techniques, comme les projets associatifs, les risques, les responsabilités pénales et civiles… Tout ce qui est juridique et légal », enchaîne Catherine Humbert, de l’Uriopss Grand Est. La participation des administrateurs aux formations proposées par les fédérations professionnelles est inégale.

Pour trouver chaussure à son pied, plusieurs stratégies sont déployées. Ainsi le bénévolat de compétences permet-il de recruter des profils extérieurs correspondant aux attentes. Pour les trouver, l’association parisienne Passerelles et compétences a lancé le programme « Bénévolat de gouvernance ». « A l’échelle nationale, on a démarré une bonne centaine de missions sans démarches directes », indique Pierre Lalande, chargé du sujet en région Nouvelle-Aquitaine. Après avoir mené un diagnostic sur les besoins de compétences, cet ancien consultant en ressources humaines met en relation les structures et les candidats bénévoles.

Aux associations, Pierre Lalande recommande aussi d’activer les réseaux locaux, des militants associatifs aux personnels présents dans des instances telles que les départements. Une recette pas si novatrice au regard de la sociologie des administrateurs associatifs, où l’on trouve déjà, et depuis longtemps, des notables ou des personnes très diplômées : élus politiques, médecins, professeurs, cadres… « Les bénévoles administrateurs sont des professionnels confirmés, qui passent alors à un niveau plus politique. Leur parcours professionnel fait foi de leurs compétences », décrit Catherine Humbert, directrice de l’Uriopss Grand Est. Aujourd’hui, les profils des administrateurs reflètent aussi les fonctions classiques du monde de l’entreprise : ressources humaines, comptables, experts immobiliers… « Si on a besoin de compétences en droit, il vaut mieux que la personne soit juriste », illustre Hugues de Valonne, président de l’Alagh.

Impliquer les administrateurs

Toutefois, le besoin de formation des administrateurs se fait sentir tôt ou tard. Qu’ils aient été recrutés pour leurs compétences ou leur motivation. Ne serait-ce que pour bien saisir le sens et les valeurs portés par les associations. Cela suppose de concevoir des contenus maison. A l’Amicale du Nid, « pour les bénévoles, la première étape, c’est la connaissance du thème de la prostitution et de la loi. Il faut comprendre comment le sujet s’inscrit dans un continuum de violences faites aux femmes. Les comités territoriaux peuvent être l’occasion d’approfondir ces sujets », indique la présidente de l’association, Marie-Helène Franjou. L’association envisage d’étendre aux nouveaux adhérents sa formation à l’origine destinée aux salariés. De son côté, l’Apajh (Fédération des associations pour adultes et jeunes handicapés) organise depuis 2009 des séminaires de trois jours auxquels participent des bénévoles présents dans les conseils d’administration des associations départementales. Un dispositif financé en partie par l’Education nationale. « L’idée est de s’approprier les textes de loi ainsi que les orientations votées dans les congrès. On donne aux délégations les outils, comme des fiches pédagogiques ou des tutoriels, pour reproduire les formations auprès des militants départementaux qui n’étaient pas présents », explique le président fédéral, Jean-Louis Garcia. A cela s’ajoutent les formations ad hoc d’un ou deux jours, à destination des participants aux commissions d’accessibilité ou aux commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH).

Se former « sur le tas »

Pour les associations d’usagers, avoir des bénévoles compétents dans ce type d’instances, plurielles, s’avère stratégique. D’où une certaine propension à se former, en particulier dans le secteur du handicap. Au nom de la représentation des usagers, « les administrations choisissent des personnes assez manipulables », observe Bruno Quellec, responsable du service « accessibilité » de l’association IPIDV (Initiatives pour l’inclusion des déficients visuels), qui gère des services d’accompagnement d’enfants ou d’adultes malvoyants dans le Finistère. Avec son équipe, il répond aux questions des élus bénévoles et leur fournit l’importante réglementation pour maîtriser les incontournables de l’accessibilité du bâti, des accueils, des escaliers, des cheminements… « La capacité à prendre la parole et la confiance en soi passent par la connaissance », estime-t-il. « Bruno a un rôle de formateur, il nous réunit autour de certains thèmes pour nous permettre d’être plus à l’aise. Lorsque ma ville m’interpelle au sujet de l’accessibilité visuelle, je travaille en lien avec son service », ajoute Liliane Bescond, présidente de l’association qui compte 50 salariés.

