« Les équipes sont mieux préparées, moins inquiètes quant à la manière de faire face. Nous avons appris à vivre avec le virus auquotidien. Ce que nous faisons dans ce cadre à titre individuel, conserver une distance par exemple, nous devons le reproduire au travail. » En ces premiers jours du deuxième confinement, Patrick Soria, directeur général de l’Adapei-Aria de Vendée, affiche une relative sérénité. Son association, qui gère 90 établissements pour personnes porteuses d’un handicap mental, a jusqu’ici évité tout cluster. « Les gestes barrières sont bien compris et appliqués », confirme Prosper Teboul, directeur général d’APF France handicap, qui ajoute que des leçons ont été tirées du premier confinement, en particulier en matière de solutions de répit pour les aidants.
Certes, selon la prégnance de l’épidémie, les situations diffèrent d’une région à l’autre. Mais, de façon générale, la stupéfaction du premier confinement et la découverte jour après jour des mesures à prendre cèdent la place à l’expérience. De plus, les modalités de propagation du virus sont davantage connues, les professionnels mieux équipés, les conditions d’application du confinement moins restrictives. Pour autant, dans le détail, plusieurs incertitudes demeurent.
Tout d’abord, à l’heure où nous écrivons ces lignes, le nouveau protocole sanitaire produit par la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) était encore attendu par les établissements et services médico-sociaux qui, à la différence du printemps dernier, restent ouverts. De quoi interroger les professionnels et les directeurs sur les modalités concrètes à mettre en place. Ainsi Patrick Soria raconte-t-il avoir défini avant l’arrivée du protocole la doctrine de l’association sur les sorties. Dans un communiqué de presse, dès le 29 octobre, le secrétariat d’Etat de Sophie Cluzel avait indiqué que les sorties des personnes vivant en établissement seraient autorisées pour le week-end en l’absence de cas de Covid-19 au sein de la famille ou de la structure. Dans l’attente des précisions, Patrick Soria a, lui, décidé de demander aux personnes et à leurs familles de choisir le lieu du confinement et de s’y tenir, et de ne permettre les sorties qu’à certaines conditions : elles ne doivent pas comprendre de nuitée hors de l’établissement, sauf en cas de risque de décompensation, donc sur prescription médicale. Ces sorties seront par ailleurs possibles sans nuitée. « Nous instaurons une gradation et précisons les choses le plus possible. Ce ne peut être tout noir ou tout blanc. »
Cette souplesse, induite par des modalités de confinement qui diffèrent de celles du printemps, est à la fois porteuse d’améliorations pour personnes accompagnées et professionnels et chargée d’occasions de questionner les pratiques d’organisation. Le mot d’ordre général du ministère est d’abord la continuité – de l’accès aux soins, aux droits, aux structures éducatives et rééducatives… C’est aussi l’ouverture des établissements pour enfants et adultes, des accueils de jour, des structures de répit. Enfin, les visites sont autorisées, encadrées, sur rendez-vous.
Plus de réserve intra-associative
« Cela semble plus souple, mais il faudra suivre les choses pour s’en assurer dans la durée », prévient Arnaud de Broca, président du Collectif handicaps. D’autant, souligne-t-il, que ce deuxième confinement commence alors que les séquelles du premier ne sont pas encore toutes digérées. Autrement dit, des points de vigilance apparaissent. D’abord, tous les établissements et services étant ouverts, il n’est plus possible de demander à des professionnels d’intervenir dans une structure autre que la leur. Il n’y a, en somme, plus de réserve médico-sociale interne aux associations gestionnaires.
De surcroît, note Prosper Teboul, « les professionnels sont fatigués, en raison de la quantité de travail fourni, mais aussi d’un manque de reconnaissance ». Il en veut pour preuve les difficultés à recruter dans le secteur. Et il attire l’attention sur le fait que l’accent mis sur le télétravail ne doit pas concerner les professionnels de l’accompagnement. Un accompagnement qu’il entend voir harmonisé et sans rupture pour les personnes. Arnaud de Broca alerte pour sa part sur l’accès aux soins : « Même si les intervenants peuvent continuer leur travail, cela reste un confinement, qui pourrait se durcir, bien que, pour le moment, tout le monde se refuse à le dire. »
Dans le domaine de l’emploi, les entreprises adaptées (EA) restent ouvertes comme leurs homologues dites « ordinaires ». « On a les masques, les clients. On applique les gestes barrières. On est autorisés à travailler. Bref, le confinement s’annonce moins problématique que la dernière fois », résume Serge Widawski, directeur d’APF Entreprises. L’ensemble des EA que regroupe son entité poursuivent donc leurs activités, mais se voient parfois contraintes de les réduire. Le télétravail de clients peut ainsi conduire à la mise au chômage partiel de certains des salariés qui, habituellement, réalisent des travaux de nettoyage. Autre problème, certains clients réduisent eux-mêmes leurs activités, et donc leurs commandes.
Rétablissement de l’équité
Enfin, et c’est pour l’heure le péril majeur sur les capacités de production, le nombre de cas de contaminations et de cas contact augmente parfois de façon importante, au point de voir un atelier de couture fermer temporairement ses portes au sein d’un établissement qui avait traversé vaillamment le premier confinement en se lançant dans la production de masques.
Pour les établissements et services d’aide par le travail (Esat), la situation est plus complexe encore. Toujours en activité sur le papier, aucun, en réalité, n’a réussi à retrouver depuis le printemps un fonctionnement tout à fait normal, estime Serge Widawski.
Face à ce présent incertain, tous préparent l’avenir pour le rendre plus enviable. D’abord, au moyen d’un fonds d’aide à la transformation des entreprises adaptées, obtenu du gouvernement. Avant le 4 novembre, les EA intéressées devaient monter des dossiers et présenter des projets de développement de nouvelles activités. Pour les soutenir dans ce cadre, 166 millions d’euros ont été débloqués par le gouvernement. Ces entreprises travaillent aussi à des rapprochements avec celles ordinaires et d’insertion, afin de monter des consortiums et de décrocher des marchés.
En dehors de l’emploi, l’avenir appelle un rétablissement de l’équité entre professionnels. Car le Ségur de la santé pénalise indirectement le secteur médico-social, qui n’a pas vu de revalorisation des rémunérations. Initialement prévu le 29 octobre, puis envisagé pour le 3 décembre et la Journée mondiale des personnes handicapées, le comité interministériel du handicap sera-t-il l’occasion pour le gouvernement de rectifier le tir ? Pour l’heure, le Premier ministre a répondu aux associations qu’il avait pris acte de la situation.