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« Ici, c’est la vie qui revient »

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Marie-Helene et Paul Chiron, venus de Cholet pour un séjour de répit.

Crédit photo Marta NASCIMENTO
Offrir un accueil de loisirs pour des personnes en situation de dépendance et leurs conjoints ? C’est le pari relevé par l’association Vacances répit familles, à Fondettes, près de Tours. Mi-Ehpad mi-hôtel, le lieu est unique en France et devrait, grâce au plan de soutien national aux aidants lancé l’an dernier, faire des émules.

 

Ce matin-là, il se laisse flotter quelques minutes dans l’eau de la piscine. Derrière la baie vitrée, elle n’a d’yeux que pour lui, lui adressant de petits signes de la main réguliers. Si sa tête à elle « est partie » avec Alzheimer, après soixante-deux années de mariage fraîchement sonnées, il reste entre Thérèse et Pierre Cadeau les sourires et la tendresse. « Quand je m’absente deux minutes, elle est perdue et n’arrête pas de me réclamer. Cela fait six ans. Il faut constamment une présence », explique-t-il. La maladie s’aggravant, le couple s’est installé depuis peu dans un foyer-logement près d’Angers, permettant à Pierre de retrouver un peu d’activité extérieure. De là à imaginer repartir un jour ensemble en vacances, rien n’était moins évident…

Les voici pourtant, en ce bel après-midi de septembre, assis avec leurs masques à la terrasse du village Vacances répit familles (VRF) de Fondettes, à quelques encablures des bords de Loire, dans la périphérie de Tours. Tout heureux de s’être laissés convaincre par le neurologue de Thérèse. Unique en France, le lieu accueille des personnes dépendantes de plus de 60 ans et leurs aidants – leurs conjoints, le plus souvent – ayant besoin de souffler. La plupart des aidés souffrent de la maladie de Parkinson, d’Alzheimer ou des suites d’un accident vasculaire cérébral. « Tout est dans le “en même temps” », insiste Jacques Cécillon, directeur de l’association éponyme, à l’origine du concept intégrant sur le même site, et toute l’année, un accompagnement différencié à la fois touristique et médico-social.

« Le manque d’un lieu dédié aux aidants familiaux était criant, eux qui assurent en France 80 % du “prendre soin” des personnes en situation de perte d’autonomie ou de handicap, explique ce professionnel de la gestion des régimes de retraite complémentaire, ex-directeur des activités sociales du groupe Pro BTP. S’ils peuvent recourir aux dispositifs d’hébergement temporaire quand leur situation médicale ou professionnelle l’impose, comment faire comprendre sans heurt ni culpabilité à la personne accompagnée le besoin de se séparer temporairement pour prendre du temps pour soi ? Ici, ils peuvent venir ensemble, avec une équipe médico-sociale à même de prendre le relais jour et nuit. »

 

« Vacanciers » plutôt que « résidents »

Ouvert en 2015 et doté d’un statut d’Ehpad (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), le centre compte 42 chambres, dont 26 places relevant de l’hébergement temporaire et, parmi elles, 6 situées en unité « sécurisée » pour prévenir les sorties inopinées des patients coutumiers des fugues. Dans le hall, les petits salons ou la rotonde aux larges baies vitrées, aucune blouse blanche. L’établissement à l’environnement et au confort particulièrement soignés, à peine remaniés par les exigences sanitaires du moment, a toutes les apparences d’un véritable hôtel. Il l’est, d’ailleurs, avec son piano, sa revue de presse, sa piscine, son jacuzzi, son billard, son parc arboré… et ses deux étoiles. Patrick Brunerie, directeur du site, qui a fait toute sa carrière dans le social, y tient ! « C’est un espace de congés, de détente, de convivialité, où l’on essaie au maximum de mettre en stand by les difficultés générées par la dépendance au quotidien », indique cet ancien éducateur spécialisé et directeur d’institut médico-éducatif, qui n’hésite pas à se présenter comme le « gentil organisateur » d’un club de vacances juste un peu différent des autres.

