Les études en la matière sont éloquentes : la transparence représente plus que jamais un enjeu de taille dans un climat global de défiance des donateurs. D’après un rapport commandité en septembre 2020 par l’Observatoire du Don en confiance, organisme d’agrément des associations et fondations faisant appel à la générosité du public, 68 % des personnes interrogées identifient « le manque de confiance à l’égard de l’utilisation des fonds » comme principal frein au don. La « transparence financière » serait en outre le troisième plus important critère « pour inciter à donner », selon une étude pilotée en 2019 par le syndicat professionnel France générosités.
Ce manque de confiance du public a progressivement généré ces vingt dernières années une amplification des contrôles et la mise en place de réglementations plus strictes sur les organisations. Déjà dans le viseur de l’inspection générale des affaires sociales (Igas), les organismes bénéficiant de dons en provenance de particuliers ou d’entreprises sont également surveillés par la Cour des comptes, qui avait élargi ses compétences à la suite du scandale financier autour de l’Association pour la recherche sur le cancer (ARC) dans les années 1980-1990. Mais l’Igas et la Cour des comptes examinent cependant un nombre limité de structures, ciblant principalement les plus importantes. Pour les autres, les contrôles s’opèrent principalement via les commissaires aux comptes, dont la nomination est obligatoire dès lors qu’elles perçoivent des dons supérieurs à 153 000 €, mais aussi au travers de missions d’audit menées par les bailleurs de fonds et des fondations privées. Le projet de loi « confortant les principes républicains », débattu fin mars au Sénat, pourrait en outre étendre prochainement les procédures pilotées par l’administration fiscale.
Associations plus contrôlées que les entreprises
Résultat ? La surveillance pèse de plus en plus sur le secteur, selon Nolwenn Poupon, responsable du développement au sein de France générosités : « Chaque association qui lance un appel aux dons est beaucoup plus contrôlée qu’une entreprise ou qu’un citoyen lambda. Quand vous additionnez le nombre de contrôles, c’est assez impressionnant, déclare-t-elle. La transparence engendre des frais et de l’investissement souvent intégrés aux frais de fonctionnement. »
Alors, sous le regard scrutateur du grand public et face à des exigences légales accrues, nombre d’associations et de fondations doivent se réorganiser. Samuel Coppens, porte-parole et responsable des ressources, témoigne des transformations opérées par la fondation de l’Armée du Salut. Celle-ci a vu, au fil des années, la mise en place d’un comité d’audit mais aussi le développement de certains services, comme celui consacré à la qualité et à la gestion des risques. « Quand j’ai commencé à diriger des établissements, il y a 35 ans, nous n’avions pas ce genre de choses. Aujourd’hui, nous disposons d’une cartographie des risques qui mobilise du personnel et des compétences nouvelles. Ce service a été lancé il y a une douzaine d’années, mais n’avait pas du tout la performance qu’il a aujourd’hui. Il s’agissait à l’origine de contrôle interne, puis les auditeurs sont arrivés. »
Le département financier s’est lui aussi étoffé avec, en particulier, les besoins en contrôleurs de gestion. « Les sièges sont aujourd’hui plus importants que par le passé. Certes nous gérons plus d’établissements, mais vraisemblablement nous avons plus de personnes autour de toutes ces fonctions, déclare Samuel Coppens. Une association qui veut rendre compte en toute légalité a besoin de se structurer »Et parfois d’être accompagnée.
Experts indépendants et bénévoles
Certaines structures ont ainsi choisi de s’appuyer, pour les soutenir dans leur gestion, sur des comités d’experts indépendants et bénévoles. Mais dont le rôle demeure souvent consultatif. La Fondation Les Petits Frères des pauvres dispose ainsi d’un « comité des placements » qui émet des recommandations concernant l’allocation d’actifs. L’AFM-Téléthon a pour sa part instauré de longue date un comité financier : « Il donne un avis sur l’exécution budgétaire préalablement à l’arrêté des comptes. Si un projet représente un engagement financier important, il sera également consulté, non pas sur la pertinence du projet, mais sur les modalités d’engagement, explique Christian Cottet, directeur général de l’AFM-Téléthon. Le comité donne également son avis au fil de l’eau sur les placements de trésorerie. L’opération Téléthon, début décembre, se traduit par un afflux de disponibilités financières sur un temps très court et cet argent n’est pas utilisé dans les semaines qui suivent. Ces placements sont soumis à des règles parfaitement définies en interne : aucun risque et l’assurance de conserver une liquidité suffisante de façon à ce que l’argent reste disponible pour les projets à financer. »
Selon Philippe Peuch-Lestrade, associé au sein du cabinet Ernst &Young et membre du comité financier de l’AFM-Téléthon, les prérogatives de l’instance se sont peu à peu étendues, en concertation avec la direction, face aux besoins de bonne gouvernance. Aujourd’hui, le groupe d’experts se penche plus largement sur les réalisations, la comptabilité, le processus d’audit des commissaires aux comptes et l’audit interne. « La situation est stabilisée depuis cinq ans », assure-t-il.