A défaut d’élaborer des programmes de formation fournis, les associations misent beaucoup sur l’acquisition de compétences « sur le tas ». Pour favoriser ce processus, la coopération des directions est essentielle. « Au quotidien, la direction générale doit documenter le conseil d’administration sur les politiques publiques et les éléments techniques. Il lui incombe de donner l’étayage de compréhension et les outils pour les aider à se former », estime Sophie Péron, co-présidente du GNDA (Groupement national des directeurs généraux d’associations du secteur éducatif, social et médico-social). En tant que directrice de l’association Le Moulin Vert à Paris (1 200 salariés, 56 établissements et services), elle veille en conséquence à la simplicité des présentations. Membres du conseil de la vie sociale d’un établissement, les administrateurs participent aussi à des commissions thématiques : finance, développement, éthique… L’intérêt ? Sortir de leur domaine d’expertise pour avoir une vision transversale et éviter toute déconnexion avec le terrain.


Administrateurs bénévoles
Des lettres classiques à la comptabilité

 

Aujourd’hui retraitée, Hélène Dumas a fait carrière dans l’enseignement, dans les collèges et lycées. Agrégée de lettres classiques, elle s’est engagée dans l’association Agir pour le lien social et la citoyenneté (ALC) (plus de 400 salariés), en aidant des adolescents en difficultés scolaires. Un rôle qu’elle connaît par cœur, à l’inverse de la fonction d’administratrice qu’elle accepte à partir de 2007. « Cela m’a semblé très compliqué. J’ai mis au moins un an à décrypter tous les sigles du secteur de l’hébergement. Et trois ans à comprendre ma propre association ! » De séminaires en visites de services, elle découvre les savoirs ou compétences à maîtriser pour exercer ses nouvelles fonctions. La bénévole profite aussi des multiples occasions d’échange entre la gouvernance et les directions : en tant qu’administratrice, Hélène Dumas a par exemple été référente sur les projets d’établissement. « Pour peu qu’on soit engagé, on peut apprendre sur le tas », conclut-elle aujourd’hui.

« Du fait de mon métier et de ma culture, j’ai posé toutes les questions idiotes. Et j’ai identifié deux failles : la comptabilité et le management », analyse-t-elle. Déterminée à maîtriser ces sujets, davantage par nécessité que par goût personnel, elle profite de chaque opportunité de formation pour se perfectionner. Se cultiver sur le management à l’occasion du séminaire lui a permis d’adapter son ton aux interlocuteurs et au contexte, ce qui s’est révélé utile dans les échanges avec les professionnels. « J’ai étudié la comptabilité en suivant les formations proposées par la ville de Nice, que j’ai complétées en interne », pour la modique somme de 80 €. « Je veux comprendre de quoi on me parle », justifie-t-elle, surtout quand le budget global de la structure est de plus de 30 millions d’euros. Actuellement, Hélène Dumas planche sur le nouveau plan comptable des associations, qui s’applique depuis le 1er janvier 2020 et oblige à valoriser le bénévolat.

Présidente de l’association depuis 2015, Hélène Dumas mesure aussi l’importance du rôle politique des administrateurs. « Quand il a été question d’ouvrir des foyers pour les mineurs non accompagnés, les administrateurs étaient favorables au projet tandis que, en interne, il suscitait des réticences en raison du financement. On a joué notre rôle pour convaincre. Finalement, nous avons ouvert trois foyers. »

 

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