« Vacanciers » plutôt que « résidents », le terme est posé. Derrière, il s’agit d’un autre regard. « On ne focalise pas sur la pathologie. Même si elle est évidemment prise en compte, ça n’est pas le cœur du projet. On reçoit avant tout des personnes qui aspirent à retrouver le goût des vacances, à revivre une situation normale, avec tout ce que cela engendre de positif et de bénéfique. Souvent très isolées et coupées de nombreuses relations sociales, certaines ne sont pas parties de chez elles depuis cinq, dix, voire quinze ans », poursuit le directeur, dont la structure accueille en temps « normal » entre 500 et 600 couples par an, pour des séjours moyens d’une à deux semaines.

« Notre rôle est de soulager l’aidant en assurant une continuité de prise en charge de l’aidé, indique Charlyne Rouvre, infirmière coordinatrice. L’objectif est de l’amener à se recentrer sur lui, à se reconnecter à ses besoins, à ses envies, et à retrouver l’autre pour des moments de partage, à se redécouvrir parfois aussi, en dehors de la relation soignant-soigné. » Shiatsu, massage, yoga du rire, gymnastique douce, karaoké, activités manuelles, loto, sorties culturelles avec les autres aidants… La palette d’activités inscrites au grand tableau blanc de la semaine, concoctée par les animatrices et l’équipe médico-sociale, embrasse large pour que chacun puisse y piocher. Et s’en inspirer, de retour à la maison.

« Chaque jour, je participe à tout, si possible avec lui », confie Marie-Hélène Chiron, originaire de Cholet (Maine-et-Loire), le sourire fatigué en désignant Paul, son mari, désespérément silencieux à côté d’elle, touché par une évolution rapide de la maladie de Parkinson. Elle ajoute : « Ça me libère la tête ! Je n’ai pas à m’occuper de la préparation des repas, des soins, de la maison, du jardin. C’est la vie qui revient. » En posant ses valises ici, l’ancienne auxiliaire de puériculture prend du recul. « Je me rends compte à quel point je vis repliée sur nous. Et le confinement, où j’ai dû tout faire seule, n’a rien arrangé. Je repousse tout de peur de le laisser, mais je m’épuise », analyse-t-elle. Ce séjour lui a permis de faire un premier pas avec la mise en place d’une assistance à la toilette de son époux, qu’elle espère prolonger à la maison à leur retour.

Au village Vacances répit familles de Fondettes, le trio aidant-aidé-personnel (médico-social ou soignant) est au cœur de l’accompagnement et de sa réussite. « En tant que professionnels, on a besoin du savoir-faire et du savoir-être de l’aidant, qui est l’expert du quotidien, et de l’aidé, pour nous orienter dans la meilleure approche à avoir avec lui ; et tous les deux ont besoin de notre expérience et de nos compétences. On fonctionne ensemble. C’est essentiel dans une prise en charge aussi courte, et cela devrait l’être dans toutes les autres structures d’accueil, temporaires ou non ! », souligne Cécilia Domelier, aide médico-psychologique, dans l’équipe depuis l’ouverture.

Le fonctionnement général se veut le plus possible à la carte, au plus près des besoins de chacun. Pas de lever ou de change à heure fixe, mais des plages horaires où, chaque jour, le rendez-vous peut être ajusté – dans la limite des ressources humaines au service de la collectivité. Exit la routine, adieu le carcan du projet… « On s’adapte en permanence aux personnes, en prenant le temps, en cherchant à soutenir leurs capacités, leurs compétences, leurs envies. Cela crée une confiance, du bien-être physique et moral, et beaucoup de partage aussi pour tout le monde, vacanciers et professionnels ! », apprécie Mélissa Juan, aide-soignante. Possible jusqu’au plus haut degré de dépendance, l’accompagnement proposé, non médicalisé, a pour seule limite l’accueil de personnes en suite opératoire ou nécessitant la présence permanente d’une infirmière.

 

Un modèle économique fragile

Pour le réinventer chaque semaine, c’est tout un village qui est mobilisé. Composée d’un « noyau dur » de dix titulaires (sept pour la partie médico-sociale, deux pour la restauration, un pour le ménage), l’équipe de soins est pilotée par l’infirmière coordinatrice, avec des effectifs passant du simple au double en haute saison. « Dans ce temps privilégié de “lâcher prise” qui ouvre à la rencontre, beaucoup d’émotions se brassent. Il nous faut être vigilants, réactifs, pour pouvoir rebondir rapidement, apporter une réponse. Cela nécessite beaucoup d’écoute entre les différents professionnels, de connaissance du rôle de chacun et de complémentarité », souligne Charlyne Rouvre.