Dans un tel contexte, le compte d’emploi des ressources (CER), annexé aux comptes annuels et tel que réclamé par les autorités, a été conçu pour garantir la transparence financière des organisations. Ce document, réputé complexe, détaillant l’utilisation des ressources collectées auprès du public, fait pourtant débat depuis plusieurs années. Dans un référé publié en 2015, la Cour des comptes soulignait qu’« en dépit de certains progrès », le CER demeurait « peu compréhensible pour un donateur non spécialiste », et que sa transparence restait « insuffisante ». Cinq ans plus tard, les organisations mettent à plat leurs résultats financiers pour répondre à la réforme du plan comptable et présenter cette année un compte d’emploi des ressources modifié ainsi qu’un nouveau « compte de résultat par origine et destination ». Mais, là encore, les personnes interrogées sont unanimes : ce plan comptable reste ardu et monopolise fortement les équipes. Thierry Robert, secrétaire général du Secours populaire, raconte : « Les services financiers sont très mobilisés. Sur certaines questions, il faut tout réécrire. Le travail est considérable. Pour éviter que notre effectif normal ne se retrouve engorgé, nous avons dû avoir recours à des apports supplémentaires. »
Montée en puissance des données extra-financières
Face à la complexité de ce compte d’emploi des ressources, l’AFM-Téléthon s’applique depuis plusieurs années à présenter ses données de manière plus pédagogique : « C’est aussi la raison pour laquelle beaucoup d’associations communiquent au-delà du CER, par des états financiers, des diagrammes, des camemberts, sur la répartition des fonds », indique-t-il. A l’instar de l’AFM-Téléthon, le Secours populaire a adapté sa communication pour répondre aux demandes de transparence financière sur le terrain : « Nous mettons en place des outils d’accompagnement qui permettent aux bénévoles de communiquer plus facilement auprès des donateurs, explique Thierry Robert. Nous sommes une association décentralisée avec près de 800 structures déclarées sur l’ensemble du territoire. Chacune se charge de rendre transparentes leurs activités. »
Au-delà des bilans comptables, les données extra-financières commencent, elles aussi, à s’immiscer dans ces questions. Le débat sur la « mesure d’impact », aujourd’hui presque systématiquement réclamée par les bailleurs, force les organisations à formaliser leur réflexion sur ce sujet. François Jegard, président de la commission « associations et fondations » de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, a lancé en décembre un groupe de travail consacré à cette problématique. L’objectif est de construire, au-delà des expérimentations, « un verbatim et une approche la plus standardisée possible ». « Demain, on ne vous demandera plus simplement : “Combien vous avez reçu d’argent et combien vous avez dépensé ?”, mais : “Pouvez-vous mesurer si cela a eu un effet, et lequel ?”, explique-t-il. La structuration de la donnée financière comptable est arrêtée depuis longtemps, les modes de structuration également. Sur la mesure d’impact, c’est en train de se construire. »
Pour les organismes qui élaborent de longue date une série d’indicateurs dans le cadre de leur plan stratégique, la mesure d’impact, quelque peu différente, demeure souvent difficile à appréhender. A l’AFM-Téléthon, la réflexion est en cours. « Démontrer que ce que notre action apporte du bien commun, que l’on améliore la situation des malades, est plus compliqué, déclare Christian Cottet. Ce qui me semble évident, c’est qu’il ne peut pas y avoir un référentiel unique. »
Pour épauler les organisations, les cabinets de conseil fleurissent, proposant des études aussi bien quantitatives que qualitatives. Le Secours populaire évalue depuis plusieurs années, grâce à l’un d’entre eux, l’impact de certaines de ses initiatives. « Il est important de prendre l’étude d’impact non pas comme une contrainte mais comme un avantage, et de l’anticiper comme un besoin pour la structure, assure Thierry Robert. Cela rend la tâche beaucoup plus intéressante et le résultat utile au donateur, qui a un retour sur ce qu’il a versé, mais aussi à l’association, pour progresser. »