Cette dynamique inclusive est soutenue par le style de management du directeur, sur le modèle de l’entreprise libérée : « Chacun a son expertise reconnue et les regards sont sans cesse croisés. Cela peut paraître “bisounours” et je ne dis pas qu’il n’y a jamais de frictions ! Mais c’est dans ce décloisonnement qu’on trouve une cohérence et que l’on peut vraiment accompagner les personnes dans leur globalité. »

Au service du même projet, les « collaborateurs », tous services confondus, participent ainsi à la même réunion hebdomadaire pluridisciplinaire. A cela s’ajoutent des formations communes une fois par an. Des analyses de pratiques sont également prévues une fois par mois avec un intervenant extérieur pour l’équipe médico-sociale, qui est invitée par ailleurs à contribuer à la partie « animation » aux côtés des deux animatrices dédiées. « Cela crée beaucoup de polyvalence. On peut même donner un coup de main pour desservir au restaurant – et, réciproquement, nos collègues peuvent nous alerter sur des besoins qu’ils ont repérés. Cela peut être fatigant, mais c’est très enrichissant ! On fait du soin au sens large », observe Mélissa Juan.

Les effets sont tangibles : « Au fil de la semaine, on les voit s’apaiser. D’abord très présents par-dessus l’épaule des soignants, ils prennent petit à petit leurs distances dans la chambre, s’autorisent à s’absenter. Un mieux-être se dégage, ils redeviennent acteurs ! », note Charlyne Rouvre. La proximité de pairs ayant un vécu semblable et le petit réseau qui se constitue participent beaucoup aussi à ce cheminement libérateur, selon Virginie Jaudinot, psychologue, qui propose dans ses interventions au sein de la structure un groupe de partage hebdomadaire pour les aidants, complété si besoin par des entretiens particuliers. « Ayant de nouvelles informations, s’étant sentis soutenus, ils trouvent dans ce séjour de la ressource pour mieux envisager l’avenir », relève-t-elle.

Un autre signe évocateur : parmi les 74 % de vacanciers qui ont répondu aux enquêtes de satisfaction après leur séjour, plus de 97 % recommandent le village et près de 30 % y reviennent. Sans obstacle financier ? Avec l’intervention de l’agence régionale de santé (ARS) pour la partie « soins » (matériel et salaires des personnels médico-sociaux) et le soutien des caisses de retraite de l’Agirc-Arcco pour la partie hôtelière, le séjour pour un foyer non imposable revient à 220 € pour deux par semaine la première année, soit 15 % du coût total (1 464 €). Pour ceux soumis à l’impôt, le reste à charge s’élève à 30 %. Une somme qui double la deuxième année.

Reste un défi : celui du modèle économique. Malgré un taux d’occupation de 70 % l’an dernier, le village n’a pas encore trouvé son équilibre. Et la raison n’est pas à imputer au seul Covid-19, qui a fait chuter les inscriptions en raison de la fermeture du centre jusqu’au 10 juillet dernier et des annulations encore régulières. Le déficit enregistré tient surtout à la capacité d’accueil limitée de la structure. « Pour être viable, il faudrait 60 places médico-sociales au minimum, mais la démonstration économique n’était pas l’objet du village initié à Fondettes. Il s’agissait d’abord de faire la preuve du concept », pointe Jacques Cécillon, directeur de l’association VRF, qui vise le développement d’une franchise sociale pour soutenir de nouveaux projets. Le plan de soutien national aux aidants, dévoilé en octobre 2019, tombe à pic : « Sur les 10 000 places d’hébergement temporaire dont la création a été annoncée, un certain nombre devraient correspondre à ce que l’on fait », se réjouit celui qui porte ce combat depuis des années et porte 25 projets sociaux ou médico-sociaux. Avec l’espoir qu’une dizaine d’entre eux voient le jour d’ici quatre ans.

Reportage

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